« Sarkozy défie les syndicats : « lâchez vos drapeaux » | Valton : « Guéant parle une fois de plus sans connaître ce dont il parle » » |
Intellectuels, politiques, une planète en recomposition, et le point Godwin
Intellectuels et politiques, une planète en recomposition
LE MONDE CULTURE ET IDEES | 29.04.2012 à 19h32
Par Marion van Renterghem et Thomas Wieder
Le président souhaiterait vous rencontrer", a dit un jour Jean-Baptiste de Froment, conseiller de Nicolas Sarkozy, à Christophe Guilluy. C'était il y a quelques mois, le président n'était pas encore officiellement candidat, et ce géographe proche des idées de Jean-Pierre Chevènement, théoricien d'une nouvelle géographie sociale, auteur d'un ouvrage consacré aux Fractures françaises (Bourin, 2010), ne se doutait pas qu'il se retrouverait, comme il dit, la "vedette involontaire" de la campagne.
A l'Elysée, le président le reçoit dans son bureau en bras de chemise, une quarantaine de minutes, pour écouter un cours sur la géographie des classes populaires et ouvrières. "Je lui ai montré une carte, je lui ai dit : "Ça marche comme ça." J'ai précisé que c'était une carte simplifiée. Il m'a répondu : "Merci de vous mettre à mon niveau !" Que je ne fasse pas partie de l'intelligentsia universitaire avait l'air de lui plaire. Au PS, au contraire, on vous demande tout de suite si vous enseignez et si vous avez fait une thèse."
De Christophe Guilluy à Olivier Galland, spécialiste de la jeunesse, de Gilles Kepel, connu pour ses travaux sur l'islam, à Alain Mergier et Philippe Guibert, dont l'essai Le Descenseur social. Enquête sur les milieux populaires (Plon-Fondation Jean-Jaurès, 2006) avait été très commenté lors de la précédente campagne présidentielle, les chercheurs spécialisés, qui établissent des diagnostics et éclairent sur une réalité sociale, ont peu à peu remplacé auprès des politiques les penseurs généralistes.
Que reste-t-il de l'influence sur les politiques des intellectuels engagés, fine fleur de l'exception française née des Lumières ? Des Voltaire, Zola, Malraux, Sartre, Aron, Camus ? Dans cette campagne présidentielle 2012, les Edgar Morin, Alain Finkielkraut ou les "nouveaux philosophes", tels André Glucksmann ou Bernard-Henri Lévy, ces maîtres ou contremaîtres à penser, sages éclairés, représentants d'une morale et de valeurs n'ont pas pesé sur le cours des choses.
Eux-mêmes, d'ailleurs, se sont retirés. L'enthousiasme et l'engagement semblent avoir déserté les intellectuels français les plus habitués de la scène médiatique. Même chez les antisarkozystes virulents, Alain Badiou a prévenu qu'il ne se déplacerait pas pour voter et Michel Onfray, qui trouve cette campagne "nullissime", a annoncé qu'il voterait blanc.
L'écrivain Marc Weitzmann, qui avait voté Nicolas Sarkozy en 2007, s'abstiendra ; Alain Finkielkraut reste en retrait, Pascal Bruckner et Bernard-Henri Lévy soutiennent très peu bruyamment François Hollande, André Glucksmann attend encore mais fustige le "silence assourdissant" d'une campagne où, "ni pour Hollande ni pour Sarkozy, il n'a jamais été question du monde qui entoure la France". Luc Ferry s'étonne lui-même : "Pour la première fois de ma vie, dit-il, je ne sais pas pour qui je vais voter."
Le démographe Emmanuel Todd, intellectuel quasi organique de la gauche socialiste, est l'un des rares à se déclarer avec flamme en faveur du candidat du PS, parlant même de "hollandisme révolutionnaire". "C'est l'élection la plus importante de l'après-guerre, dit-il à contre-courant de ses pairs. Un vote sur l'égalité ou l'inégalité. C'est incroyable que les intellectuels n'arrivent pas à se situer sur cette question."
Il semble déjà bien loin, le temps où le règne finissant de... La suite, sur le Monde