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Les déracinés de la Creuse : « Puisque l'Etat défend l'Etat... »
Rejet des demandes d'indemnisation des "enfants réunionnais de la Creuse"
LEMONDE.FR/AFP 11.07.08 | 19h42
Le Conseil d'Etat a confirmé vendredi le rejet des demandes d'indemnisation de dix Réunionnais qui avaient été arrachés à leur île natale, dans les années 60 lorsqu'ils étaient enfants, pour repeupler les zones rurales de la métropole.
Le Conseil d'Etat a confirmé un arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 27 mars 2007, ressort d'appel de l'île de la Réunion, qui avait estimé que les demandes visant à obtenir chacun 15 millions d'euros d'indemnités de la part de l'Etat ne pouvaient aboutir en raison de la prescription de quatre ans qui couvre toutes les actions intentées contre la puissance publique.
En première instance, en juillet 2005, le tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion avait rejeté leur demande pour une toute autre raison, estimant que le préfet de l'île, désigné par leur action, agissait pour le compte du département et non pour celui de l'Etat.
Le dossier avait été mis en lumière dans les années 90 sous le nom de "l'affaire des enfants réunionnais de la Creuse", parce qu'une grande partie de ces enfants confiés à l'aide sociale à l'enfance avaient été placés dans ce département rural du centre de la France métropolitaine.
Au total, de 1963 à 1982, un peu plus de 1.600 enfants réunionnais avaient été placés dans des département ruraux, principalement la Creuse.
Le débat très technique a porté sur la date à partir de laquelle la prescription quadriennale devait courir. La cour d'appel de Bordeaux avait estimé qu'elle partait de la majorité de chacun des enfants réunionnais. Les requérants voulaient qu'elle débute en 2002, date de la publication d'un rapport sur ce sujet de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas).
Le Conseil d'Etat a jugé que la cour n'avait commis aucune erreur de droit sur le point de départ du délai de prescription.
"Puisque l'Etat défend l'Etat, nous saisirons la Cour européenne des droits de l'Homme, nous sommes décidés à aller jusqu'au bout", a réagi auprès de l'AFP Simon A-Poi, président de l'association des Réunionnais de la Creuse.
société
Les Réunionnais de la Creuse, une histoire française
L'Humanité, le 14 décembre 2004, extrait
Dans ce contexte, trois universitaires d’Aix-en-Provence, Gilles Ascaride et Philippe Vidale, sociologues, Corine Spagnoli, historienne, ont obtenu du conseil général de la Creuse le financement d’une étude rendue publique à Guéret mercredi dernier. Tristes tropiques de la Creuse, réfute le terme de « déportation » et prône celui de « transfert ». Selon les auteurs, déportation renvoie à la Shoah et à l’extermination systématique. « Transfert » qualifie donc l’organisation systématique du départ de bébés, d’enfants et d’adolescents vers un lieu inconnu, glacé, à plus de 13 000 kilomètres de leur île natale, vers des foyers impersonnels et des fermes reculées, avec, plus ou moins, l’assentiment de parents à qui l’on a fait miroiter la scolarisation des enfants et la promesse de leur retour.
La recherche scientifique s’est heurtée à la culture du secret. Les directions des affaires sanitaires et sociales des deux départements ont refusé la consultation des dossiers privés. La demande d’accès au fonds Michel-Debré s’est vu opposer « une rigidité administrative des Archives de France ». Autant de documents auxquels l’IGAS aurait eu facilement accès pour se livrer à une véritable enquête. Les scientifiques ont donc travaillé à partir d’archives accessibles et d’interviews d’ex-mineurs, de familles réunionnaises et de responsables politiques et administratifs, mais n’ont pu réaliser de véritable bilan de l’opération.
Rapport sur la situation d'enfants réunionnais placés en métropole dans les années 1960 et 1970
GAL Christian, NAVES Pierre
FRANCE. Inspection générale des affaires sociales
Paris;Inspection générale des affaires sociales;2002;158 pages
« On nous a cramé le cerveau », résume Jean-Pierre Jean-Marie
« C’était une politique du chiffre » • Six livres, un CD, de nombreux documentaires et articles, des assignations en justice... le dossier des enfants de La Creuse, en seulement deux ans, a connu une médiatisation internationale. Pourtant, il reste un constat troublant : l’État s’en moque. 15 juillet 2005, à lire sur temoignages.re.
« On nous a cramé le cerveau. » Pour résumer son histoire, Jean-Pierre Jean-Marie ne trouve aucune autre expression. Dans ce raccourci verbal, il a glissé tous ses maux : son départ précipité de Saint-Denis à l'âge de 12 ans, ses rêves déchus d'« études brillantes et de grandes écoles », l'autorisation provisoire de placement qu'ont signée ses parents en 1966 et « qui a duré trente ans », le doute d'avoir fait une bêtise au point de mériter « ça », mais aussi le temps perdu « qu'on ne rattrape jamais ».
Le Figaro, 16 septembre 2005
Les déracinés de la Réunion s'en prennent à l'État
Les enfances dérobées de la réunion
LE MONDE | 15 septembre 2005
16 août 2005. Les enfants ont grandi. Ils entrent dans la cinquantaine, l'âge des questionnements existentiels. Une quinzaine d'entre eux attaquent l'Etat devant le tribunal administratif de Limoges. Motifs : "Violation des lois sur la famille et sur la protection de l'enfance, violation des conventions internationales, non-respect des droits de l'enfant" (Le Monde du 18 août). A la fin de cette semaine, une quinzaine d'autres vont faire appel à Bordeaux d'une précédente décision négative rendue en juillet à la Réunion. Ai-je réussi ma vie ? Que serait-il advenu si ? Aurais-je pu être quelqu'un d'autre ? M'a-t-on, en quelque manière, volé ma vie ? C'est une réponse à ces doutes que les Réunionnais de la Creuse réclament aujourd'hui à la justice.
Entre 1963 et 1981, selon un récent rapport de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS), 1 600 mineurs seront ainsi transférés. Des Caravelle spéciales décollent, plusieurs fois l'an, avec des enfants de tous âges. Les nourrissons sont cédés à des familles adoptives, parfois dès l'arrivée à Orly. Les plus grands, souvent noirs ou métis, sont envoyés dans des centres d'accueil, à Guéret (Creuse), à Quézac (Cantal), à Albi (Tarn) ou à Lespignan (Hérault).
Les services sociaux vont mettre un zèle particulier à une mission qui, selon l'IGAS, jouira de "l'attention personnelle de Michel Debré" . Les familles en difficulté sont légion. Misère, alcoolisme, illettrisme font des ravages. Les 2 CV de la direction départementale de l'action sanitaire et sociale (Ddass) vont sillonner l'île pour alimenter le pont aérien et contenter leurs supérieurs.