« Le double meurtre de Montigny-les-Metz | N° de pourvoi : 05-17883 » |
L'arche de Zoé
Société
La défense plaide le déni de justice
L'Humanité, le 15 janvier 2008
Arche de Zoé. Hier, le procureur de Créteil et les avocats des humanitaires se sont affrontés sur l’adaptation, en droit français, des huit ans de travaux forcés.
Après le fiasco humanitaire, le micmac judiciaire. Hier, dans le tribunal correctionnel de Créteil (Val-de-Marne), chacun livrait un argumentaire juridique bien ficelé mais totalement contradictoire. L’enjeu : adapter, au regard du Code pénal français, les huit ans de travaux forcés prononcés à l’encontre des six membres de l’Arche Zoé, le 26 décembre dernier, par la justice tchadienne.
Dans le box vitré, les cinq condamnés (l’infirmière Nadia Merini, trop faible, a été dispensée d’audience) regardent, mines défaites, les juristes s’affronter. Toujours en grève de la faim et très amaigri, Éric Breteau est arrivé en chaise roulante. « Les cinq (ses camarades) sont formidables, dira le leader de l’association en fin d’audience. Ce sont des gens au grand coeur. Ils ne méritaient pas ces injustices. Rendez-leur la liberté ! » Physique de viking, Alain Péligat, le logisticien de l’opération, s’effondre en pleurs en même temps que sa femme dès que leurs regards se croisent. Moins marquée que les autres, Émilie Lelouch lance un clin d’oeil à ses parents au premier rang, salue de la main ici et là dans la salle comble.
La parole est au procureur de la République, Jean-Jacques Bosc. « Votre tribunal est saisi de l’exécution de la peine prononcée par N’Djamena à l’exclusion de toute autre considération. Cette audience n’est pas un procès, prévient le parquetier sûr de son Code pénal. Vous ne pouvez pas porter d’appréciation sur la peine, ni modifier son quantum, ni la requalifier, ni l’assortir de sursis. Sinon, vous porterez atteinte aux principes du droit international. » En définitive, « vous êtes assez limités dans ce qu’il vous est demandé de faire », adresse-t-il aux trois juges.
De son côté, la défense a déposé ses conclusions : l’instruction et le procès à N’Djamena constituent une attaque en règle contre tous les principes fondamentaux du droit. Les avocats en appellent au respect de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). Conséquence, l’adaptation des peines ne peut avoir lieu. Jean-Jacques Bosc rétorque que « la France n’a pas à contrôler si la décision d’un état tiers a été rendue en conformité avec la CEDH. Sauf s’il y a déni de justice flagrant ou violation absolue des règles de procédures : comme l’absence d’avocats, ou la torture, ce qui n’a pas été le cas ici. » Conclusion du procureur : huit ans de travaux forcés égal huit ans d’emprisonnement dans les geôles françaises.
Une version qui ne convient guère aux avocats, comme le rappelle Me Gilbert Collard. « Le dossier ne nous a pas été communiqué, nous n’avons pas pu faire appel, pas pu faire citer de témoins, nous n’avons pas su sur quoi la cour criminelle a délibéré, pas su ce que sont devenues nos conclusions. » L’avocat dresse le terrible tableau d’un État totalitaire tchadien où règne un dictateur, Idriss Deby. Mais il exhorte aussi le tribunal : « Comment les juges peuvent-ils appliquer une peine sans se poser de questions sur la condamnation ? Vous ne pouvez pas être une justice caisse enregistreuse ! » Le jugement a été mis en délibéré au 28 janvier.
Nouvel Obs n° 2244