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La France condamnée pour une peine sans fin
La France condamnée pour une peine sans fin
Libé, 19 août 2006, extrait
Jean-Luc Rivière, un Réunionnais de 50 ans, dont plus de vingt-huit en continu derrière les barreaux, vient de faire condamner la France par la Cour européenne des droits de l'homme pour «traitement inhumains et dégradants». Publié le 11 juillet, l'arrêt rendu «à l'unanimité» par les sept juges estime que «son maintien en détention, sans encadrement médical approprié, constitue une épreuve particulièrement pénible, et l'a soumis à une détresse d'une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention».
... En 1990, Rivière s'était marié en prison : «Ils ont fini par divorcer, explique Me Edgar Kiganga-Siroko, son avocat. «Il est libérable depuis 1991, mais pour lui refuser ses libérations conditionnelles, il était invoqué, entre autres, qu'il ne connaissait pas assez bien sa femme alors que, justement, lui voulait sortir pour la connaître mieux.»
«Parcours sans incident». En juillet 1991, déjà à Riom, le juge d'application des peines (JAP) écrit à Rivière que, «peine de sûreté purgée et dommages et intérêts dus aux victimes intégralement versés», il devient libérable : «Le projet est en cours à La Réunion, l'encourage le JAP. Et dès qu'il sera réalisable, la proposition de libération conditionnelle interviendra.» Rivière « ayant eu un parcours pénitentiaire sans incident».
L'été 2002, la conditionnelle est refusée, «en l'absence d'un projet de sortie clair et structuré, assurant un encadrement socio-éducatif et médico-psychologique sérieux».
Jean-Luc Rivière est «psychotique», «suicidaire», constate alors le psychiatre de la prison. Après un mois d'hôpital, et une conditionnelle refusée de plus, trois experts confirment le diagnostic en 2003. D'après eux, il faut désormais soigner le détenu avant de le sortir des murs où il est devenu fou : «Une pathologie psychiatrique est apparue en prison (...) Il est maintenant un malade mental chronique.» Jean-Luc Rivière souffre «notamment» de compulsions d'auto-strangulation.
La Cour a octroyé à Rivière 5 000 euros de préjudice moral : «Pour une vie foutue en l'air, ça me pose problème», s'agace son avocat.
Les psychologues ne veulent pas jouer le rôle de juge
20minutes.fr, éditions du 03/09/2008
« Une justice qui juge ce que nous sommes et non plus ce que nous faisons. » Membre de la Fédération française des psychologues et de la psychologie et exerçant à la maison d'arrêt de Rouen, Alain Létuvé s'insurge contre le rôle de juge que la loi sur la rétention de sûreté va faire endosser aux psychologues et psychiatres. Ce texte voté le 25 février 2008 instaure un dispositif qui permet de prolonger sans limite l'enfermement de personnes ayant purgé une peine (de quinze ans ou plus), mais qui sont considérées comme dangereuses. Et c'est une commission pluridisciplinaire - la même que celle existant pour le bracelet électronique - qui sera chargée d'évaluer chaque année cette « dangerosité », sur la base d'une expertise réalisée par un psychologue et un psychiatre. « Nous allons donc porter seuls la responsabilité de ce nouveau dispositif d'élimination », explique Alain Létuvé, qui appelle ses collègues à refuser de participer à cette procédure. « La loi fait une confusion terrible entre la notion de dangerosité sociale et la notion psychologique, analyse-t-il. Et le principe de présomption d'innocence est retourné en présomption de culpabilité pour un acte virtuellement probable du fait de votre personnalité. »
Tout l'été, professionnels du secteur et syndicats de magistrats ont organisé des rencontres d'information autour d'un film, Rétention de sûreté, une peine infinie, visible sur Internet. Invité, Robert Badinter, ancien garde des Sceaux, a dénoncé cette logique qui réduit à néant toute possibilité de défense puisque, selon lui, « on est accusé de rien d'autre que d'être soi-même ».