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Janvier 2007 : un ancien conservateur de la BNF en prison
Voir aussi au 10/12/2008, un autodafé en contrebas de la BNF. Son annonce est dans la rubrique Sorties.
« Unesco : l'homme qui veut brûler les livres », Libé du 17 septembre 2009
Justice
Un ancien conservateur de la BNF en prison
Par LEXPRESS.fr, publié le vendredi 26 janvier 2007, mis à jour à 16:01 - mis à jour le 25/10/2007
Un ancien conservateur de la Bibliothèque nationale de France, Michel Garel, a été condamné vendredi en appel à 15 mois de prison ferme, pour le vol en 1998 d'un précieux manuscrit hébreu que vient de récupérer la BNF. Il a été immédiatement incarcéré
La 10e chambre de la cour d'appel de Paris a condamné Michel Garel, 58 ans, à trois ans d'emprisonnement, dont quinze mois ferme, ainsi qu'à 75 000 euros d'amende pour "vol aggravé" du manuscrit "Hébreu 52": une Bible contenant le Pentateuque (les cinq livres de la Torah) datant du XIIIe siècle. En première instance, le 10 mars 2006, le tribunal correctionnel de Paris avait condamné l'ancien conservateur à deux ans de prison avec sursis. L'avocat de Michel Garel, Me Léon Lef Forster, a annoncé le dépôt dès vendredi d'un pourvoi en cassation et d'une demande de mise en liberté de son client qui conteste les faits.
"Bouc émissaire"
Au cours de l'enquête, Michel Garel avait dans un premier temps reconnu les faits, avant de se rétracter, faisant valoir devant le tribunal correctionnel qu'il était le "bouc émissaire parfait" pour cette affaire. Il avait affirmé pour sa défense avoir permis la délivrance d'un bon de sortie du manuscrit "Hébreu 52" ou "H52" - du nom de sa cote à la bibliothèque - "pour rendre service à un ami", qui lui avait permis d'acquérir un manuscrit médiéval du XIVe siècle. L'épouse de l'ancien conservateur, condamnée en première instance à six mois de prison avec sursis pour recel, a été relaxée en appel.
Périple d'un manuscrit
La BNF avait annoncé au début du mois de janvier avoir récupéré le manuscrit, considéré comme l'une des plus anciennes versions connues du Pentateuque, d'une valeur patrimoniale inestimable. Il avait été revendu en 2000 à New-York à un collectionneur américain, Josef Goldman, pour 300 800 dollars chez Christie's. Il été récupéré à la suite d'un accord de restitution signé le 15 décembre 2006 entre la partie française et le collectionneur américain.
Michel Garel, bouc émissaire ou coupable ?
Les mystères du H52
Nouvel Obs n° 2152, semaine du jeudi 2 février 2006
Qui a volé le précieux manuscrit hébraïque de la BnF ? Un conservateur peu scrupuleux ou une secte roumaine ?
Un conservateur de la BnF comparaissant entre des proxénètes, des voleurs à la tire et des arracheurs de sacs, c'est le spectacle qu'offrira le 3 mars prochain la 11e chambre correctionnelle de Paris. La juge Nathalie Turquey a bouclé son instruction. Elle a renvoyé devant le tribunal correctionnel Michel Garel, mis en examen en août 2004 pour le vol du manuscrit H52, une Bible hébraïque datant du XIVe siècle et appartenant à la Bibliothèque nationale de France. Le public sera plus élégant et plus choisi que d'habitude : des collectionneurs, des galeristes, des passionnés de manuscrits hébraïques. Peut-être des mystiques aussi. Le mystère du manuscrit H52 intrigue et bouleverse le marché de l'art religieux.
Michel Garel, la vedette du spectacle, compte bien ne pas décevoir son public. Cet homme de 58 ans au regard perçant, au langage imagé, nie les faits qui lui sont reprochés. Il attend avec impatience son procès pour détailler ses arguments avec sa syntaxe irréprochable, son articulation théâtrale et cette insolence qui ne le quitte jamais et qui est peut-être une des clés de cette affaire. Il était le vilain petit canard de la BnF, où il a gardé de nombreux amis qui croient à son innocence. Depuis sa mise en examen, dix livres précieux appartenant à la Bibliothèque de l'Arsenal, une dépendance de la BnF, ont été retrouvés dans une vente chez Christie's. Le vendeur était un collectionneur belge, Michel Witock, à qui, semble-t-il, les enquêteurs n'ont pas posé de questions trop embarrassantes.
