« Métamorphoses de la parenté | La France de Vichy » |
Le démariage. Justice et vie privée
Le démariage. Justice et vie privée
Irène Théry
Éditions Odile Jacob, 1993, reédité en 2001
Où en est le divorce en France ? Comment la Justice le règle-telle dans les cas difficiles ? Le juge ne peut plus invoquer les modèles traditionnels. En l'absence de repères, ce sont souvent les experts, les "psy" qui ménagent leurs conseils et affichent leurs certitudes. Par-delà le divorce, ces difficultés révèlent les impasses d'un mode de pensée dominant qui ne voit plus dans la loi commune que l'ennemie de la liberté de chacun. Pour protéger la vie privée, n'est-ce pas la loi qu'il faut réinventer ?
La demande d’expertise
Par Caroline Helfter
Informations sociales 2006-5 (n° 133)
Avec les différentes réformes intervenues depuis 1975 – instauration du divorce par consentement mutuel, puis légalisation du principe de l’autorité parentale conjointe après le divorce –, un modèle s’est imposé : celui du “bon divorce” avec des époux qui se démarient en douceur. Pourtant, on l’imagine bien : tel n’est pas toujours le cas. Irène Théry, sociologue du droit, le démontre avec brio dans un ouvrage déjà ancien, mais dont les analyses n’ont rien perdu de leur pertinence. La chercheuse a étudié 700 divorces très conflictuels jugés en 1985, pour lesquels les magistrats n’avaient pu statuer “dans l’intérêt de l’enfant” sans recourir à des mesures d’instruction particulières (enquêtes sociales, examens psychologiques ou psychiatriques).
Parmi les nombreuses informations que cette recherche met en évidence, deux enseignements retiennent particulièrement l’attention. Le premier est l’inégalité sociale face au modèle du bon divorce négocié. ”Bien avant d’être un nœud psychologique, souligne Irène Théry, ces divorces ont une histoire et un contexte social qui pèsent extrêmement lourd”. Certes, une minorité des situations étudiées (18 %) concernent des couples plutôt privilégiés. Dans leur cas, la demande d’expertise fait suite à un conflit aigu, souvent ancien, parfois à une pathologie mentale de l’un des deux parents et/ou à des troubles psychologiques des enfants. Les difficultés sociales sont présentes dans tous les autres divorces : les problèmes matériels (d’argent, de logement) exacerbent les difficultés familiales. Autant dire que la façon dont on parle couramment du divorce, en l’envisageant essentiellement sous l’angle psycho-relationnel, est ”un déni du réel”.
Le deuxième constat particulièrement frappant est le peu d’effet de l’expertise sur la décision du magistrat. Non pas que celui-ci ne suive pas les analyses de l’expert, mais parce que celles-ci ne font qu’entériner la garde provisoire ordonnée auparavant par le juge, soit une mesure par laquelle ce dernier confirmait presque toujours la situation de fait que les parents lui avaient présentée. Autrement dit, “que l’on soit femme ou homme, il est décisif pour l’avenir de conserver les enfants avec soi”, car c’est le rapport de forces initial qui se trouvera finalement légalisé. À quoi sert alors l’expert ? Pour Irène Théry, une seule chose est sûre : “Il est illusoire de croire que la procédure puisse "remettre à plat" la situation pour examiner en toute abstraction si l’intérêt des enfants est d’être plutôt avec l’un ou l’autre. La rente de situation du gardien de fait est bien trop importante.” Son prix est également lourd : les femmes se retrouveront le plus souvent perdantes sur le plan financier, les hommes perdront contact avec leurs enfants – même si les divorces étudiés se terminent par 20 % de garde au père, soit le double de la moyenne nationale en 1985.