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Le rôle délicat des beaux-parents
Le rôle délicat des beaux-parents
LE MONDE | 12.08.08
En France, un couple sur trois se sépare, un sur deux en région parisienne. Du coup, le nombre d'enfants vivant dans des familles monoparentales, mais aussi recomposées, ne cesse de progresser. Confrontée de plus en plus dans sa pratique professionnelle à ces situations, Catherine Jousselme, professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent à Paris-Sud (Orsay), vient de publier un livre pour "répondre au défi de la famille recomposée".
Car l'aventure de cette nouvelle vie commune nécessite un minimum de préparation. En 1999, selon les dernières statistiques de l'Insee, on comptait déjà 1,6 million d'enfants vivant dans des familles recomposées, soit près de 9 % de l'ensemble des jeunes de moins de 25 ans contre 7,3 % en 1990. Si ces situations ont tendance à se banaliser, cela ne signifie pas pour autant qu'elles soient faciles à vivre et que les relations entre beaux-parents et beaux-enfants aillent de soi.
"Les enfants peuvent avoir un mouvement de tristesse, connaître un conflit de loyauté vis-à-vis de l'autre parent qui sera d'autant plus fort que celui-ci est seul ou que le conflit entre les parents biologiques perdure", explique Catherine Jousselme. Cette reconfiguration les confronte à la séparation définitive de leurs parents qu'ils ont souvent rêvé de réunir à nouveau.
Autant de raisons, pour la pédopsychiatre, d'avancer pas à pas, de prendre le temps de s'apprivoiser au travers de sorties, de visites, sans vouloir forcer les choses. "Les enfants ne sont pas obligés d'aimer leur beau-parent et il est important de leur dire", assure-t-elle. Quant aux beaux-parents, "ils doivent s'armer de patience car ils risquent d'être le lieu de projection de beaucoup d'agressivité", poursuit Catherine Jousselme. Les attaques narcissiques du type "toi, t'es gros", "t'es moche", "j'ai pas besoin d'une belle-mère", "t'es pas mon père", etc., ne sont pas rares. Difficile de rester stoïque face à ces remarques blessantes. Et, pourtant, le beau-parent doit dépasser sa propre souffrance et répondre avec calme. "Tout cela demande un amour très fort dans le couple et une grande détermination. Il faut que l'enfant expérimente le fait que son beau-parent est fiable", considère Catherine Jousselme.
Il existe de multiples configurations de familles recomposées. Sylvie Cadolle, sociologue, maître de conférences à Paris-XII-Créteil, a analysé les relations entre beaux-enfants et beaux-parents au sein de soixante familles recomposées, en 1996 et 1997. Dans un tiers des cas, les relations étaient franchement mauvaises, dans un autre tiers, bonnes, enfin, dans le tiers restant, faibles et plutôt indifférentes. "D'une manière générale, les témoignages des jeunes faisaient état de situations moins bonnes que ceux des adultes", précise la sociologue.
Les choses ont d'autant plus de chances de bien se passer que les enfants sont très jeunes et que le beau-père ne cherche pas, avec des enfants plus âgés, à imposer d'emblée son autorité. "S'il se présente avec l'idée de refaire l'éducation de l'enfant, il a très peu de chances d'être admis comme légitime", précise Sylvie Cadolle.
L'exercice de l'autorité est probablement un des aspects les plus problématiques de la recomposition familiale. L'autre parent biologique peut, en cas de conflit, saper totalement l'autorité du beau-parent. Dans ce cas, l'enfant risque d'avoir des problèmes de comportement. "Beaucoup de femmes préfèrent exercer seules l'autorité pour préserver les bonnes relations entre beau-père et bel-enfant, constate la sociologue, mais ça n'est pas forcément très bon car elles se retrouvent seules à imposer les contraintes éducatives."
Par ailleurs, quand le couple a chacun un ou des enfants de son côté, ces deux fratries n'ont pas la même histoire éducative. "Il va falloir reconstruire de nouvelles règles communes, faire une sorte de conseil de famille", commente Catherine Jousselme. La jalousie peut intervenir entre enfants et beaux-enfants. "Il est important de ménager des moments d'intimité avec ses propres enfants", considère la pédopsychiatre. Et, pourquoi pas, de passer une semaine de vacances seul avec eux.
"En général, la relation entre beaux-parents et beaux-enfants est plus compliquée pour les femmes que pour les hommes", constate Sylvie Cadolle. Les pères ont tendance à attendre d'elles qu'elles s'occupent de leurs enfants aussi bien que des leurs. Par ailleurs, elles représentent le pivot des enfants quand il y a plusieurs pères. "Si la recomposition fait suite à un veuvage ou si l'un des parents s'efface de la vie de l'enfant, alors seulement le beau-parent a un rôle de substitution à jouer", considère Sylvie Cadolle.
Si les beaux-parents peuvent avoir une attitude maternante ou paternante, il est important qu'il ou elle ne supplante pas la place du parent biologique. Sauf dans certaines situations particulières.