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Moi, Julie, mère SDF et blogueuse
NDLR : Par le passé, Nanterre m'a intimé de laisser « Julie » tranquille, une erreur de plume... et il y a peu, Nanterre m'a rabroué car « Justine » aurait été perturbée par de nombreux courriers qui lui ont été adressés à l'initiative du collectif Justice. Justine n'a pas eu connaissance de ces lettres. Mon blog poserait également un problème... je vais aller visiter celui de Julie, une maman solo.
Enquête
Moi, Julie, mère SDF et blogueuse
LE MONDE | 14.11.08 | 15h25 • Mis à jour le 14.11.08 | 20h23
Au téléphone, elle n'a "pas trop d'idée d'endroit" pour donner un rendez-vous. Peut-être parce que Julie Lacoste, 31 ans, accompagnée de Jules, 6 ans, et d'Orphée, 2 ans, déménage d'appartement en appartement, depuis des mois. Mère et enfants habitent chez qui peut les accueillir, si possible pas trop loin de l'école ou de la crèche, situées dans le 18e arrondissement, au nord de Paris. Ils ont passé sept mois rue Lépine, trois semaines rue des Envierges, une semaine rue Marx-Dormoy et une rue de l'Evangile, dix jours rue Affre, puis sont revenus rue Lépine.
Certains en auraient fait un chemin de croix. Elle a choisi d'écrire un blog dont le nom est un clin d'œil narquois au slogan de la campagne municipale de Bertrand Delanoë, en mars 2008 "Un temps d'avance". Depuis septembre, Julie Lacoste y décrit sans pathos sa vie au quotidien. La jeune femme travaille à la bibliothèque de l'université de droit Paris-V, à Malakoff, en proche banlieue sud. Son CAE (contrat d'accompagnement dans l'emploi) lui rapporte 750 euros net par mois, pour 26 heures par semaine. Pas assez pour trouver un appartement pour trois.
Au métro Château-Rouge, on voit arriver une longue fille en baskets, qui parle d'une voix mesurée et qui sent très bon, un parfum de grand couturier. Elle dit en rougissant : "Ça, je ne veux pas y renoncer, c'est mon petit plaisir." Julie a aussi investi dans un grand sac équipé de roulettes, parce qu'elle en avait assez de déménager à vélo, avec un sac à dos, des sacs en plastique, Jules devant et Orphée derrière. Ce dernier, précoce en tout, sait déjà lire les prénoms sur les petits lits de la crèche de son frère et dessine à la perfection les requins-marteaux et les raies manta. Il philosophe en suçotant une glace : "Au début, je pleurais un peu, mais ça commence à me plaire d'aller de maison en maison. Je me fais beaucoup de copains." Evidemment, l'humeur n'est pas tous les jours aussi zen.
Séparée depuis longtemps du père de ses enfants, mais divorcée en septembre, Julie Lacoste a quitté son appartement fin janvier 2008. Elle n'avait pas trouvé de colocataire (c'eût été la troisième) pour partager le loyer de ses 50 m2, situés au-dessus d'un bar ouvert sept jours sur sept, jusqu'à 2 heures du matin.
"La dernière année, ils ont décidé de proposer aux clients des grillades", raconte Julie sur son blog. La hotte aspirante semblait branchée directement dans les chambres. Julie devait ouvrir toutes les fenêtres la nuit, en plein hiver. Le tout pour 950 euros par mois. Alors elle est partie, pensant que les choses s'arrangeraient, puisqu'elle avait déposé une demande de logement social depuis quatre ans.
Elle attend toujours. Jeudi 6 novembre, Julie Lacoste a enfin vu un assistant du maire et député du 18e arrondissement, Daniel Vaillant, qui n'avait jamais répondu à ses demandes. Un flot de courriels et de lettres s'était déversé sur les services de l'élu parisien. La personne qui l'a reçue lui a montré quelques-uns de ces 200 courriers. C'est une autre blogueuse, Marion Le Hir de Fallois, 38 ans, ex-Parisienne vivant depuis quelques années à la campagne, en Haute-Saône, qui a proposé une lettre type aux internautes, révoltés comme elle par la situation de Julie.
