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L’hygiène raciale nazie : le cas des sourds
Témoins sourds, témoins silencieux est le premier documentaire consacré à l’histoire des sourds sous le nazisme. La réalisatrice Brigitte Lemaine, avec la précieuse collaboration de Stéphane Gatti, démonte avec minutie, dans une enquête qui aura duré près de sept ans, la mécanique implacable du programme d’hygiène raciale nazi. Un voyage au cœur des ténèbres, des instituts d’euthanasie aux rampes d’Auschwitz, des stérilisations et avortements forcés à la « solution finale ».
Témoins sourds, témoins silencieux
Brigitte Lemaine, Stephane Gatti
55 min, DVD sorti le 15 mars 2007
Les films du paradoxe
L’hygiène raciale nazie
Le cas des sourds
De source interdits.net, extraits
(...) Appliquer la « sélection » au troupeau humain
Avant même l’arrivée d’Hitler au pouvoir, dans nombre de pays occidentaux, les sourds de naissance constituaient déjà une des cibles privilégiées de l’eugénisme (eugenics en anglais), la « science » des « bonnes naissances » (du grec eugénès, bien né). Inventée en 1883 par Francis Galton, cousin et ami de Darwin, l’eugénisme se voulait l’application scientifique du darwinisme et de la génétique à la société humaine. Traditionnellement, on distingue deux formes d’eugénisme ; un eugénisme négatif visant à entraver la prolifération des « inaptes » (les déficients mentaux, physiologiques, etc.), et un eugénisme positif visant à favoriser la reproduction des plus « aptes » (les génétiquement conformes). Mais dans les deux cas, il s’agit en fait d’un seul et même projet de « biologie politique » : améliorer le troupeau humain en le soumettant à une sélection artificielle, basée sur des critères « scientifiques » (la qualité des gènes). L’eugénisme, c’est le projet absurde, mais rationnel, d’une « biologie » appliquée à la résolution des problèmes sociaux et politiques. Interprétés comme des symptômes d’une dégénérescence raciale, la pauvreté, le crime, les maladies, la déviance, doivent faire l’objet d’un traitement médical approprié…
Les premières législations eugénistes apparaissent aux Etats-Unis dès 1907 (Indiana) et en Europe à partir de 1928 (Suisse et Danemark), donc bien avant les premières lois nazies (1933). Ces législations donnent lieu à un véritable activisme « médical » : internements, stérilisations, castrations, avortements forcés, et… premières « euthanasies ». André Pichot, philosophe et historien des sciences, le démontre avec une grande clarté dans son dernier livre : « Hitler n’a strictement rien inventé, il a mis en œuvre, jusqu’à leur aboutissement logique, des processus qui avaient été imaginés par d’autres que lui, bien avant lui. Et il les a étendu aux juifs pour qui ils n’avaient pas été initialement conçus » (La société pure « De Darwin à Hitler », éd. Champ Flammarion, 2000).
Explorer l’histoire des sourds sous le troisième Reich, c’est donc forcément s’interroger sur la place qu’ils occupent dans le programme d’hygiène raciale nazi. Témoins sourds, témoins silencieux constitue une véritable enquête historique. Un montage serré, très dense, combinant interventions de spécialistes, utilisation de documents d’archives et témoignages de sourds, permet de resituer la persécution des sourds par les nazis dans un cadre plus général : la mise en œuvre progressive, de 1933 à 1945, d’un plan d’extermination des « génétiquement inaptes » ; les malades mentaux, les handicapés, les homosexuels, les « dégénérés ».
(...) « Comment témoigner dans une langue qui ne s’écrit pas ? » Comment transmettre la mémoire dans une langue des signes jusque-là interdite ? Quand on est sourd, c’est la possibilité même du témoignage et donc de la mémoire qui est remise en question. Après avoir été rayés de la vie, les sourds ont été effacés de l’histoire par la quasi-impossibilité dans laquelle ils étaient de raconter aux entendants ce qu’ils avaient vécu. « Si les rescapés des camps du meurtre ont eu du mal à être crus, les sourds survivants, ne pouvant témoigner ont été oubliés » (extrait du film). Mais les sourds n’ont-ils pas depuis toujours été relégués dans les ombres et les silences de l’histoire ?…
LA LISTE DE CHICAGO
Liste des « personnes socialement inaptes » stérilisables
« Est socialement inapte toute personne qui, par son propre effort, est incapable de façon chronique, par comparaison avec les personnes normales, de demeurer un membre utile de la société. (…) Les classes sociales d’inaptes sont les suivantes : 1) les débiles mentaux ; 2) les fous ; 3) les criminels (y compris les délinquants et dévoyés) ; 4) les épileptiques ; 5) les ivrognes ; 6) les malades (tuberculeux, syphilitiques, lépreux, et autres atteints de maladies chroniques…) ; 7) les aveugles ; 8) les sourds ; 9) les difformes ; 10) les individus à charge (y compris les orphelins, les bons à rien, les gens sans domicile et les indigents). » (Rapport du laboratoire psychopathique du Tribunal municipal de Chicago, 1922, cité par A. Pichot in La société pure, p. 215)
La Langue des Signes Française (LSF)
De source www.culture.gouv.fr
En France, c’est au dix-neuvième siècle, après que l'abbé de l'Épée (1712-1789) a redonné droit de cité à la LSF, notamment comme fondement à l’éducation des sourds, que l’on a commencé à analyser le système gestuel des sourds (en particulier, A. Bébian 1825 et Y.L Rémi-Valade 1854). Après une longue interruption, due à l’interdiction des signes prononcée au Congrès de Milan (1880), les travaux linguistiques ont repris, d’abord aux États-Unis, en 1960 (W.C. Stokoe) puis, progressivement, un peu partout à compter du début des années 1970. On en a fait émerger les structures, les éléments signifiants, la grammaire.