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Ces experts psy qui fabriquent des coupables sur mesure
Ces experts psy qui fabriquent des coupables sur mesure
Marc Lemaire, Stéphane Lewden
L'Harmattan, février 2007
A partir d'un dossier qui fait écho à la terrible affaire d'Outreau et à bien d'autres, ce livre revient sur les pouvoirs exorbitants dont sont investis les experts psys. Ils énoncent des vérités sacralisées, aussitôt relayées par des mesures administratives ou judiciaires, aux conséquences dramatiques. Et si pour certains psys l'expertise n'était là que pour servir les gardiens de l'Ordre ? A Moins qu'ils ne voient en elle que le moyen de s'assurer une honorable carrière ? Quelles que soient les motivations des uns et des autres, il faut faire cesser le carnage.
Les psys tout puissants
De source l'Harmattan, Sud Ouest, février 2007
Deux médecins, dont le girondin Stéphane Lewden, dénoncent dans un livre certains experts psy qui fabriquent des coupables sur mesure
Médecin-chef dans un service de la gendarmerie nationale et expert près de la cour d'appel de Bordeaux, Stephane Lewden publie avec son confrère Marc Lemaire, aux éditions L'Harmattan, un ouvrage qui risque de faire quelque bruit. Le livre, "Ces experts psy qui fabriquent des coupables sur mesure" s'inscrit dans la vague post-Outreau. Il est notamment alimenté par les témoignages reçus par l'association Police judiciaire pour la justice (PJPJ) qui dénonce depuis plusieurs années les entraves au fonctionnement de la justice exercées sur les services de police et de gendarmerie. Les deux médecins l'avaient créée peu avant de publier un premier brûlot avec l'aide du député UMP Dominique Pailhé sur la face cachée du "Service de santé des armées".
"Sud Ouest". Sur quoi vous fondez-vous pour affirmer qu'il faut se méfier des psy ?
Stéphane Lewden. Il suffit de regarder ce qui se passe dans les entreprises ou les administrations. Lorsque quelqu'un gêne, n'est pas dans le moule, ne se fond pas dans la pensée commune, on l'envoie chez l'expert psy. C'est l'antichambre de la placardisation et de l'exclusion. C'est désormais là façon la plus simple d'écarter d'un groupe ou d'une communauté ceux qui, au consensus mou, préfèrent la confrontation des idées et des opinions. Cette machine infernale peut frapper n'importe qui. N'importe quel individu peut se trouver en difficulté à un moment ou un autre de sa vie et être présenté à un expert psy. Et alors là...
> Pourquoi les psy ont-ils pris autant d'importance ?
La société leur a laissé trop de place. On les voit partout. Sur les plateaux de télévision, dans les journaux, sur le Net... Il n'y a pas une seule question qui ne réclame pas son psy. Depuis plus de vingt ans, la société française à psychiatrisé tous les problèmes qui se posaient à elle. Elle a fait de cette discipline un mode de gestion des contentieux. Dès qu'un individu s'écarte de la règle commune, il devient suspect. L'ennui, c'est que la psychologie et la psychiatrie ne sont pas des sciences exactes.
> C'est-à-dire ?
L'examen d'un même malade par différents experts peut donner lieu à des diagnostics différents, voire opposés. Inversement, une pluralité d'experts peut passer totalement à travers. Comme à Outreau où 84 expertises psychiatriques et psychologiques avaient été ordonnées. Dans son rapport, la commission d'enquête parlementaire a relevé que cette accumulation avait engendré des effets inversés à ceux recherchés. Plus il a été commis d'expertises pour cerner une personnalité, plus on s'est éloigné de la réalité de celle-ci.
> Quel est le rôle de l'expert psy dans la procédure pénale ?
Dire s'il existe chez le sujet qu'il examine une pathologie mentale et si celle-ci a pu influencer son comportement au son discernement.
> Pourquoi les experts psy se trompent-ils aussi souvent ?
L'expertise psy est humaine, donc faillible. L'expert peut se tromper. Il faut l'admettre. Il n'est pas tenu à une obligation de résultat mais à une obligation de moyens. Il évolue dans un domaine aux frontières mal définies. Hors des cas relevant de la pathologie (psychose, schizophrénie...) ou des dossiers réunissant de nombreux faits objectifs (agressions multiples, attouchements avérés...), la psychiatrie et la psychopathologie sont sérieusement limitées dans leur pouvoir diagnostique. Raison de plus pour que les experts n'abusent, pas de leur pouvoir et restent dans le champ de leurs compétences.
> En privé, certains magistrats affirment faire peu de cas des expertises psy qu'ils sont contraints d'ordonner ?
L'expertise psy est utile. A condition que la démarche soit rigoureuse, que l'expert ne se laisse pas influencer et qu'il ne cède pas à la facilité de certaines interprétations. Ce n'est pas à un psy de dire si quelqu'un est coupable ou non, crédible ou pas. C'est un auxiliaire du juge, pas un juge. Il participe avec d'autres à la construction d'une vérité. Sachant que ses observations sont interprétées différemment par les magistrats et les avocats des parties, il doit s'exprimer simplement. Et ne pas avoir peur de dire qu'il ne peut pas répondre à une question s'il ne dispose pas des éléments suffisants.
> Peut-on avoir de bonnes expertises à des tarifs de femmes de ménage ?
(Silence). Effectivement, les experts médicaux sont les plus mal payés des experts. Entre 200 et 500 euros par expertise. Ce travail doit être revalorisé mais aussi évalué. Il faudrait créer une instance de contrôle, un observatoire national. Cela permettrait de mesurer la qualité des expertises mais d'écarter aussi certains spécialistes médiocres ou peu scrupuleux.