"C'est génial, je suis contente, vous ne pouvez pas savoir", dit en riant cette mère de quatre enfants. "Les courriers, je sais en faire, je me suis dit que c'était comme cela que je pouvais aider Julie", ajoute cette ancienne militante "largement revenue de l'engagement politique et associatif". Julie, qui a essaimé quelques meubles, des livres et des souvenirs dans trois caves différentes, a toujours gardé avec elle son ordinateur.
Encouragée par son frère aîné, qui relit ses textes, car elle est très soucieuse de ne pas laisser de fautes d'orthographe, la jeune femme a découvert en même temps ce qu'était la blogosphère et la grande solidarité qu'elle pouvait engendrer. "Il y a quelques mois, je ne connaissais même pas le mot !", dit-elle, encore stupéfaite des centaines de messages de soutien qu'elle a reçues et de la générosité qu'elle a rencontrée. Son histoire est parvenue au Monde par une abonnée, Tiphaine Oliveira Reis, qui avait découvert le blog par hasard. Contactée, elle écrit : "Je vis en Angola (province de Huambo), et la situation de cette femme qui pourrait être la mienne un jour, ou celle d'autres femmes, m'a beaucoup révoltée. Quand vous rencontrerez Julie, dites-lui combien nous pensons tous à elle (...). Elle peut compter sur nous. Elle et toutes les autres."
Originaire de la région bordelaise, Julie veut rester à Paris. C'est là qu'est sa vie. Elle y est arrivée à 18 ans, après avoir "arrêté les chevaux". Avec son BEP agricole, obtenu en alternance dans une maison familiale rurale, où elle était pensionnaire entre 15 et 19 ans, elle avait trouvé plusieurs emplois dans des centres équestres ou d'élevage. Puis elle a abandonné cette vie qui ne correspondait pas à ses rêves. Sa mère, agent EDF, aujourd'hui retraitée, a financé deux années d'études dans une école de théâtre privée - qui n'ont pas permis à Julie de débuter dans le métier. Son père est décédé lorsqu'elle avait 8 ans.
A 23 ans, elle a rencontré Madiop, musicien d'origine sénégalaise et père des enfants, qui ne peut l'aider que de façon "aléatoire". Une façon pudique de dire qu'il n'a pas non plus de domicile fixe. Bien que la mère de Julie et son second mari se soient portés garants pour elle, elle n'a pas obtenu de logement. Comme elle travaille jusqu'à 20 heures tous les lundis, son frère va chercher les enfants à la crèche et à l'école ; il emmène l'aîné à la piscine. Mais il ne peut pas les loger. "Quand Jules me dit : "On vit comme des bohémiens", on essaie de rire de la situation. J'essaie de faire en sorte que ce ne soit pas quelque chose de lourd", raconte Julie, pourtant très lasse de tous ces déménagements.
Depuis le 10 novembre, ils ont posé leurs sacs chez Emmanuelle Mimran, 34 ans, qui vit avec ses deux petites filles près de la crèche d'Orphée, porte de la Chapelle. "Je ne connais pas très bien Julie, mais j'ai entendu parler de ses galères. J'ai trouvé que c'était totalement terrifiant cette situation avec des enfants. Moi j'ai un toit, 80 m2, et voilà, c'est très spontané." Encore une offre généreuse - à laquelle cette intermittente du spectacle, monteuse dans le cinéma, n'a pas fixé de durée. Mais quand on demande à Jules ce qui lui manque le plus et qu'il ne peut emporter à chaque fois qu'il déménage, il réfléchit un instant et répond : "La maison."
Le blog de Julie : http://untempsderetard.blogspot.com/