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Petite digression
Voir aussi les actes du colloque L'évènement dans l'espace euroméditerranéen, Mémoire, Identité et Communication, septembre 2006, dans le cadre des 1ères journées scientifiques euroméditerranéennes.
Petite digression
un texte de Voltaire, probablement publié en 1766
Dans les commencements de la fondation des Quinze-Vingts, on sait qu’ils étaient tous égaux, et que leurs petites affaires se décidaient à la pluralité des voix. Ils distinguaient parfaitement au toucher la monnaie de cuivre de celle d’argent; aucun d’eux ne prit jamais du vin de Brie pour du vin de Bourgogne. Leur odorat était plus fin que celui de leurs voisins, qui avaient deux yeux. Ils raisonnèrent parfaitement sur leurs quatre sens, c’est-à-dire qu’ils en connurent tout ce qu’il est permis d’en savoir; et ils vécurent paisibles et fortunés autant que des Quinze-Vingts peuvent l’être. Malheureusement un de leurs professeurs prétendit avoir des notions claires sur le sens de la vue; il se fit écouter, il intrigua, il forma des enthousiastes: enfin on le reconnut pour le chef de la communauté. Il se mit à juger souverainement des couleurs, et tout fut perdu.
Ce premier dictateur des Quinze-Vingts se forma d’abord un petit conseil, avec lequel il se rendit le maître de toutes les aumônes. Par ce moyen personne n’osa lui résister. Il décida que tous les habits des Quinze-Vingts étaient blancs; les aveugles le crurent; ils ne parlaient que de leurs beaux habits blancs, quoiqu’il n’y en eût pas un seul de cette couleur. Tout le monde se moqua d’eux; ils allèrent se plaindre au dictateur, qui les reçut fort mal; il les traita de novateurs, d’esprits forts, de rebelles, qui se laissaient séduire par les opinions erronées de ceux qui avaient des yeux, et qui osaient douter de l’infaillibilité de leur maître. Cette querelle forma deux partis.
Le dictateur, pour les apaiser, rendit un arrêt par lequel tous leurs habits étaient rouges. Il n’y avait pas un habit rouge aux Quinze-Vingts. On se moqua d’eux plus que jamais: nouvelles plaintes de la part de la communauté. Le dictateur entra en fureur, les autres aveugles aussi, on se battit longtemps, et la concorde ne fut rétablie que lorsqu’il fut permis à tous les Quinze-Vingts de suspendre leur jugement sur la couleur de leurs habits.
Un sourd, en lisant cette petite histoire, avoua que les aveugles avaient eu tort de juger des couleurs; mais il resta ferme dans l’opinion qu’il n’appartient qu’aux sourds de juger de la musique.
L'abolition des droits féodaux
Interventions à l’Assemblée nationale : séance de la nuit du 4 août 1789, extrait
M. Target : L'Assemblée nationale, considérant que, tandis qu'elle est uniquement occupée d'affermir le bonheur du peuple sur les bases d'une Constitution libre, les troubles et les violences qui affligent différentes provinces répandent l'alarme dans les esprits, et portent l'atteinte la plus funeste aux droits sacrés de la propriété et de la sûreté des personnes ;
Que ces désordres ne peuvent que ralentir les travaux de l'Assemblée, et servir les projets criminels des ennemis du bien public ;
Déclare que les lois anciennes subsistent et doivent être exécutées jusqu'à ce que l'autorité de la Nation les ait abrogées ou modifiées ;
Que les impôts, tels qu'ils étaient, doivent continuer d'être perçus aux termes de l'arrêté du 17 juin dernier, jusqu'à ce qu'elle ait établi des contributions et des formes moins onéreuses au peuple ;
Que toutes les redevances et prestations accoutumées doivent être payées comme par le passé, jusqu'à ce qu'il en ait été autrement ordonné par l'Assemblée ;
Qu'enfin les lois établies pour la sûreté des personnes et pour celle des propriétés doivent être universellement respectées.
La présente déclaration sera envoyée dans toutes les provinces, et les curés seront invités à la faire connaître à leurs paroissiens, et à leur en recommander l'observation.
M. le Vicomte de Noailles : Le but du projet d'arrêté que l'Assemblée vient d'entendre est d'arrêter l'effervescence des provinces, d'assurer la liberté publique, et de confirmer les propriétaires dans leurs véritables droits.
Mais comment peut-on espérer d'y parvenir, sans connaître quelle est la cause de l'insurrection qui se manifeste dans le royaume ? Et comment y remédier, sans appliquer le remède au mal qui l'agite ?
Les communautés ont fait des demandes : ce n'est pas une Constitution qu'elles ont désirée ; elles n'ont formé ce vœu que dans les bailliages : qu'ont-elles donc demandé ?
Couches de Target
Il y eut, à peu près en même temps, une bouffonnerie assez singulière au sujet de l'accouchement de la constitution par Target. Je ne crois pas devoir citer ici cette bouffonnerie remplie d'expressions beaucoup trop libres. Je dois dire seulement qu'elle acheva de déconsidérer Target, au point qu'il n'osa plus même se montrer à la tribune.
Epigramme sur Target
Dans un fauteuil académique,
Maître Target dogmatisait.
Dans le fauteui! patriotique,
Maître Target catéchisait.
Entre les deux est chu le bon apôtre.
Or, voici comme advin le cas :
Le bon goût tira l'un ; le bon sns tira l'autre ;
Voilà mâitre Target à bas.
Cette pièce est, je crois, de Rivarol.
Des mémoires de M. le comte de Montlosier, sur la Révolution française, le Consulat, l'Empire, la Restauration, et les principaux événements qui l'ont suivie (1755-1830), Paris, 1829 (à moins que 1830...)