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Les lettres de cachet pour affaires de famille
(…) Consacré en France par l'ordonnance de Villers-Cotterêts, en août 1539 (...) Le roi affirme sa toute-puissance en aggravant l'arbitraire qui pèse sur l'inculpé. L'instruction du procès, devenue écrite et secrète, se substitue au débat oral et public. Ceci laisse peu de chances aux individus issus de la majorité illettrée de la population, face au juge qui manie l'écriture et connaît seul avec exactitude les charges et le contenu du dossier. En un mot "l'idée mère de l'ancienne procédure criminelle était l'intimidation." L'accusé se retrouve donc face au pouvoir absolu du juge, tout comme chaque sujet subit le pouvoir absolu du roi. • Robert Muchembled, Sorcières, Justice et Société
Les lettres de cachet pour affaires de famille en Franche-Comté au XVIIIe siècle
Thèses de l'Ecole nationale des chartes
Thèse soutenue en 2008, Jeanne-Marie Jandeaux
Première partie, Chapitre III
Failles et contraintes du système des lettres de cachet
Le contexte et l’objet même de la procédure des lettres de cachet de famille rendent sa conduite délicate. D’une part, elle implique l’ensemble de la hiérarchie administrative et exige une grande rigueur dans son exécution. D’autre part, elle plonge les agents du roi au cœur des passions familiales et au sein de réseaux de parenté et de sociabilité de plus en plus actifs au niveau local. Assurément, l’administration royale n’en sort pas indemne et son objectivité pose problème dans le règlement des affaires de famille, surtout dans le cas des subdélégués. En outre, elle manque de moyens et a du mal à maîtriser la procédure dans toute sa continuité. Les erreurs commises sont multiples, l’information souvent approximative. Une collaboration indispensable mais difficile à mettre en œuvre s’établit entre les directeurs des maisons de force, les supérieurs des couvents et monastères et également les intendants des provinces où sont localisés certains lieux de détention. Pour l’administration royale, la tâche s’avère donc extrêmement complexe et accapare beaucoup de son temps. Pourtant, les failles et les approximations qu’elle laisse voir nuisent à son image et à celle de l’institution dans son entier, tout en permettant des injustices flagrantes. Les familles exploitent sans vergogne ses faiblesses en exerçant une pression de tous les instants sur le secrétaire d’État, l’intendant et le subdélégué et en jouant de la considération dont elles jouissent et surtout du fort respect de l’honneur familial et de l’autorité paternelle qui imprègne la pratique administrative et l’ensemble de la société d’Ancien Régime.
Deuxième partie, Chapitre III
Quand l’honneur dissimule l’intérêt.
Motifs revendiqués et motifs réels des lettres de cachet de famille
L’argent est le moteur des conflits familiaux. La recherche omniprésente de l’intérêt pécuniaire anime la plupart des demandes de lettres de cachet de famille. Celle-ci est parfaitement admise par l’État lorsqu’il s’agit de faire cesser les dissipations d’un fils qui menacent de ruine et de déshonneur la famille. Mais la lettre de cachet est également un moyen commode d’écarter un parent gênant pour lui prendre son bien ou mettre fin à ses prétentions sur un héritage. À l’origine des différends familiaux donc, un événement ponctuel déclenche les hostilités, en l’occurrence le plus fréquemment le décès du père et ses conséquences, la contestation du testament ou des droits de la mère veuve, les difficultés du partage entre les membres de la famille. Le remariage de la mère ou du père génère également une situation explosive et des tensions sans fin entre enfants du premier et du second lit, entre beaux-parents et enfants. Enfin, la lettre de cachet permet d’interrompre brutalement un procès même si ce procédé est banni en théorie des pratiques de l’administration royale. Comment celle-ci réagit-elle à l’égard des abus et des injustices flagrantes qu’elle ne peut ou ne veut empêcher ? En réalité il lui est très difficile de percer à jour les véritables motivations des parents et à quelques exceptions près, la lettre de cachet est accordée alors que c’est manifestement l’intérêt qui pousse les parents à agir. Le sort de l’accusé, la menace qu’il représente pour l’honneur de la famille, en principe préoccupation première de la famille, ne sont en fait fort souvent qu’accessoires. De sombres motivations financières et des sentiments peu flatteurs de jalousie et de vengeance se greffent en effet sur la plupart des demandes de lettres de cachet de famille.
La transmission des biens constitue bien l’axe des conflits familiaux ; plus simplement, ce sont la haine et la rancœur qui guident les démarches de certains parents. Au même titre que l’argent, les intrigues amoureuses polarisent toutes les tensions au cœur de la famille. Qu’il s’agisse de la formation d’une nouvelle union, officielle dans le cadre d’un remariage ou secrète dans le cadre d’une relation extra-conjugale, les ferments d’une crise grave sont posés entre ceux qui se sentent exclus du nouveau ménage et ceux qui, en tant que conjoint imposé voire détesté, gênent l’épanouissement personnel de l’autre. La tentation est grande alors de faire usage de la lettre de cachet pour éliminer de sa vie un proche bien embarrassant.
Conclusion
(...) L’arbitraire des ordres du roi tant dénoncé à l’approche de la Révolution est un exutoire commode pour stigmatiser les insuffisances du vieux régime dans son entier. Pourtant s’il est question d’un arbitraire dans la procédure des lettres de cachet de famille, c’est bien plus de celui des pères, des époux, voire de la famille dans son ensemble que de celui du roi qu’il s’agit.
Les affaires de famille sont donc un bourbier dans lequel s’enlise l’administration royale en y laissant beaucoup de forces. Mais l’enjeu est de taille : contrôler la famille est un défi que l’État monarchique s’est attelé à relever ; s’il n’en a retiré que peu de profit, il a eu le mérite d’inaugurer une politique sociale en direction des familles que les régimes qui lui succèdent ont soin de continuer.