« Les délais déraisonnables dans les contentieux prud’homaux | Baromètre 2007 de la corruption dans le monde » |
L'enfant proie
L'enfant proie
Dysfonctionnements et dérives de la protection de l'enfance
Pascal Vivet, Samuel Luret
Seuil, avril 2005
Page 53
Les époux Bisson condamnés à 24 ans de prison
Nathalie et Stéphane Bisson ont été condamnés, jeudi soir, à 24 ans de prison pour avoir rendu une fillette infirme en la torturant. Durant le procès d’assises, beaucoup on dénoncé les graves négligences des services sociaux et le manque de suivi de la famille d’accueil.
La République
Publié le: 18 février 2002
Au centre, Me Forster, avocat de la défense, a rejeté une partie des responsabilités sur les services sociaux. Il a évoqué la disparition d’un rapport de la PMI, établi à Brie-Comte-Robert, défavorable à la famille Bisson.
Ils ont le visage de monsieur et madame « tout le monde ». On donnerait même le Bon Dieu sans confession à Nathalie Bisson, 34 ans, blonde, les cheveux bouclés encadrant un visage émacié. De lundi à jeudi, à Melun, elle comparaissait dans le box des accusés, impassible, aux côtés de son mari. Stéphane, 35 ans, brun, les cheveux coupés courts, a souvent baissé la tête en pleurnichant durant ces quatre jours de procès d’assises qui se sont déroulés à huis-clos.
Jeudi soir, les jurés ont prononcé pour l’un et l’autre une peine de prison de 24 ans de prison pour avoir torturé une fillette de quatre ans et demi jusqu’à la rendre infirme. Stéphane a également été reconnu coupable de viol. La fillette avait été mise en placement provisoire dans cette famille d’accueil, au début de l’été 1999. En attendant que la maman, vivant seule, se remette de ses ennuis de santé et retrouve du travail.
Couple « modèle »
Le couple Bisson a longtemps représenté aux yeux de tout le monde l’image de la famille modèle. Deux enfants bien traités, un grand pavillon à Lésigny avec un chien. Le mari est chauffeur-livreur. La jeune femme travaille dans la vente avant de s’arrêter pour garder ses deux jeunes enfants. Quand elle se porte candidate pour devenir assistante maternelle, l’agrément est délivré aussi facilement qu’une lettre à la poste. Car ce sont bien les apparences qui semblent avoir trompé tout le monde. De façon dramatique.
Il aura suffi de quelques semaines, pendant les vacances d’été, pour anéantir cette fillette en pleine santé. Torturée et même violée, la fillette gardera les séquelles indélébiles de ces actes de barbarie.
La victime, aujourd’hui âgée de 7 ans et demi, ne pourra plus jamais marcher. Paralysée, elle se déplace en fauteuil roulant. Elle vit dans un centre spécialisé de réadaptation fonctionnelle, où elle apprend aujourd’hui à déglutir, à articuler des sons et à bouger un bras.
Deux hospitalisations
Au début du mois de septembre 99, la petite victime est hospitalisée à deux reprises. La première fois, le 3 septembre, aux urgences de Créteil. Les médecins diagnostiquent un traumatisme crânien, et constatent des blessures au visage et des douleurs abdominales. La petite fille a des touffes de cheveux en moins, se plaint de douleurs abdominales et semble terrorisée.
Nathalie Bisson raconte que la petite fille est tombée dans l’escalier et qu’elle a tendance à s’automutiler. Le pédiatre la laisse repartir après l’examen médical. « Le pédiatre de l’hôpital n’a rien vérifié », s’énerve Me Forster, avocat de la défense. Or le dossier médical et les radios font bien apparaître des lésions qui datent de ce premier traumatisme ».
La visite de l’assistante sociale, quelques jours plus tard, au domicile des époux Bisson, ne permet pas non plus de sauver la fillette des griffes de ses tortionnaires. Le 7 septembre, l’assistante sociale trouve la fillette somnolente, sur un canapé. Nathalie Bisson en explique les raisons, en présentant l’ordonnance du médecin de famille. On lui a administré du Melleril, un médicament pour traiter les crises symptomatiques d’angoisse.
Cette visite n’arrête pourtant pas les époux Bisson dans leur escalade de la violence. Après le départ de l’assistante, la fillette est violée par Stéphane Bisson et projetée contre le bois de lit. La victime est ensuite abandonnée toute la nuit, dans le coma. Le lendemain matin, elle est finalement hospitalisée d’urgence à Melun puis transférée à Necker.
Indifférence et abandon
« C’est le drame d’une fillette que personne n’a écoutée et qui n’a rencontré qu’indifférence », analyse Me Bocquillon, l’avocat de l’association Enfance et Partage.
Camille Potier, l’avocate de la mère de la victime, dénonce pour sa part les graves négligences qui sont au cœur de ce drame. Elle pointe notamment du doigt celles de l’UFSE (l’Union Française pour le Sauvetage de l’Enfance) qui avait placé la fillette dans cette famille d’accueil. « Personne ne s’est posé de questions en voyant que la fillette perdait ses cheveux », s’indigne-t-elle. « On ne peut pas se contenter d’explications très bien présentées par la famille d’accueil. L’association n’avait pas sa place à côté de ma cliente sur le banc des parties civiles. Et je suis très choquée par leur absence de remise en question. On se retrouve face aux murs et aux institutions qui broient tout. »
Dans le cadre de la procédure, la constitution de partie civile de l’UFSE avait été dans un premier temps jugée irrecevable. Mais l’avocat de l’association avait fait appel. « Il ne faut pas renverser les culpabilités », s’indigne Me Malka. « C’est trop facile d’accuser l’association, dont c’est le seul cas dramatique dans la mémoire de l’institution. Beaucoup de personnes n’ont rien vu. On a tous été bernés par les époux Bisson ».
