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Maison d'Ariane : les trop beaux CV de l'accusé
L'Humanité, Société
Article paru le 5 mars 2007
Treize ans de prison pour le directeur violeur
Procès . Vendredi soir, l’ancien responsable de la Maison d’Ariane, un centre anti-IVG installé en Vendée, a été reconnu coupable de viols.
Maison d'Ariane : les trop beaux CV de l'accusé • Hier, la cour a examiné le cursus de Jean-Pierre Baudry, accusé de viols.
QUOTIDIEN : mercredi 28 février 2007, extrait
Se faire embaucher dans un foyer d'aide sociale à l'enfance de Vendée ? Simple comme un coup de fil. Même quand on vient de se faire virer pour faute lourde d'une autre structure sociale du même département. Qui elle-même ignorait tout d'une précédente condamnation à cinq ans de prison pour escroquerie dans un foyer de l'enfance de l'Oise...
Hier, la cour d'assises de La Roche-sur-Yon a épluché le passé professionnel de Jean-Pierre Baudry, accusé d'avoir harcelé, agressé et violé des salariées et des pensionnaires de la Maison d'Ariane, un foyer pour jeunes femmes enceintes en détresse, qu'il dirigeait entre 2002 et 2005.
«Il me demandait combien je prenais pour une pipe» • Les femmes qui accusent d'agressions sexuelles le directeur du foyer maternel ont témoigné au procès.
QUOTIDIEN : vendredi 2 mars 2007
Sujet à des «accès de don juanisme», Jean-Pierre Baudry reconnaît qu'il «aime séduire». Il fait des compliments et des propositions sexuelles à tout va : lors d'entretiens d'embauche, ou aux femmes qui travaillent sous ses ordres... Et parfois, ça marche, puisqu'il admet avoir donné quelques coups de canifs à son contrat de mariage, en ayant des «relations sexuelles consenties» avec certaines subalternes. L'ennui, c'est que les femmes très nombreuses qui défilent, depuis lundi, devant les assises de La Roche-sur-Yon (Vendée) ne dressent pas de lui le portrait d'un charmeur. Plutôt celui d'un pervers manipulateur qui use de son pouvoir.
Neuf d'entre elles l'accusent de harcèlement, agressions sexuelles ou viols, durant la période où il dirigeait la Maison d'Ariane (2002-2005), un foyer maternel créé par une association d'opposants à l'avortement et financé par le conseil général de Vendée. D'autres surgissent de son passé professionnel, parfois lointain, pour dénoncer des faits du même ordre, tus ou étouffés à l'époque. Jean-Pierre Baudry, 63 ans, les regarde d'un air de Droopy ennuyé. Et quand le président Hovaere l'interroge, il peine à trouver les motifs de ce «complot» ourdi par tant de femmes qui, pour certaines, ne s'étaient jamais rencontrées.
Vulnérables. Jean-Pierre Baudry a fait l'essentiel de sa carrière dans le secteur social, souvent à la tête d'institutions chargées de protéger des personnes fragiles (handicapés, enfants placés, femmes alcooliques, mères en détresse...). Vulnérables, comme Zoé (1) qui pleure à la barre. Devant les policiers et le juge d'instruction, elle a accusé le directeur du foyer d'agressions sexuelles. Puis soudain, au président des assises, elle déclare que cela a été plus loin que des caresses sur les seins ou les fesses. Mais pas moyen de mettre des mots. «Dans mon pays, en Somalie, j'ai vécu des viols sans arrêt», hoquette-t-elle.
Sa courte histoire se dessine par bribes. Un jour de 2003, elle débarque à Paris. Elle a 14 ans et demi. Seule, enceinte, elle ne parle pas français. Violée par ses «kidnappeurs», comme une quinzaine d'autres enfants à Mogadiscio, elle est passée par l'Italie où elle était destinée à la prostitution. Mais sa grossesse a compliqué les plans et ses ravisseurs s'en sont débarrassés dans le premier train venu, à destination de la France. «A la gare, j'ai repéré un Arabe. Il était pressé, il prenait le train. Il m'a acheté un billet et m'a emmenée avec lui en Vendée. Là, il m'a confiée à une association», raconte Zoé.
