« Cour de cassation, n° de pourvoi 07-12116 | Section I : Les débats, le délibéré et le jugement » |
Cour de Cassation, n° de pourvoi 05-14964
18. – Il en serait différemment si l'objet du litige crée à la charge des deux parties une obligation probatoire : ainsi, lorsque le demandeur revendique une propriété immobilière au nom d'un titre et le défendeur au nom d'une possession, le juge doit les débouter l'un et l'autre si chacun succombe à sa charge de preuve (Cass. 3e civ., 14 juin 1972 : Bull. civ. III, n° 402, p. 294. – 3 déc. 1980 : Gaz. Pal. 1981, 2, p. 481, note A. Piedelièvre). Il faut donc soigneusement distinguer le cas du juge qui refuse de trancher, lequel commet un déni de justice, du cas du juge qui déboute, lequel prend simplement acte de la défaillance probatoire du demandeur à la preuve.
19. – De la même façon, le juge ne peut se voir reprocher un déni de justice en matière de recherche de preuves qu'autant qu'il supporte une obligation en la matière. La jurisprudence a rappelé qu'on ne peut évoquer l'article 4 du Code civil à l'encontre d'un tribunal qui s'est refusé à rechercher par expertise l'imputation du préjudice à chacune des parties en litige plutôt qu'à une seule, puisqu'ordonner une mesure d'instruction ne constitue pour lui qu'une faculté (Cass. 2e civ., 24 nov. 1993 : JCP G 1994, IV, 283).
20. – La frontière peut paraître étroite avec la jurisprudence qui le contraint par ailleurs, certes en visant l'article 1382 du Code civil et non l'article 4, à évaluer le dommage sans pouvoir y renoncer faute d'éléments (Cass. 2e civ., 17 mars 1993 : Bull. civ., II, n° 118, p. 62). Mais le critère apparaît aisément : le juge doit exercer son office et notamment tirer conséquence des éléments de preuve fournis, mais on ne peut le contraindre à plus. Ainsi, le déni de justice réapparaît si le juge dédaigne exercer ce qui lui incombe, à savoir à tout le moins vérifier les preuves qui lui sont proposées, comme le montre l'arrêt de la première chambre civile du 17 mai 1983 qui opère une cassation sur visa de l'article 4 du Code civil (Bull. civ. I, n° 149, p. 131)...
... Il faudra donc statuer, même si l'on se doute que, dans une telle situation, le juge tirera toute conséquence de l'incurie et que le demandeur n'aura en l'espèce guère de chance de voir l'appel aboutir à son profit. C'est là le jeu normal des présomptions.
... 45. – Pour se refuser à exercer son office, le juge ne peut tirer « prétexte du silence, de l'obscurité ou de l'insuffisance de la loi ». Le Code civil commence donc par viser deux cas particuliers, le silence et l'obscurité (1°), avant de viser une qualification plus générale, l'insuffisance (2°). Mais quelle loi peut être considérée comme parfaitement suffisante ?
