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« Enfants en souffrance, la honte ! », un pavé dans la mare
“Enfants en souffrance, la honte !”, un pavé dans la mare de l’Aide sociale à l’enfance
Documentaire | Maltraitances, détournements de fonds, enfants en danger… France 5 diffuse un documentaire sur l'Aide sociale à l'enfance qui échoue trop souvent à remplir sa mission de protection. Rencontre avec les journalistes qui ont mené l'enquête.
Le 16/09/2014 à 11h00
Marie-Hélène Soenen, Télérama
Alertés en 2011 par le suicide d'un éducateur à Dunkerque, des journalistes ont enquêté pendant deux ans sur l'Aide sociale à l'enfance. Leur documentaire, Enfants en souffrance, la honte ! est diffusé ce mardi 16 septembre 2014 sur France 5, une semaine avant la publication chez Fayard de leur livre coup-de-poing contre les institutions.
L'Aide sociale à l'enfance (ASE), ce sont plus de 150 000 enfants pris en charge par les départements pour un budget annuel de 8 milliards d'euros. Placés dans des foyers, des familles d'accueil ou des lieux de vie, ces enfants étaient en danger ou en situation d'instabilité dans leur famille. En 2009, un rapport de la Cour des comptes fait scandale, révélant que les structures de l'ASE sont contrôlées en moyenne une fois tous les vingt-six ans.
Dans leur solide enquête, Alexandra Riguet, Bernard Laine et Pauline Legrand lèvent le voile sur un système opaque, où la prise en charge des enfants se révèle tristement aléatoire. « Une loterie », nous dit Alexandra Riguet, profondément en colère. Où entre maltraitances physiques comme psychologiques et détournements de fonds mirobolants, l'institution, gérée et encadrée par des travailleurs sociaux pour la plupart compétents et dévoués, échoue malheureusement souvent à protéger les enfants dont elle a la responsabilité. Les journalistes reviennent sur leur travail de fond, fort et bouleversant.
Qu'est-ce qui vous a poussés à enquêter sur l'ASE ?
Alexandra Riguet : Cela fait des années que j'enquête sur le social, et j'avais relevé de nombreux dysfonctionnements dans le système de la protection de l'enfance en travaillant sur mes films précédents (1). Alors que je préparais L'Inceste : enfances brisées, vies explosées pour France 3, j'ai découvert une affaire d'orgie incestueuse à Evreux. J'ai rencontré un responsable du Conseil général de l'Eure qui m'a dit que « ce sont des choses qui arrivent ». J'étais consternée.
Pendant cette enquête, j'ai aussi découvert que beaucoup d'enfants relevant de l'Action éducative en milieu ouvert (AEMO), qui prévoit qu'un éducateur se déplace dans les familles quand les enfants ne sont pas placés, attendent parfois un éducateur pendant plus de six mois et restent en danger dans leur famille. J'ai trouvé ça effrayant.
J'enquêtais depuis un moment, mais je gardais en sommeil toute cette matière. En janvier 2011, Fabrice Hrycak, un éducateur dunkerquois, s'est donné la mort, et les travailleurs sociaux se sont mis à parler. J'étais en contact avec France 5, qui m'a dit : « on y va ». En même temps, on a discuté avec des responsables de chez Fayard, qui étaient sidérés, n'y croyaient pas, et nous ont aussi dit de nous lancer.
“L’Aide sociale à l’enfance,
c’est la loterie.”
Vous découvrez des histoires dramatiques dans toute la France…
Alexandra Riguet : En se suicidant, Fabrice Hrycak a voulu faire exploser tout un système. C'est ce qu'on a voulu montrer : qu'il ne s'agit pas d'une accumulation de faits divers, mais que c'est le système tout entier qui ne va pas bien. L'affaire dunkerquoise est symptomatique de tous les maux : des placements incohérents, des dirigeants qui s'en mettent plein les poches et qui ne pensent qu'à faire du chiffre en accueillant toujours plus d'enfants…
Pendant ces deux ans, on a parcouru la France entière et on a tout entendu. L'ASE, c'est la loterie, un enfant peut être pris en charge par des travailleurs sociaux et des familles merveilleux comme il peut tomber dans un placement compliqué. Or, la prise en charge des enfants par l’Etat devrait faire cesser la loterie, le « pas de chance de la vie ».
