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L'affaire de l’enfant de 5 ans jugé en audience publique
Elle - cette affaire - est en porte-à-faux avec toutes les conventions relatives à la protection de l’enfance que l’Algérie a signées. [...] Des procès comme celui de Ménéa doivent avoir lieu en de nombreuses autres juridictions sans que l’opinion publique n’en soit informée. Ce qui suscite vraiment l’inquiétude.
Un outrage à l’enfance
El Watan, édition du 27 décembre 2008
La condamnation du petit Oussama Guettaf, âgé de 5 ans, par le tribunal correctionnel d’El Ménéa, lundi dernier, a provoqué une onde de choc dans les milieux français de la magistrature, notamment à Bobigny, siège du plus important tribunal pour enfants de France.
Affaire de l’enfant de 5 ans jugé en audience publique à El Ménéa
Les faits, la loi et l’interprétation
El Watan, édition du 27 décembre 2008
Le procureur général, dans sa mise au point, précise que l’enfant a comparu devant le tribunal des contraventions, « dont le huis clos », selon lui, « n’est nullement obligatoire ».
En fait, l’article 446 du code de procédure pénale (cpp) stipule qu’en matière de contravention, « le mineur de moins de 18 ans est déféré au tribunal statuant en matière de contravention, certes, précise également, que ce dernier, c’est-à-dire le tribunal de contravention, siège dans les conditions de publicité prescrites à l’article 468 du code de procédure pénale ». Cet alinéa semble avoir été totalement ignoré, alors qu’il énonce clairement : « Chaque affaire est jugée séparément en l’absence de tous les autres prévenus. Seuls sont admis à assister, au débat, les témoins de l’affaire, les proches parents, le tuteur ou le représentant légal du mineur, les membres de l’Ordre national des avocats, les représentants des sociétés de patronage et des services ou institutions s’occupant des enfants, les délégués à la liberté surveillée et les magistrats. Le président peut à tout moment ordonner que le mineur se retire pendant toute ou en partie de la suite des débats. Le jugement est rendu en audience publique et en présence du mineur. » Ce qui revient à dire que même devant la section des contraventions, la comparution d’un mineur est frappée du huis clos. En outre, le procureur général estime que la loi en vigueur ne limite pas l’âge pour les poursuites judiciaires. Là aussi, il y a, soit méconnaissance soit ignorance avérées du droit, parce que le code civil a limité cet âge à celui du discernement entre le bien et le mal et ne peut être sanctionné, même si la sanction est un blâme.
Ainsi, l’article 42 du ce même code prévoit : « Est réputé dépourvu de discernement l’enfant qui n’a pas atteint l’âge de 16 ans. » Dans cette affaire, l’enfant en question n’a que 5 ans. En outre, le procureur général, près la cour de Ghardaïa, déclare que ce bas âge « de l’auteur », ayant « causé des dommages » à la victime (sa tante paternelle, auteur de la plainte pour coups et blessures volontaires), « ne prive pas » celle-ci de prétendre à « une indemnisation » versée par le père en sa qualité de responsable civil de l’enfant. Certes, chaque justiciable est en droit d’engager des poursuites judiciaires, s’il s’estime lésé. Mais, la loi étant faite, y compris pour des cas spécifiques, le législateur a laissé, dans les principes généraux du déclenchement de l’action publique, une brèche pour permettre au juge de statuer dans certaines affaires, sans recourir à la poursuite judiciaire. Le pouvoir discrétionnaire du juge permet à ce dernier de décider de l’opportunité des poursuites ou non, notamment quand il s’agit d’une plainte – fut-elle déposée par la tante paternelle – contre un enfant de 5 ans.
Dans le cas de Oussama Guettaf, le juge avait le plein pouvoir de lui éviter le traumatisme d’un procès, tenu, faut-il le préciser, en violation de la loi. Le procureur général affirme que l’enfant en question n’a pas été entendu par la police judiciaire ni par le procureur. Sans verser dans la polémique, le père de Oussama Guettaf, a été bel et bien convoqué par la police judiciaire, à la suite d’une réquisition du parquet. Il a été entendu une première fois en présence de son père, mais c’est ce dernier qui a répondu aux questions, vu que l’enfant ne pouvait articuler les mots. Une deuxième audition de l’enfant a été demandée par le même parquet, mais elle n’a pu avoir lieu parce que la police judiciaire de Ménéa a renvoyé le dossier, précisant l’incapacité de l’enfant à répondre aux question. Les différentes convocations adressées au domicile de l’enfant font foi. Conclusion : depuis le dépôt de plainte « pour coups et blessures volontaires » jusqu’à la comparution publique de l’auteur présumé âgé d’à peine 5 ans, et sa condamnation à un blâme, devant l’assistance, cette affaire constitue un grave précédent dans les annales de la justice.
Elle est en porte-à-faux avec toutes les conventions relatives à la protection de l’enfance que l’Algérie a signées. Elle appelle à la mobilisation de toute la société civile et le mouvement associatif, autour de la nécessité de faire adopter rapidement le fameux projet de loi relatif à la protection de l’enfance qui végète depuis des années dans les tiroirs des autorités. Des procès comme celui de Ménéa doivent avoir lieu en de nombreuses autres juridictions sans que l’opinion publique n’en soit informée. Ce qui suscite vraiment l’inquiétude.