« Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu | Les juridictions coloniales devant la Cour de cassation » |
Juliette
Selon un article de la revue Champ Pénal, l'expérience du marquis de Sade, plusieurs fois et longuement emprisonné, serait « l’expression des contraintes répressives qu’il subit tout au long de sa vie ; (...) en même temps une résistance, une entreprise de subversion de celles-ci. Sur le fond, cette œuvre radicale s’ordonne non par autour de la sexualité, mais autour de la pénalité car elle se veut le renversement de l’ordre social que l’enfermement incarne. »
Extrait de Juliette, de la 4ième partie, d'autres sont tout aussi intrigants :
- Asseyons-nous, me dit ce libertin en me prenant à part, et écoutez-moi. Avant de me condamner sur l'action que je commets, parce que vous voyez à cette action un vernis d'injustice, il faudrait, ce me semble, mieux asseoir ses combinaisons sur ce qu'on entend par juste et par injuste. Or, si vous réfléchissez bien sur les idées que donnent ces mots, vous reconnaîtrez qu'elles ne sont absolument que relatives, et qu'elles n'ont intrinsèquement rien de réel. Semblables aux idées de vice et de vertu, elles sont purement locales et géographiques, en sorte que, tout comme ce qui est vicieux à Paris se trouve une vertu à Pékin, de même ce qui est juste à Ispahan devient injuste à Copenhague. Les lois d'un pays, les intérêts d'un particulier, voilà les seules bases de la justice. Mais ces lois sont relatives aux mœurs du gouvernement où elles existent, et ces intérêts le sont aussi au physique du particulier qui les a. En sorte que l'égoïsme, comme vous le voyez, est ici la seule règle du juste ou de l'injuste, et qu'il sera très juste, suivant telle loi, de faire mourir un particulier en ce pays-ci pour une action qui lui aurait valu des couronnes ailleurs, tout comme tel intérêt particulier trouvera juste une action qui, néanmoins, sera trouvée très inique par celui qu'elle lésera. Citons quelques exemples. A Paris, la loi punit les voleurs ; elle les récompense à Sparte : voilà donc une action juste en Grèce et fort illégale en France, et par conséquent la justice aussi chimérique que la vertu. Un homme casse les deux bras à son ennemi ; selon lui, il a fait une action très juste : demandez à la victime si elle la voit comme telle. Thémis est donc une déesse fabuleuse, dont la balance est toujours à celui qui la fait pencher, et sur les yeux de laquelle on a eu raison de mettre un bandeau.
- Minski, répondis-je, j'ai toujours ouï dire, cependant, qu'il y avait une sorte de justice naturelle dont l'homme ne s'écartait jamais, ou dont il ne s'écartait pas sans remords.
- Cela est faux, dit le Moscovite, cette prétendue justice naturelle n'est que le fruit de sa faiblesse, de son ignorance ou de ses préjugés, tant qu'il n'aura aucun intérêt à la chose. S'il est le plus faible, il se rangera machinalement de ce côté, et trouvera injuste toutes les lésions du fort sur les individus de sa classe ; devient-il le plus puissant, ses opinions, ses idées sur la justice, changeront sur-le-champ : il n'y aura plus de juste que ce qui le flattera, plus d'équitable que ce qui servira ses passions, et cette prétendue justice naturelle, bien analysée, ne sera jamais que celle de ses intérêts.
Donnons licence au juste et à l'injuste de faire ce qu'ils veulent ; suivons-les et regardons où, l'un et l'autre, les mène le désir. Nous prendrons le juste en flagrant délit de poursuivre le même but que l'injuste, poussé par le besoin de l'emporter sur les autres : c'est ce que recherche toute nature comme un bien, mais que, par loi et par force, on ramène au respect de l'égalité. • Platon
En s'interrogeant sur l'hétérogénéité des lois nationales dans sa célèbre formule : « le juste et l'injuste changent de qualité en changeant de climat », Blaise Pascal critiquait la diversité des différents systèmes juridiques au regard de l'universalité de la justice. Cependant, force est de constater que dans un même système, des règles d'inspiration diamétralement opposées peuvent être appliquées et permettre la survivance de pratiques profondément iniques. • M. Bruno Cotté, Président de la Chambre criminelle de la Cour de Cassation, Les juridictions coloniales devant la Cour de cassation (1828-1848), de la préface