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Cinq pour cent de vérité
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La dénonciation chez Marat (1789 - 1791)
Par Emile Brémond-Poulle, 2006, sur Révolution Française.net
Révéler et démasquer
Médias et dénonciation dans l'URSS de Staline (1928-1941)
Par François Xavier Nérard, sur le net
La dénonciation
Séance coordonnée par Élisabeth Lusset et Julien Briand
Élisabeth LUSSET, Correction fraternelle ou haineuse ? De l’usage de la dénonciation évangélique dans les communautés conventuelles en Occident médiéval (XIIe-XVe siècles) ; Julien BRIAND, Les appels à la dénonciation dans la procédure judiciaire rémoise à la fin du Moyen Âge ; Virginie MARTIN, La Révolution française ou ‘‘l’ère du soupçon’’ : diplomatie et dénonciation (1789-1799) ; Fadi EL HAGE, La dénonciation du commandement des armées sous l’Ancien Régime ; Vanessa VOISIN, La dénonciation dans l’URSS stalinienne : de l’entre-deux-guerres aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale ;
André Zucca
LE MONDE 2 | 14.03.08 | 12h43 • Mis à jour le 14.03.08 | 12h43, extrait
C'est un étrange Paris, tranquille et coloré, que nous montre André Zucca (1897-1973). Comment croire qu'en 1941, la capitale occupée d'un pays vaincu pouvait avoir un tel air de vacances ? Les couples y picorent des cerises dans les jardins publics, les Parisiens vont au cinéma et les belles bronzent en maillot de bain sur les bords de la Seine. On est loin des images habituelles sur les années noires : les troupes allemandes se font discrètes, comme les étoiles jaunes. Et les longues queues devant les magasins d'alimentation sont absentes du cadre. [...] Pour Signal, André Zucca va réaliser des dizaines de reportages en noir et blanc, sur les bombardements anglo-saxons ou la Légion des volontaires français (LVF) – ils lui vaudront d'être arrêté et poursuivi à la Libération. Mais ses photographies en couleurs n'ont jamais été publiées. Avec la couleur, Zucca délaisse l'information pour des vues plus esthétiques et plus personnelles. Indifférent aux difficultés de la vie quotidienne comme aux défilés militaires allemands, il cultive dans ses images le mythe d'un Paris romantique malgré la guerre, en pointant son appareil sur les belles toilettes, les cafés chics et la vitalité de la vie culturelle. Une vision de l'époque moins fausse que partiale et partielle, à découvrir aujourd'hui après un gros travail de restauration.
Cinq pour cent de vérité
La dénonciation dans l'URSS de Staline
Par François-Xavier Nérard
Tallandier, 2004, coll. Contemporain
Présentation de l'éditeur. À l’été 1928, alors qu’il s’apprête à engager le tournant de la collectivisation, Joseph Staline lance une vaste campagne d’autocritique. « Bien sûr, ajoute-t-il, nous ne pouvons exiger que la critique soit exacte à 100 %. Si la critique vient d’en bas, nous ne devons même pas négliger une critique qui ne serait exacte qu’à 5 ou 10 %. » Au nom de la lutte contre le bureaucratisme, les citoyens sont invités à adresser aux autorités leurs motifs de mécontentement. Leurs lettres, traitées par un organisme spécifique, le Bureau central des plaintes (RKI), paraîtront, pour les meilleures, dans la Pravda. La question de la dénonciation en URSS a longtemps été considérée sous le seul angle de la perversion morale, de la contamination d’une société tout entière impliquée dans un système de terreur. « Staline n’exige pas seulement la soumission, il lui faut aussi la complicité », note ainsi l’historien américain Robert Conquest. Cette vision, pour ne pas être inexacte, n’en demeure pas moins réductrice. C’est ignorer les deux sens du mot « dénonciation » : à la fois la révélation d’actes « répréhensibles » avec volonté de nuire, et l’expression d’une injustice ou d’une situation insupportable. La langue soviétique, d’ailleurs, préfère aux termes de « dénonciation » ou de « délation » celui de « signal ». Fondée sur les archives centrales et provinciales (Saratov, Nijni-Novgorod, Gorki...), cette étude analyse finement le fonctionnement du pouvoir stalinien. Les « signaux » informaient le pouvoir, « démasquaient » les ennemis supposés, mais plus encore, ils donnaient au mécontentement populaire une forme d’expression soigneusement canalisée et politiquement inoffensive. Interdit de grève ou d’opposition, le citoyen soviétique était encouragé à formuler ses critiques, à nommer les responsables des « abus ». Sa plainte avait toute chance de se perdre dans les méandres de la bureaucratie, mais la publication de lettres, outre qu’elle donnait l’illusion d’une liberté d’expression, renforçait l’image d’un État protecteur et omnipotent, attaché à corriger ses propres « dysfonctionnements ».
Ces lettres sont également des descriptions terribles, directes, de la vie quotidienne des Soviétiques, de la violence et de la pénurie. On y lira, bien sûr, des morceaux de délation abjecte : « A. Boris s’est fait embaucher comme médecin de la clinique de l’Université de Saratov. Ce n’est en fait qu’un médecin fictif. Pendant les cinq années qu’il est censé avoir passé à l’Université, il a joué sur les scènes des théâtres de la province. Et maintenant, on confie la vie des gens à ce médecin criminel. » Mais aussi des plaintes déchirantes : « Nous nous promenons en guenilles, à moitié dénudés, on se moque de nous, on dit que notre mère vole et qu’elle ne peut rien obtenir. Cessez de vous moquer de nous ! » Et surtout des attaques violentes, fruits d’une colère franche dont on devine qu’il fallut tout le poids de l’appareil répressif pour la contrôler : « Le camarade Staline... est une arme puissante entre les mains de nos ennemis. Cela veut dire que, à la tête du parti communiste, il y a peut-être, à l’insu de la population, le chef des éléments koulaks. Il me semble que tout citoyen consciencieux de notre Union, celui qui a porté sur ses épaules le poids de la Révolution ne laissera aucun Staline lui fermer la bouche... »
L'auteur vu par l'éditeur. François-Xavier Nérard est normalien, agrégé d’histoire, docteur ès-lettres. Sa thèse, soutenue en 1997 à Paris I-Panthéon Sorbonne, portait sur « La protestation en URSS, 1917-1941 ». Il vient d’être nommé directeur du Collège universitaire français de Moscou.