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En Australie, les pensions « de la honte »
Par le passé, en Australie, une justice « d'hommes » condamnait les jeunes filles plutôt que leurs bourreaux ? Qu'en diraient aujourd'hui le cafard de ma fille ainée, une femme, le pasteur d'Uhrwiller, une femme, elle aussi, Richard Josefsberg, « un homme », Claire Davidson et le juge Anne Valentini, encore deux femmes ?
Soyons naïfs, incrédules, partiaux, hypocrites, cyniques ou loyaux, tels tous bons et vertueux professionnels de la justice, sous serment... En France, et surtout dans les maisons d'enfants de l'OSE France, tout a toujours été fabuleux, historiquement, même si certains écrits, faits ou des rapports tels que de l'Inserm tendraient à noircir le tableau ? Le juge Xavier Serrier, encore « un homme », ainsi que sa magistratüre de la cour d'appel de Versailles confirmeront.
Ceux qui en douteront pourront lire la revue Osmose n° 19 de février-mars 2009.
En Australie, les pensions de la honte
LE MONDE | 14.11.09 | 14h41 • Mis à jour le 14.11.09 | 14h41, extrait
Sydney Correspondance
De son arrivée à l'institution pour filles de Parramatta, dans la banlieue de Sydney, Bonney Djuric a gardé un souvenir encore vif. D'abord, le bâtiment d'allure gothique, puis le bruit de clés dans la serrure. "On m'a escortée jusqu'à la porte. Je suis rentrée, j'ai regardé autour de moi, et j'ai compris que j'étais enfermée", se souvient-t-elle, quarante ans plus tard. Comme des milliers d'autres enfants australiens, Bonney Djuric fut victime de mauvais traitements dans ces institutions pour enfants pauvres ou abandonnés, une page honteuse dans l'histoire du pays.
En 1970, la jeune fille a 14 ans. Issue d'une famille modeste, elle se lève de bonne heure pour rejoindre son travail, jusqu'à ce qu'un matin plusieurs garçons du voisinage l'attaquent et la violent. Bonney porte alors plainte. "J'ai compris que c'était une justice d'hommes : les garçons ont été innocentés. J'ai commencé à aller mal." L'adolescente fugue, avant d'être retrouvée par la police et condamnée à un an de maison de redressement, à Parramatta.
Aujourd'hui, dans sa petite maison de Summer Hill, à l'ouest de Sydney, Bonney consacre ses journées à recueillir les témoignages des autres filles de l'institution au travers de l'association qu'elle a fondée, les Parra girls. "Les gens mélangent les faits, avec le temps il faut prendre des notes, être rigoureux", observe-t-elle. Dans ses manuscrits, Bonney décrit les particularités des châtiments, l'enfermement. "Il y avait sept appels par jour. L'appel du matin, dans la cour, était le plus odieux. Lorsqu'une fille avait souillé ses draps, par exemple durant ses menstruations, elle était appelée et obligée de rester là, debout à côté des draps tachés, en public."
Dans ce système, tout est scrupuleusement répertorié par des gardiens goguenards, souvent des hommes, jusqu'au nombre de feuilles de papier toilette et de serviettes hygiéniques. En guise d'école, les filles sont cantonnées à la lessive ou au nettoyage des sols. "C'était une politique d'humiliation perpétuelle, notre corps ne nous appartenait plus", raconte Bonney.
Contrairement à Bonney, nombreux sont ceux qui ont passé toute leur enfance dans ces endroits gérés par l'Etat, comme à Parramatta, ou par les Eglises chrétiennes australiennes. Parmi eux, les bébés de filles-mères considérées comme immorales, les gamins retirés de force à des familles estimées trop pauvres pour les élever, et ceux laissés par leurs parents, le temps parfois de se retourner en cas de crise. "Il n'y avait pas de subventions pour les familles à cette époque. Alors lorsque ma mère s'est retrouvée avec trois enfants, sans mon père, elle a dû nous laisser dans une institution. J'y suis restée jusqu'à mes 21 ans", explique Joanna Penglase, qui a fondé une association d'anciennes victimes, Care Leavers Australia Network (CLAN).
Marie-Morgane Le Moël
Article paru dans l'édition du 15.11.09.