Michel Garel est accusé d'avoir vendu à David Sofer, un collectionneur londonien familier des paradis fiscaux, le manuscrit H52 pour un montant estimé par la justice entre 80 000 et 100 000 dollars. David Sofer est le principal accusateur de Michel Garel. Selon ce dernier, David Sofer n'est pas un procureur crédible. En 1999, on l'a retrouvé en possession d'un manuscrit dérobé dans le musée juif italien de Jérusalem. On a arrêté le voleur, un certain Valdman. David Sofer n'a pas été inquiété. Les bibliothèques se contentent souvent de la restitution, au lieu d'une enquête qui mettrait en lumière leurs dysfonctionnements.
David Sofer a mis en vente le manuscrit H52 chez Christie's New York. Un enchérisseur s'en est porté acquéreur pour 300 000 dollars. Un joli bénéfice pour David Sofer. Ce manuscrit n'a pu sortir de France qu'avec l'autorisation du ministère de la Culture, un certificat indispen-sable pour la mise en vente d'un bien culturel en dehors du territoire national. L'accusation reproche à Michel Garel d'avoir lui-même demandé cette autorisation, par l'intermédiaire d'un galeriste. C'est là qu'il faudra toute la sagacité du tribunal pour tirer cette affaire au clair. La BnF, comme toutes les grandes institutions culturelles françaises, a recours à des sponsors. Le département des manuscrits hébraïques avait le sien. Un homme d'affaires suisse qui avait permis à Michel Garel de monter des expositions et surtout d'acheter, pour le compte de la BnF, un manuscrit précieux, le H1480. Mais les sponsors ont leurs exigences. Le milliardaire suisse a eu besoin un jour d'une autorisation de sortie pour une oeuvre qu'il désirait vendre. Il s'est adressé à Michel Garel sans lui dire de quelle oeuvre il s'agissait. « Je ne pouvais pas dire non, explique Garel. J'ai fait cette demande sans avoir vu la pièce. J'avais toute confiance dans mon sponsor. Je lui ai demandé : «Est-ce que c'est casher ?» Il m'a répondu oui. Je ne pouvais pas me douter qu'il s'agissait du manuscrit H52 volé, sans que je le sache, dans mon propre département. »
Ce qui accable Michel Garel, aux yeux de la juge Turquey, c'est qu'il possédait un compte dans une banque luxembourgeoise. « Je ne l'ai jamais nié, dit Garel. Ce compte a été fermé en 1999. Cinq ans avant ma mise en examen. Il était alimenté par deux sources. Je n'ai jamais caché que j'ai vendu des livres rares provenant de ma collection personnelle. Je les avais achetés en Roumanie et en Pologne. D'autre part, j'étais rémunéré pour des travaux et des expertises par de riches collectionneurs. J'avais ouvert ce compte au Luxembourg pour des raisons fiscales. Je n'ai jamais volé que le fisc. » Une universitaire israélienne est venue raconter à l'instruction que Michel Garel lui aurait avoué avoir volé plusieurs manuscrits à la BnF. « Or cette chercheuse était entrée en conflit avec moi à propos d'une expertise que nous avait confiée une maison d'édition londonienne. » Les experts se vouent parfois des haines inexpiables.
On remarque que les manuscrits hébraïques se vendent comme des petits pains. Selon Michel Garel, tous ces vols, dont celui du H52, seraient organisés par la secte des satmers, fondée en Roumanie à la fin du XIXe siècle. Les satmers ne tolèrent pas que des livres sacrés soient en possession de laïques, juifs ou non. Pour eux, c'est un vol. Ils appliquent cette maxime du Talmud : « Qui vole un voleur est absous. » A la fin 2005, la police israélienne a arrêté à Tel-Aviv des satmers qui détenaient un lot impressionnant de manuscrits volés dans des collections publiques ou privées. « Un marchand de tableaux, Haïm Scheebalg, a été assassiné en 1969 dans un hôtel de Jérusalem », rappelle Michel Garel. Le 3 mars prochain, le public de la 11e chambre connaîtra le grand frisson.
Alain Chouffan, François Caviglioli
Le Nouvel Observateur
BNF - 30 000 ouvrages de la BNF manquent à l'appel
Dans un rapport consacré à "La sûreté des collections", le président de la BNF affirme que 30 000 ouvrages sont absents de l'établissement public. Des disparitions mises en évidence lors du déménagement des bibliothèques Richelieu et Versailles vers le site François Mitterand.
La Bibliothèque nationale de France, cet immense établissement public intemporel et labyrinthe culturel, n'est pas sans failles. Alors qu'elle abrite 35 millions d'objets divers, dont quinze millions d'imprimés et vingt millions de documents spécialisés, son système de sécurité laisse à désirer et nourrit les disparitions d'ouvrages.