JurisClasseur Civil Code > Art. 4, extraits
Cote : 11,1996
Fasc. unique : Déni de justice et interprétation de la loi par le juge
Marie-Anne FRISON-ROCHE
Professeur à l'Université Paris IX-Dauphine
Cour de Cassation, Chambre civile 2
Audience publique du 5 avril 2007, Cassation partielle
N° de pourvoi : 05-14964
Publié au bulletin
Président : Mme FAVRE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Donne acte à M. X... de ce qu'il s'est désisté de son pourvoi en tant que dirigé contre M. Y..., Mme Z..., M. A..., M. B..., administrateur judiciaire, pris en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Chantier naval du Nord ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que le navire de plaisance acquis par M. X..., après avoir été évalué par M. A..., expert maritime, a été assuré auprès de la société Commercial Union, aux droits de laquelle est venue la société Groupama transports (l'assureur) ;
que le navire a subi un premier sinistre alors qu'il se trouvait sur le terre-plein d'un port ; que M A..., expert requis par l'assureur, a chiffré le coût des travaux de réparation qui ont été pris en charge par l'assureur ; que le 9 mai 1998, M. X..., constatant une déformation de la coque du bateau, a effectué une seconde déclaration de sinistre et l'assureur a missionné un expert qui a évoqué un talonnage important antérieur à l'achat du voilier par M. X... ; que celui-ci a effectué une nouvelle déclaration de sinistre ; que devant le refus de l'assureur de le prendre en charge, M. X..., après avoir obtenu la désignation d'un expert en référé, a assigné devant le tribunal de grande instance son assureur en indemnisation de son préjudice ; que les propriétaires successifs du bateau ont été attraits à la procédure ainsi que M. A... ;
Sur le second moyen :
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de l'avoir débouté de ses demandes en indemnisation dirigées contre son assureur alors, selon le moyen :
1 / qu'en écartant la responsabilité contractuelle de l'assureur au titre des manquements que lui imputait l'assuré sans rechercher, comme elle y était expressément invitée, si le fait de ne pas avoir diligenté au printemps 1999 une action en garantie des vices cachés contre le vendeur initial, alors qu'elle disposait de tous les éléments pour ce faire et que la garantie défense-recours profitant à l'assuré l'y engageait, ne la constituait pas en faute, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;
2 / que si le mandataire est personnellement responsable envers les tiers des délits et quasi-délits qu'il peut commettre à leur préjudice dans l'accomplissement de sa mission, il n'engage pas moins par ses fautes la responsabilité de son mandant ; qu'en jugeant pourtant que la responsabilité de l'assureur ne pouvait être recherchée du fait des fautes reprochées à l'expert, son mandataire, la cour d'appel a violé les articles 1147, 1384, alinéa 5, et 1998 du code civil ;
Mais attendu, d'une part, qu'ayant retenu dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de preuve qui lui étaient soumis, que l'assureur avait réglé les conséquences d'un premier sinistre et assuré, au titre de la clause défense-recours, la représentation de son assuré dans la cadre d'une procédure l'ayant opposé à l'entreprise à laquelle le navire avait été confié, qu'à la réception de la déclaration de sinistre de février 1999, il avait missionné un expert et n'avait pas à prendre en charge les frais d'expertise judiciaire alors qu'il se trouvait assigné à la procédure de référé en qualité de défendeur, la garantie défense-recours ne concernant que l'action à l'égard des tiers, la cour d'appel a pu en déduire l'absence de faute de l'assureur ;
Et attendu, d'autre part, que l'arrêt retient exactement que l'expert est seul tenu de réparer les dommages qu'il a pu causer par les fautes qu'il a commises dans l'accomplissement de sa mission technique en ne menant pas les investigations complémentaires qui lui auraient permis de déceler l'existence d'un vice caché ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le premier moyen :
Vu l'article 4 du code civil ;
Attendu que le juge ne peut refuser de statuer, en se fondant sur l'insuffisance des preuves qui lui sont fournies par les parties ;
Attendu que pour débouter M. X... de sa demande en indemnisation à l'encontre de l'assureur, l'arrêt, après avoir retenu que les dommages avaient pour origine un talonnage antérieur à l'acquisition du voilier par M. X..., et relevé que seuls étaient garantis les dommages qui avaient pour origine un vice caché et non le coût des réparations du vice lui-même, énonce que les experts ont indiqué que le navire n'était plus en état de naviguer mais n'ont pas précisé que le navire n'était pas réparable, alors que l'expert avait évalué le montant des réparations à 49 096,26 euros ; que l'interruption des opérations d'expertise du fait de M. X... ne permet pas de distinguer entre les dommages qui auraient pu être pris en charge au titre du vice caché ;
Qu'en refusant ainsi d'évaluer le montant d'un dommage dont elle constatait l'existence en son principe, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a débouté M. X... de l'ensemble de ses demandes contre la société Groupama transport, l'arrêt rendu le 10 février 2005, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Rennes, autrement composée ;
Condamne la société Groupama transport aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau code de procédure civile, rejette la demande de la société Groupama transport ; la condamne à payer à M. X... la somme de 2 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq avril deux mille sept.
Décision attaquée : cour d'appel de Rennes (1re chambre B) 2005-02-10