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Le psychiatre qui dérange
L'Express du 22/12/2005
Le psychiatre qui dérange
Quand un praticien hospitalier s'oppose aux méthodes d'internement: une affaire inquiétante
Le tribunal administratif d'Orléans (Loiret) vient d'annuler, le 15 décembre, deux arrêtés préfectoraux écartant de ses fonctions un psychiatre qui s'opposait aux méthodes d'internement pratiquées par l'hôpital de Fleury-les-Aubrais, où il travaillait. Le Dr Philippe de Labriolle s'est vu placer d'office en congé maladie en décembre 2002, après avoir refusé à plusieurs reprises de signer le deuxième certificat médical d'hospitalisation d'un patient déjà admis sous contrainte, alors que la loi exige que ce document soit établi avant l'internement. Le médecin récalcitrant avait aggravé son cas en dénonçant publiquement ces pratiques dans la presse locale. «Je ne suis pas un détracteur de la loi sur les internements sous contrainte, se défend le Dr de Labriolle. Je demande qu'elle soit correctement appliquée. Ce qui suppose que le médecin délivrant le certificat puisse donner un avis médical en toute indépendance. Ce n'était pas mon cas.» L'affaire est symptomatique d'une tendance inquiétante: la multiplication des internements sous contrainte, dont le nombre a doublé depuis dix ans. Chaque année, près de 40 000 personnes sont hospitalisées de force en psychiatrie, à la demande d'un parent, d'un voisin ou de l'administration: un chiffre trois à quatre fois plus élevé qu'en Italie, en Espagne ou au Royaume-Uni. Cette situation, maintes fois dénoncée par la Cour des comptes ou la Cour européenne des droits de l'homme, n'est pas près de changer. Le 12 mai dernier, la commission des Affaires sociales de l'Assemblée nationale a rejeté la création d'une commission d'enquête sur le sujet, tout en suggérant la mise en place d'un groupe de travail... qui n'a pas vu le jour. Le ministère de la Santé n'a pas hésité à déclarer le Dr de Labriolle «atteint de pathologie mentale», sur la base d'une expertise réalisée sans qu'il soit entendu. L'Ordre national des médecins, en janvier 2004, a déclaré le psychiatre parfaitement sain d'esprit et apte à exercer ses fonctions.
Cette volonté de mise au pas s'inscrit dans un contexte de crise de la psychiatrie. De moins en moins nombreux - leurs effectifs vont diminuer de 40% d'ici à dix ans - les praticiens sont voués à exercer des tâches de plus en plus administratives, sous le contrôle de la hiérarchie hospitalière.