Dans son édition de lundi, Le Figaro met en exergue un rapport sur "La sûreté des collections", établit en septembre 2004 par Jean-Noël Jeannerey, président de la BNF. Il fait état de "30 000 absences soit 0,3 % des collections […] La très grande majorité est constituée par des ouvrages des XIXème et XXème siècles". Ces disparitions, concernant entre autres 1183 documents appartenant au "cœur précieux" de la bibliothèque, ont été mises en évidence lors d'un inventaire "mené sur 10 millions d'unités" lors du déménagement des bibliothèques Richelieu et Versailles vers le site François Mitterrand. "Ces disparitions, dont les dates sont difficiles à établir, nous indignent sans vraiment nous surprendre car certains fonds n'ont pas été inspectés depuis très longtemps […] A un moment ou à un autre, il fallait faire émerger ses manques", explique Agnès Saal, directrice générale de l'établissement, dans le quotidien national.
Ce n'est pas la première fois que la BNF est au cœur d'un scandale de cette nature. Michel Garel, ancien conservateur du département des manuscrits hébraïques, est accusé du vol d'une centaine d'ouvrages. Mis en examen en examen en juillet 2004, il n'avait reconnu qu'un seul vol, celui du Manuscrit 52, un incunable du XIIIème siècle.
Dans un entretien au Figaro, il dénonce une vengeance de sa hiérarchie et revient sur ce manuscrit précieux qu'il a avoué avoir volé "pour rester libre" et échapper à la prison. "J'ai dit mon innocence dès le jour où j'ai été menotté. Je suis le bouc émissaire idéal du fait des rapports assez tendus que j'entretiens depuis une bonne dizaine d'années avec ma hiérarchie", assure-t-il. Michel Garel est convoqué mardi chez le juge d'instruction.
En attendant, la BNF a décidé de renforcer son système de sécurité pour protéger son patrimoine. Le Figaro parle de "procédures d'accréditations, vérification d'identité et modernisation de la vidéo surveillance".
Dans le même temps, l'établissement public renforce sa coopération avec les groupes spécialisés de la brigade de répression du banditisme et de l'Office central de lutte contre les trafics de biens culturels. Jean Noël Jeannerey de conclure dans son rapport : "L'administration doit chercher à se prémunir contre la défaillance ou la malveillance de ceux-là mêmes qui ont en charge le contrôle, et qui sont par nature faillibles…"
TF1-LCI - le 27/06/2005 - 12h23
Jacqueline Coignard
A la recherche des tomes perdus de la BNF
Libération 31 juillet 2004, copie glanée sur le net
Mise en examen d'un conservateur en chef de la Bibliothèque nationale de France, soupçonné de vols.
Des feuillets, des chapitres, et parfois des ouvrages entiers se sont évanouis du fonds hébreu, à la Bibliothèque nationale de France (BNF). «Plusieurs dizaines d'ouvrages ont été amputés, ou ont disparu en totalité», explique une source proche de l'enquête. «Une centaine de documents», précise-t-on au parquet de Paris. Le responsable de ces mutilations et pillages pourrait être la personne chargée de veiller sur le trésor : le conservateur en chef du département.
Lettre anonyme. L'enquête ouverte discrètement en mars a débouché jeudi sur l'arrestation et le placement en garde à vue de cet homme, 56 ans, entré à la BNF en 1976 et responsable du fonds hébreu depuis 1980. Jusqu'à sa présentation au juge d'instruction Nathalie Turquey, vendredi après-midi, Michel Garel niait toute implication dans les vols. Chez le juge, il a reconnu l'un des faits qui lui sont reprochés : avoir établi un faux certificat pour la vente, chez Christie's, de la quasi-totalité d'un ouvrage. Il y attestait que cette pièce n'avait pas d'origine frauduleuse et pouvait faire l'objet d'une transaction. Cette vente, réalisée en 2000, a rapporté 300 000 dollars. Mis en examen pour «vol aggravé», Michel Garel a été laissé en liberté sous contrôle judiciaire. Sa femme, elle, a été mise en examen pour recel, car le couple aurait acheté un appartement avec le produit de cette transaction.
A la BNF, le malaise était palpable vendredi. La confrérie des conservateurs un corps de 1 800 membres, dont 400 travaillent dans ce seul établissement est bouleversée d'apprendre qu'un des siens est soupçonné de tels actes. Un vrai sacrilège. Pourtant, des disparitions sont constatées depuis des années dans les collections ; des plaintes ont été régulièrement déposées. En 2000 et 2002, notamment. «Mais elles n'avaient pas débouché, commente Jean-Noël Jeanneney, président de la BNF depuis mars 2002. Peut-être que, dans l'histoire de la bibliothèque, il est arrivé qu'on préfère ne pas trop parler de telles affaires.»
