« Le marché libre des enfants difficiles | Le « chiffre noir » des modes de résolution alternatifs des conflits » |
La justice médiévale
L'Église et la divination au Moyen Âge,
ou les avatars d'une pastorale ambiguë
Théologiques,
Volume 8, numéro 1 (2000)
Sur erudit.org
Une curiosité intense pour les choses à venir, et la recherche de « clés » pour en dévoiler à l'avance le secret, constituent l'une des composantes majeures de la culture médiévale. À des degrés et selon des modalités diverses, cette curiosité touchait tous les milieux, portait sur tous les domaines, utilisait toutes les techniques. Le savant scrutait le cours des étoiles pour en déduire le destin des individus et des nations. Le théologien scrutait les Écritures pour y décoder, cachées dans les replis de textes obscurs et de chiffres mystérieux, les dates du dernier drame du monde. Le paysan écoutait le chant du coucou le premier mai, pour savoir combien d'années il lui resterait à vivre. Partout circulaient des listes d'empereurs, de rois ou de papes à venir, signalant à l'avance leur caractère, leurs hauts faits et leurs déboires. (...)
Le crime pardonné
La justice réparatrice sous l'Ancien Régime (xvie-xviiie siècles)
Criminologie, vol. 32, n° 1 (1999), sur erudit.org, extrait
Marie-Sylvie Dupont-Bouchat
Professeure
Centre d'Histoire du Droit et de la Justice,
Université Catholique de Louvain, Belgique
Deux modèles de justice criminelle coexistent tout au long des xvie, xviie et xviiie siècles : celui de la justice royale fondé sur la condamnation et la punition, et celui, plus caché, de la justice réparatrice, fondé sur la négociation et l'accommodement, hérité du Moyen Âge. Mais à partir du xvie siècle, le souverain qui a monopolisé l'exercice de la justice, le droit de punir, s'est aussi réservé le droit de pardonner. Punir et pardonner constituent ainsi les deux volets complémentaires d'une double stratégie de maintien de l'ordre, fondée à la fois sur l'éclat des supplices et la générosité du pardon. Pour être pardonné, l'accusé doit reconnaître son crime, en demander pardon au souverain. Celui-ci lui accorde sa rémission, moyennant la réparation des dommages causés à la victime, ou à sa famille, et le paiement d'une amende au profit du souverain. La justice réparatrice s'inscrit désormais dans un modèle de « justice imposée » où la négociation est reléguée dans l'accord conclu avec la partie offensée.
Au xvie siècle en Europe, l'invention de la figure du « criminel », jugé et condamné par un juge, rompt avec l'image traditionnelle d'une justice médiévale qui ne connaît pas de « crimes » mais seulement des « faits », pas de « coupables » mais seulement des « auteurs », pas de « peine » ou de « châtiment », mais seulement une « réparation des dommages causés à la victime », pas de « juges », mais seulement des « arbitres » qui amènent les parties à négocier pour rétablir la paix.
L'objectif de la justice médiévale n'est pas de punir des coupables, mais de rétablir la paix entre les familles pour éviter le déchaînement de la vengeance privée, moyennant réparation du préjudice causé à la victime ou à sa famille. La victime se trouve ainsi au centre des préoccupations de la justice.
La pratique du pardon, étudiée par Gauvart (1991) pour la France médiévale, par Davis (1987) et Muchembled (1989) pour le xvie siècle, ou, sous une autre approche, par Delumeau (1990), ne peut se comprendre que dans son rapport avec la culpabilisation ou l'auto-accusation. « Péché avoué est à moitié pardonné» : pour être pardonné, il faut d'abord avoir reconnu sa responsabilité, sa culpabilité, son péché.
C'est grand dommage qu'il n'y ait plus aujourd'hui ni possédé, ni magicien, ni astrologue, ni génies. On ne peut concevoir de quelles ressources étaient il y a cent ans tous ces mystères. Toute la noblesse vivait alors dans des châteaux. Les soirs d'hiver sont longs. On serait mort d'ennui sans ces nobles amusements. Il n'y avait guerre de chateau où il ne revint une fée à certains jours marqués, comme la fée Mélusine au chateau de Lusignan. [...] Chaque village avait avait son sorcier ou sa sorcière, chaque prince avait son astrologue, toutes les dames se faisaient dire leur bonne aventure, les possédés couraient les champs, c'était à qui avait vu le diable ou qui le verrait. • Voltaire, Dictionnaire philosophique, Possédés.
A la suite, du livre « Les sorcières, fiancées de satan », Découvertes, Guallimard. Depuis, les institutions socio-judiciaires semble avoir bien changé encore. Voltaire aurait été entendu, le prince est à nouveau entouré d'astrologues, les possédés courrent les champs, la noblesse a recouvré ses amusements.