Mot(s) clef: complot parano
Les protocoles des sages de Sion
Les protocoles des sages de Sion
Un faux et ses usages dans le siècle
Pierre-André Taguieff
Editions Fayard, 10/2004
Présentation de l'éditeur
Le retour du plus célèbre faux de la littérature antijuive dans l'actualité, les Protocoles des Sages de Sion, nous a conduit à publier une nouvelle édition revue et augmentée de l'étude, épuisée depuis plusieurs années, que lui avait consacré Pierre-André Taguieff en 1992.
Les " Protocoles " ont été fabriqués à Paris, en 1900-1901, par les services de la police politique secrète du Tsar, l'Okhrana, qui a fait appel, pour réaliser ce travail, au faussaire Matthieu Golovinski. Ce document, se présentant comme les minutes de séances secrètes tenues par les plus hauts dirigeants du " judaïsme mondial ", était censé révéler leur programme de conquête du monde. Dès 1921, la démonstration philologique a été faite qu'il s'agissait d'un faux paraphrasant le Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu, pamphlet alors bien oublié de l'avocat Maurice Joly, publié à Bruxelles en 1864, et dirigé contre Napoléon III.
Cependant, après cette démonstration sans appel, les " Protocoles " n'en ont pas moins continué leur course, jusqu'à devenir un best-seller planétaire. Le principal but des faussaires de l'Okhrana était de disqualifier toute tentative de modernisation " libérale " de l'Empire tsariste en la présentant comme une " affaire juive " ou " judéo-maçonnique ". De 1903 à la révolution d'Octobre, les " Protocoles " sont restés une arme idéologique dans les mains des antisémites russes et des policiers manipulateurs. Le faux n'est devenu le principal vecteur du mythe de la " conspiration juive mondiale " qu'après 1917. Le " péril juif " a pris les couleurs du " péril rouge " avec le meurtre de la famille impériale (17 juillet 1918), dénoncé comme un " crime rituel " commis par les " bolcheviks juifs ".
Utilisés d'abord comme machine de guerre idéologique contre le bolchevisme, les " Protocoles " ont été exploités à d'autres fins : expliquer après coup le déclenchement de la Grande Guerre comme la défaite de l'Allemagne par une machination juive, dénoncer la prétendue collusion des Juifs et de la " haute finance internationale ", réduire les régimes démocratiques à des masques d'une " ploutocratie mondiale à tête juive ", stigmatiser le sionisme comme une entreprise juive occulte de domination du monde, enfin démoniser l'État d'Israël, mythifié en tant que centre du " complot juif mondial ". Les " Protocoles " sont ainsi présents dans l'attirail idéologique du " nouvel antisémitisme " qui se déchaîne après la guerre des Six Jours (juin 1967).
Depuis, la nouvelle judéophobie à base " antisioniste " s'est enrichie des négations du " révisionnisme ", tandis que, dans les pays d'Europe de l'Est (communistes, puis post-communistes) comme dans les pays arabes et plus largement dans le monde musulman, la " conspiration juive internationale " est devenue le " complot sioniste mondial ".
Resterait le sacrilège secret et qui n'aurait été vu par personne
La politique comparée
de Montesquieu, Rousseau et Voltaire
Par Emile Faguet (1847-1916)
Dans l'extrait qui suit, Emile Faguet se réfère à une lettre de Frédéric II, roi de Prusse, aux oeuvres complètes de Voltaire.
La fabrique du consentement
Un appel à résister
Karl Kraus, contre l'empire de la bêtise
Le Monde diplomatique, août 2005, extrait
Une démarche dont on pourrait dire qu’elle est d’inspiration krausienne consisterait à dénoncer le règne du faux-semblant généralisé dans lequel sont installées les puissances occidentales. Contrairement aux apparences, ce monde « développé » moderne ne connaît ni la paix, ni la prospérité, ni la liberté pour tous, sinon en trompe-l’œil comme privilèges de minorités dominantes, masquant une réalité fondamentalement faite de violence, d’inégalité et d’oppression. La barbarie moderne n’a pas diminué, mais elle a appris à se farder davantage.
Kraus ne s’attaquait pas à une idée métaphysique de la bêtise, mais à ses manifestations et incarnations concrètes dans la société de son temps. En démontant ses multiples formes environnantes, il en dégageait des aspects essentiels, parfaitement reconnaissables à notre époque encore, dont le trait commun est l’incapacité d’analyser rationnellement la réalité et d’en tirer les conséquences.
Extraits d'un article de l'Humanité du 4 juillet 2002...
La fabrique du consentement
Malin, Chomsky, s’il remonte au début du XXe siècle et dissèque les effets de la propagande outre-Atlantique, c’est pour mieux mettre à l’index l’ensemble des " démocraties " occidentales. Il évoque donc la commission Creel qui, sous les auspices du président Wilson, eut pour mission, en 1916, de transformer un peuple pacifiste en une horde belliciste. Et ce grâce à une propagande dont les principes n’ont pas changé d’un iota : taire les arguments de l’opposition et jeter l’anathème sur l’ennemi idéal.
(...) Cette stratégie repose sur une conception foncièrement antidémocratique qui veut que, dans " l’intérêt du plus grand nombre " - en fait celui des élites - et du " bien commun " - accaparé par quelques-uns -, le pouvoir politique soit entre les mains d’un petit groupe. Paranoïa ? Hélas non : Walter Lippman, l’une des figures de proue du journalisme, dans la première moitié du XXe siècle, plaidait pour une " révolution dans l’art d’exercer la démocratie ", avec comme but la " fabrique du consentement ". Le peuple se voit taxé de " troupeau dérouté " réduit au rôle de " spectateur ". Qu’importe s’il se lobotomise devant le foot ou une sitcom, il faut tout faire pour éviter que les opposants se regroupent, que les non-dits s’entendent, que la population s’organise.