Comment expliquer de tels dysfonctionnements quand un budget de 8 milliards d'euros est alloué à la Protection de l'enfance ?
Alexandra Riguet : Pour les travailleurs sociaux, sur le terrain, peut-être qu'il n'y a pas de moyens. Comme pour les tutelles, les comptes de l'ASE n'ont jamais été contrôlés. On n'a pas envie de remettre en cause le système de la Protection de l'enfance, car on découvrirait que beaucoup d'argent n'est pas utilisé comme il le faudrait. Pourquoi y a-t-il des lieux de vies où on a besoin de 150 euros par enfant par jour et d'autres où on a besoin de 250 euros ? Il faudrait remettre à plat l'ensemble du système et la manière dont l'argent est géré. Vérifier les comptes des associations.
“Dans le monde de la Protection
de l’enfance, le mot ‘contrôle’
est complètement banni”
Bernard Laine : Dans le monde de la Protection de l'enfance, le mot « contrôle » est complètement banni, on ne peut pas le prononcer. Il existe sept organismes (2) qui ont la charge de mener des enquêtes. Et pourtant, il n'y a aucun contrôle. Parce que ça voudrait dire qu'on n'a pas confiance dans les travailleurs sociaux, qui font par principe bien leur travail. Je pense qu'il faut remettre en cause l'autorité sans partage du département. Il faudrait un organisme de contrôle non pas local mais national. Aujourd'hui, l'ASE est une véritable vache à lait.
Quelles réactions espérez-vous après la diffusion du documentaire et la publication du livre le 22 septembre ?
Alexandra Riguet : Dans notre enquête, on se demande si les choses ont changé depuis le rapport de la Cour des comptes de 2009. On a posé la question au ministère des Affaires sociales, qui ne nous a pas donné de réponse. Mais le terrain nous dit que rien n'a changé. On continue de voir quantité d'enfants en danger chez eux. Après l'affaire Marina [une fillette de 8 ans morte des suites des maltraitances de ses parents, ndlr], il y a eu deux années d'Assises nationales de la Protection de l'enfance sur son cas.
Quelles sont les conclusions ? Où sont les changements ? Les questions qui dérangent, on ne les pose pas. Ce serait reconnaître la responsabilité de l'ensemble des institutions. Et je n'ai jamais vu un conseil général inquiété. J'espère que la réforme territoriale, et la remise en cause des conseils généraux pourra changer les choses : ce gaspillage n'est plus possible.
(1) La Psychiatrie dans le mur ? (2006), L'Inceste : enfances brisées, vies explosées (2010), Tutelles : nos parents spoliés ? (2011).
(2) L'ODAS, l'ODEF, l'ODPE, l'ONED, l'ANESM, la DREES et l'IGAS.
Enfants en souffrance, la honte !, d'Alexandra Riguet et Pauline Legrand, mardi 16 septembre 2014 à 20h40 sur France 5.
Le livre Enfants en souffrance… la honte, le livre noir de la Protection de l'enfance, d'Alexandra Riguet et Bernard Laine, sera publié aux Editions Fayard le 22 septembre 2014 (352 p, 20 €).
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Les révélations choc d’Envoyé Spécial sur les Ehpad privés https://t.co/85kKklPQQH@CTrivalle Relire aussi Brazelton et Greenspan, Ce qu'un enfant doit avoir, qui évoquait le sujet pic.twitter.com/xeWyBgeLHD
— Bruno Kant (@bkant) 20 septembre 2018
Ce n’est pas parce les familles payent plus cher que les résidents auront droit à plus de personnel soignant. Etat, département, familles, voici a répartition du budget des #EHPAD privés dont plus du quart appartiennent à de grands groupes. #EnvoyeSpecial pic.twitter.com/RBLb5IONQX
— Envoyé spécial (@EnvoyeSpecial) 20 septembre 2018