C'est une lettre anonyme, parvenue à la direction de la bibliothèque en février, qui a relancé la machine judiciaire. Et, cette fois, la collaboration de la direction de l'établissement à l'enquête semble pleine et entière. Comme l'est sa volonté de ne pas taire l'événement. Des inventaires des «récolements» ont été refaits avec précision : on confronte les catalogues aux ouvrages physiques. «L'enquête porte sur toutes les disparitions constatées depuis 1991. Le chiffre est impressionnant, incompatible avec l'hypothèse de chercheurs isolés qui auraient volé au fil des consultations», explique-t-on. D'autant que les chercheurs ne peuvent retirer qu'un ouvrage à la fois, sous haute surveillance, en laissant trace de leur passage.
«Les vols ont apparemment cessé en 1998, au moment du transfert des ouvrages imprimés dans les nouveaux locaux de la bibliothèque François-Mitterrand», poursuit la même source. Michel Garel, lui, est resté dans les anciens locaux de la BNF, rue de Richelieu (IIe arrondissement), avec le fonds de manuscrits hébreux dont il avait la garde.
Grande imprécision. Constitué depuis le XIVe siècle, par la volonté du roi Charles V le Sage, ce fonds, considéré comme l'un des plus riches au monde, compte 1 480 ouvrages. De toutes provenances : Yémen, Byzance, Afrique du Nord, Europe centrale, France, Angleterre, Allemagne... Dans un catalogue sur les collections orientales de la BNF, Michel Garel détaillait récemment l'éventail des matières abordées dans ces ouvrages : «Bible et commentaires, Talmud et droits civils et religieux, théologie, kabbale, philosophie, sciences et médecine, grammaire, histoire, poésie... Sans parler des documents d'archives que sont les actes de mariages.»
Les livres imprimés en hébreu transférés à Tolbiac ne sont pas classés par langue mais par thèmes : bibles, grammaires... D'où une plus grande imprécision sur leur nombre. Geneviève Guilleminot, adjointe au directeur de la réserve des livres rares, évolue au milieu de ces incunables, ouvrages de luxe imprimés sur vélin, parfois enluminés, ou éditions originales. «La thèse de Marie Curie, c'est un livre rare que nous conservons ici», dit-elle.
Ambiance fraîche, feutrée, studieuse. Dans la salle de lecture, des chercheurs arrivent du monde entier ; chacun doit étayer sa demande de consultation. Pour faire sortir l'édition originale de la première bible imprimée par Gutenberg, il faut une bonne raison, au moins que l'objet de la recherche ait à voir avec la qualité du papier employé... Dans la pénombre de la réserve, Geneviève Guilleminot sort un traité de médecine en hébreu, imprimé à Naples en 1491. L'objet se consulte posé sur futon : pas question d'abîmer la reliure. Celui-là, un pentateuque, a été imprimé à Venise, début XVIe. Une mention montre qu'il a appartenu à un couvent de Capucins. «Il a été confisqué à la Révolution. Une grande partie de nos collections vient des couvents», indique la conservatrice. Un autre, fragment de la Torah, a été imprimé à Constantinople en 1505. «C'est l'un des tout premiers ouvrages imprimés à Constantinople, sans doute par des Juifs espagnols passés par là.» Et puis il y a des ouvrages hybrides : texte en hébreu sur la page de droite, traduction en latin sur celle de gauche, comme cette grammaire imprimée à Bâle en 1551. «C'était à un moment où les chrétiens du XVIe siècle redécouvraient les langues anciennes, et cherchaient à apprendre le grec et l'hébreu», explique la spécialiste.
Eléments à charge. La maîtresse des lieux n'a guère envie de s'épancher sur l'affaire du jour. Tout juste concède-t-elle que le marché des livres a connu un regain d'intérêt ces dernières années ; que même les bibliothèques ont du mal à suivre et sont contraintes à limiter leurs acquisitions. Les enquêteurs, eux, ont amarré l'affaire sur cette transaction chez Christie's, en 2000, qui leur offre un certain nombre d'éléments à charge. Pour le reste de la liste des vols, l'enquête se poursuit. Dans la petite équipe du fonds hébreu, qui se compte sur les doigts de la main, personne d'autre n'a été inquiété.
Jean-Noël Jeanneney se dit soucieux de la sécurité des collections 30 millions de pièces à surveiller et va multiplier les inventaires : «Tous les grands établissements sont concernés par le sujet : la bibliothèque de Cambridge a connu les mêmes mésaventures récemment.»
http://www.liberation.fr/page.php?Article=227605