Des photographies de propagande nazie provoquent un malaise
LE MONDE | 11.04.08 | Extrait
La préférence de Zucca pour les beaux jours ensoleillés s'expliquerait techniquement : lentes, les pellicules auraient exigé une forte lumière. "Ce qui est impressionnant, c'est la prouesse technique du photographe", commente Jean Derens. Prouesse technique ou non, ces images peuvent vite devenir odieuses. Zucca est arrêté en octobre 1944. Son dossier classé, il se retire à Dreux et se fait photographe de mariages et de fêtes.
Par une coïncidence heureuse, l'artiste Christian Boltanski, né en 1944, présente au même moment à Paris sa pièce nommée Signal, inconnue en France. Il ne l'a exposée qu'une fois, à Mönchengladbach, en Allemagne, et l'a publiée en livre en 2004 à Berlin. Le principe est simple : Boltanski a choisi dans vingt numéros du bimensuel nazi des pages telles que le face-à-face de deux photographies mette en évidence la confusion des nouvelles et les mensonges officiels, par exemple David, de Michel-Ange, face aux tombes des soldats morts, le casque de fer bien en évidence. Pas de collage, pas de montage : rien que la juxtaposition des images telles que la mise en page de chaque numéro les proposait.
L'analyse que Boltanski obtient est d'une efficacité terrible. Signal a été montré pour la première fois en France à l'Ecole normale supérieure, à Paris, le 10 avril, le temps d'une soirée. Il faut souhaiter une présentation plus longue, car cette oeuvre à le pouvoir d'ouvrir les yeux.
Jacques Bouveresse
Satire & prophétie : les voix de Karl Kraus
Agone, 9/2007
Les « corbeaux » ou le délire de la persécution
Maître Paul Lombard, l’avocat des grands-parents Villemin dit son mépris pour les corbeaux.
Dans la plupart des cas, les “corbeaux” ne volent jamais très loin de leur victime, car la jouissance devant l’effet produit est un des moteurs de leur action. La souffrance de leur cible les inciterait à poursuivre leur petite activité épistolaire.
Pour se débarrasser d’un corbeau, mieux vaut garder son sang froid. La dépression ou l’angoisse ne ferait que l’inciter à continuer. Une règle d’or selon les experts : ne pas tenir compte du contenu des lettres de dénonciation ou de menace... et porter plainte.
Les "corbeaux" ou le délire de la persécution
France Info - 07:09, extraits
Une psychiatre parisienne sème le malaise dans la ville bretonne de Guingamp. Depuis trois ans, elle a envoyé des centaines de courriers injurieux à une dizaine d’habitants de la ville. Le phénomène des "corbeaux" frappe toujours les esprits. A l’origine, jalousie, aigreur et rancune.
Il y a les “corbeaux” médiatiques. Celui de l’affaire Clearstream par exemple, qui visait des hommes politiques. Et il y a les “corbeaux” du quotidien. Ceux qui empoisonnent la vie de leurs proches, de leurs voisins ou de vagues connaissances. Leurs missives empoisonnées sont généralement anonymes, mais pas toujours. La psychiatre qui distille depuis trois ans ses courriers haineux sur la ville de Guingamp, tout le monde la connaît. Sur ses courriers figure l’en-tête de son cabinet parisien, dans le un arrondissement chic de la capitale. Issue d’une famille d’agriculteurs de Guingamp, elle règle ses comptes avec la ville entière : maire, curé, procureur ou simples habitants, ses victimes se recrutent partout.
Internée, elle s’est enfuie... et s’est envolée. Ses courriers fous, complots ou accusations crapuleuses, continuent à inonder Guingamp, mais les enquêteurs de la gendarmerie ne parviennent pas à lui mettre la main dessus. Son cabinet et son appartement parisien sont vides, ses comptes bancaires intouchés, son téléphone portable muet.
Si l’affaire de Guingamp paraît exceptionnelle, elle n’est pas isolée. La lettre anonyme est l’expression de sentiments trop humains : un cocktail de jalousie, d’aigreur et de rancune qui mijote et qui finit par exploser.
Paul Bensussan, psychiatre et expert près la Cour d’Appel de Versailles. Les corbeaux se recrutent dans tous les milieux sociaux. Les annales judiciaires vont de Jean-Louis Gergorin, ex-dirigeant d’EADS, qui a reconnu être l’auteur des lettres anonymes de l’affaire Clearstream, à Angèle Laval, qui terrorisa la ville de Tulle entre 1917 et 1921 en l’inondant de courriers signés “l’oeil du Tigre”. Son histoire inspirera le cinéaste Henri-Georges Clouzot en 1943, avec son film Le corbeau, qui a popularisé l’emploi du terme pour les délateurs anonymes. Le plus connu des “corbeaux” est sans doute celui de l’affaire Villemin. Le lendemain de la mort de Grégory Villemin, son père recevait un courrier revendiquant le crime : “j’espère que tu mourras de chagrin, le chef.” Ce “corbeau”, qui harcelait la famille depuis plusieurs années, n’a jamais été retrouvé et son lien avec la mort de l’enfant jamais démontré.