Pour l’avocat de Stéphane Bisson, Me Forster, qui rejette une partie des responsabilités sur les services sociaux, ce drame aurait en tout cas simplement pu être évité par un simple coup de téléphone. « On a interdit à la petite d’être en contact avec sa maman, sous le prétexte de favoriser l’intégration. »
Selon lui, la petite a été victime d’abandons successifs, y compris par les médecins. Or, une loi du 10 juillet 1989 précise que le procureur ou la police doivent être alertés dès qu’un mineur est maltraité ou susceptible de l’être.
De fortes indemnités réclamées
L’audience civile concernant Nathalie et Stéphane Bisson, déjà condamnés pour avoir torturé une fillette, se déroulait lundi après-midi, à la cour d’assises de Melun. De fortes sommes ont été demandées pour dédommager la victime et sa mère.
La République
Publié le 11 mars 2002
Me Camille Potier a demandé une somme provisoire de 149 400 E pour la fillette, rendue infirme par des actes de barbarie.
Les cinq avocats de la partie civile et les deux défenseurs des époux Bisson se sont retrouvés à nouveau face à face, lundi. Mais, cette fois, pour l’audience civile. Le tout étant de déterminer les responsabilités civiles dans cette horrible affaire. Une fillette de quatre ans ayant été rendue infirme à la suite de sévices infligés dans sa famille d’accueil, à Lésigny, en septembre 1999. Pour ces faits, Nathalie et Stéphane Bisson avaient été condamnés à 24 ans de prison aux assises de Melun, voici trois semaines.
Lésions irréversibles
L’avocate de la mère de la victime, Camille Potier, a évoqué les lésions irréversibles de l’enfant, en liaison directe avec les actes de barbarie. Son carnet de santé ne faisait état d’aucun trouble avant le placement.
Après les sévices infligés, la fillette a passé treize jours dans le coma, puis deux mois dans un état neuro-végétatif. Actuellement placée dans un centre de réadaptation fonctionnelle, la fillette souffre d’une paralysie faciale et est incapable de soutenir sa tête. Ses jambes sont appareillées.
Me Potier a également soulevé les risques d’aggravation de l’état de santé l’enfant, qui ne sera sans doute pas être consolidé avant l’âge de 15 ans.
Indemnités
A ce titre, elle a demandé la condamnation des époux Bisson à verser solidairement à la victime une somme provisoire de 149 400 E. La somme totale sera déterminée après le bilan de santé définitif, dans quelques années.
Me Potier a demandé par ailleurs des indemnités pour la mère de la victime. Vivant seule, et au chômage, elle avait confié sa fillette le temps de se remettre de ses ennuis financiers et de santé. « Elle éprouve aujourd’hui une très grande culpabilité morale, a-t-elle plaidé. Elle est seule pour assurer l’entretien et l’éducation de sa fille, qu’elle ne retrouvera jamais comme auparavant ».
A sa sortie du centre de rééducation, la prise en charge de la fillette sera lourde. Elle nécessitera notamment l’achat de matériel spécialisé et l’équipement de l’appartement. En conséquence, l’avocate a demandé qu’une somme globale de 198 185 E soit versée à la mère de la victime, au titre du préjudice moral et pour assurer les dépenses d’entretien
Services sociaux
L’avocate a par ailleurs demandé l’irrecevabilité de la constitution de partie civile de l’Union Française pour le Sauvetage de l’Enfance, l’association à l’origine du placement de la fillette. « Cela me gêne que l’association vienne réclamer 1 E symbolique, a-t-elle plaidé. Car elle est responsable civilement en tant qu’employeur.
Et de rappeler que Nathalie Bisson avait été embauchée à titre d’assistante maternelle sur la base d’un contrat à durée déterminée le 1er juillet 1999. Quinze jours plus tard, la famille d’accueil étant autorisée à emmener la fillette en vacances d’été, jusqu’au 1er septembre, échappant ainsi à tout contrôle. Or, pour les spécialistes de l’enfance, c’est précisément la période où il faut redoubler de surveillance. L’école n’étant plus là pour assurer son rôle d’alerte.
Camille Potier a même parlé de « non assistance à personne en danger. » Signalant que la fillette n’a jamais été entendue seule, sans la présence de ses tuteurs. Et que malgré l’état alarmant de la fillette, après une première hospitalisation aux urgences de Créteil, l’éducatrice n’a entrepris aucune démarche immédiate.
Délibéré
Les avocats de la défense sont allés dans le même sens, rejetant également une partie des responsabilités sur les services sociaux. Me Forster s’interrogeant, pour sa part, sur les conditions de l’attribution de l’agrément à la famille Bisson.
De son côté, l’avocat de l’UFSE a estimé qu’il n’y avait pas de faute directe de la part de l’association. Faisant valoir que l’institution, reconnue d’utilité publique, œuvre depuis 110 ans en faveur des enfants, sans avoir rencontré de problèmes jusqu’à ce drame. « Ce crime odieux n’a pu être possible que par la personnalité des époux Bisson ».
Les autres parties civiles ont également demandé des dommages et intérêts. Il s’agit du Conseil général des Hauts-de-Seine, qui avait confié la fillette à l’UFSE. Ainsi que deux autres associations spécialisées dans la protection de l’enfance : Enfance Majuscule ; Enfance et Partage.
Le délibéré sera rendu vendredi 15 mars. Le montant des sommes réclamées sera alors fixé. Et l’UFSE saura si elle est condamnée à verser, solidairement avec les époux Bisson, une partie des indemnités.