Ce n'est qu'une fois Jean-Pierre Baudry sous les verrous qu'elle l'a accusé. Elle avait «peur» de cet homme «puissant», capable de la «mettre dehors» et de lui «prendre [son] fils». Les travailleurs sociaux ? «Je n'avais pas confiance. J'avais peur qu'ils lui répètent.» Pourquoi attendre les assises pour dévoiler de nouveaux faits ? «Ici, je vois que je suis dans la justice. Il faut que je le dise, pas que je garde ça sur moi.» Même à sa copine Joëlle, arrivée du Congo dans des circonstances similaires, elle n'avait pu se confier. Joëlle aussi s'était tue, même une fois renvoyée du foyer en mai 2004... après avoir mordu le directeur à la cuisse, au cours d'un épisode où il lui aurait baissé la tête au niveau de l'entrejambe. «Vous avez envoyé une lettre d'excuses à M. Baudry ?» s'étonne le président. «Il appelait tout le monde pour dire que j'étais impossible. C'est pour ça que la directrice de l'autre centre maternel de La Roche m'a refusé. Je voulais qu'il arrête avec ma vie», s'énerve Joëlle. La très jeune Héloïse, arrivée au foyer pour échapper au milieu de la prostitution nantaise, témoigne aussi : «Il me demandait sans arrêt combien je prenais pour une pipe.»
Former «un couple». Mais c'est Caroline, jolie blonde de 33 ans, qui dépose la première plainte, en décembre 2004, après un curieux entretien d'embauche. «Il m'a expliqué que mon CV était nul, mais que je lui plaisais.» Il lui annonce qu'ils devront former un «couple» au foyer comme dans une vraie famille, «avec tout ce qui va avec». Choquée et inquiète pour les résidentes, elle se décide à aller au commissariat. Marie-Renée raconte qu'elle subit le même genre d'entretien à la rentrée 2004, puis les avances et les attouchements permanents du directeur une fois en poste.
«J'ai fait du charme à ces deux personnes-là, sans autre motif que de plaire, sans le lier à l'emploi», soutient Jean-Pierre Baudry. «Au moment des faits, vous avez 60 ans», remarque l'avocat général, Pierre Sennes, qui égrène le CV de l'accusé, truffé de formations en relations humaines. «Comment, avec tout ce bagage, pensez-vous qu'en parlant de sexe à des femmes qui viennent pour une embauche, elles ne feraient pas le lien avec le contrat de travail ?» s'interroge le magistrat. «Dans le milieu social, on parle plus librement que dans le milieu industriel. D'ailleurs, je n'ai jamais eu de soucis de ce type dans les établissements précédents», réplique l'accusé. Me Caroline Verdu, avocate de parties civiles, bondit et lui rappelle des poursuites à Senlis, dans les années 80. Et aussi son licenciement pour «faute lourde» d'un foyer vendéen, où les résidentes se plaignaient de ses mains baladeuses. «C'était un atelier de relaxation où on faisait de la respiration abdominale», soutient l'accusé.
La plainte d'une salariée, en janvier 2005, déclenche enfin l'avalanche. En ce début d'année, Martine craque et confie à un collègue qu'elle subit agressions et viols depuis des mois. Il l'aide à engager des poursuites. D'autres résidentes ou employées se manifestent à leur tour. Et les policiers ressortent la plainte de 2004 déposée par Caroline. Début février 2005, Jean-Pierre Baudry se retrouve en garde à vue. Ce soir, les jurés décideront de le croire ou de le condamner.
(1) Certains prénoms ont été changés à la demande des avocats.