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Les pères en mal d'autorité ?
Enquête
Les pères en mal d'autorité
LE MONDE | 22.10.08 | 13h48 • Mis à jour le 22.10.08 | 16h19
Alex et Adèle, la petite quarantaine, parents de deux garçons, sont un couple moderne. Le partage des tâches ne semble pas poser problème. Lui ne rechigne pas à faire la cuisine, s'occuper des enfants, donner le bain et adore câliner. Elle n'hésite pas à monter des étagères sans avoir besoin d'attendre son aide.
Seulement voilà, depuis quelque temps, Adèle reproche à Alex de manquer d'autorité auprès des jumeaux. "C'est surtout moi qui leur pose des limites alors que j'ai tendance à considérer que l'autorité doit être sexuée et relève du masculin."
Lui n'est pas d'accord. L'autorité n'est pas l'apanage des hommes, de même que la relation affectueuse et charnelle n'est plus celle des femmes. Père de jumeaux prématurés qui ont passé de longues semaines en couveuse, il s'est rendu, chaque jour, à l'hôpital avec sa femme. Où, sur les conseils de l'équipe soignante, chacun d'eux prenait contre lui, à même la peau, un des nouveau-nés dans un corps-à-corps affectueux. "On ne peut pas tout demander aux pères, c'est-à-dire d'être à la fois dans un rapport plus intime, plus charnel avec leurs enfants et dans le même temps d'assumer le rôle de gendarme", considère-t-il.
Le reproche est lancinant. Les pères, et surtout les nouvelles générations, manqueraient d'autorité. "Les parents restent enfermés dans un jeu de rôle. A la mère, l'affection, au père, le rôle autoritaire, déplore Michel Fize, sociologue au CNRS, auteur d'un livre sur les relations père-fils. Ce sont des choix de société. Nous sommes passés de l'ère de la puissance paternelle à celle de la démocratie familiale, mais le rôle du père reste le fruit d'une collection d'idées reçues."
Serge Hefez, psychiatre-psychanalyste, voit défiler dans son cabinet ces hommes déboussolés, coincés entre la réalité de leur quotidien où ils sont très proches de leurs enfants et les représentations anciennes du pater familias, figure tutélaire de l'autorité.
"Dès qu'il y a un déficit d'autorité dans une famille, on s'en prend au père qui serait trop câlin ou trop absent, déplore Serge Hefez, psychiatre-psychanalyste. Et paradoxalement, plus les pères sont impliqués dans l'éducation de leurs enfants, plus on parle de carence paternelle. Mais il faut admettre que l'autorité n'est plus patriarcale mais conjointe."
Reste que les représentations ont la vie dure. Alors que les mères ont réussi à ce qu'on ne les confonde plus avec leurs fonctions maternelles, le père reste prisonnier de son rôle autoritaire.
Pour le psychiatre, l'autorité doit désormais être exercée par les deux parents dans une dynamique instituée par le couple. "N'en déplaise aux nostalgiques du passé, le quotidien des familles prouve chaque jour que la fonction dite paternelle se retrouve à l'intérieur de chaque parent", assure-t-il. Il ne viendrait à l'esprit de personne de reprocher à une mère élevant seule ses enfants de leur dispenser à la fois amour et autorité.
"Les fils ne veulent pas d'un adulte tout-puissant, considère Michel Fize. Ils veulent des pères qui reconnaissent qu'ils peuvent se tromper, mais aussi qui aient des convictions sur le monde avec l'envie de les faire partager."
Dans les fonctions traditionnelles qui sont attribuées au père, l'autorité est indissociable d'un rôle séparateur. Le père est celui qui vient se placer entre la mère et l'enfant et qui fait obstacle à la fusion narcissique entre les deux, énonce Freud. Mais là encore, les cartes sont de plus en plus rebattues.
"C'est à chaque parent d'intervenir en appui de l'autre pour le séparer de son enfant, estime Serge Hefez. Et personne ne s'en portera plus mal, n'en déplaise à mes confrères arc-boutés sur des théories fondatrices que Freud n'a sans doute jamais conçues comme immuables."
Encore faut-il pour cela que les parents ne soient pas dans la rivalité vis-à-vis de leur enfant ou dans la crainte de perdre son amour. A ces conditions, les fonctions de transmission, de séparation, comme celle d'autorité, peuvent devenir partagées.
Père et fils, l'histoire d'un amour mal entendu, de Michel Fize (Les Editions de l'homme, octobre 2008, 203 p., 22 €).
Dans le coeur des hommes, de Serge Hefez (Hachette Littératures, 303 p., 19 €).