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Discrimination : immorale mais pas condamnable
08/01/2009, libelyon.blogs.liberation.fr, extraits
Le maire de Charvieu rejugé pour discrimination raciale
JUSTICE – Et revoilà Gérard Dezempte à la barre des prévenus. Le maire de Charvieu-Chavagneux, bourg du Nord-Isère, comparaissait à nouveau mercredi devant la Cour d’Appel de Lyon, pour une affaire de discrimination raciale vieille de huit ans. Mais qui, d’appel en cassation, se retrouve pour la quatrième fois examinée dans une salle d’audience.
[...] « S’il n’y avait eu cet arrêt, j’aurais demandé la condamnation de Monsieur Dezempte, mais il y a cet arrêt et je suis obligé de demander la relaxe, ou de demander à la Cour d’Appel de Lyon qu’elle résiste à cet arrêt de la Cour de Cassation que j’estime dangereux », a expliqué dans son réquisitoire l’Avocat Général. Selon lui, en effet, cet arrêt, « bien que ce ne soit pas son intention », « peut permettre à des maires d’organiser un apartheid urbain sans courir le risque d’être poursuivis ». « Ils n’ont qu’à dire je ne vais pas mettre d’arabes là, pas de chinois ici », a résumé l’avocat général, visiblement ennuyé.
[...] Le jugement a été mis en délibéré au 4 février.
Discrimination : immorale mais pas condamnable
Contentieux
Pour qu'une infraction pénale soit constituée, il ne suffit pas de dénoncer, ni de démontrer un comportement que l'on estime moralement critiquable. Il faut caractériser une infraction pénale prévue par la loi. C'est ce que la Cour de Cassation est venue rappeler dans une affaire de discrimination raciale en matière de préemption. La Cour peut sembler rigoriste, mais sa position est respectueuse du droit et seule à même de garantir les libertés individuelles.
La Lettre du Cadre Territorial numéro 373 (1er février 2009)
discrimination raciale - droit de préemption
Le maire de Charvieu-Chavagneux (Isère), Richard Dezempte, était poursuivi pour avoir mis en œuvre une procédure d’exercice du droit de préemption par la commune au seul motif, selon l’accusation, que les acquéreurs déclarés par le vendeur dans la DIA auraient eu un nom à consonance maghrébine. Les vendeurs ayant finalement renoncé à vendre en raison du prix proposé jugé insuffisant, la vente sera finalement conclue avec un autre acquéreur sans que la commune ne fasse de nouveau valoir son intérêt pour acquérir ce bien, ni ne mette en œuvre son droit de préemption, ni n’engage une procédure d’expropriation.
Un droit de préemption abusif ?
Dans le cadre de l’instruction, plusieurs éléments ont été mis à jour, accréditant l’hypothèse selon laquelle le droit de préemption n’avait été mis en œuvre qu’en raison de l’origine ethnique des acquéreurs potentiels, même si le maire contestait la réalité de cette analyse. Sur cette base, le tribunal correctionnel de Vienne, jugement confirmé par la cour d’appel de Grenoble, a condamné Richard Dezempte, pour discrimination raciale à 1 500 euros d’amende et trois ans d’inéligibilité. Mais la Cour de Cassation, qui n’a pas à apprécier les faits, mais seulement à déterminer si la cour d’appel a commis ou non une erreur de droit, a cassé et annulé en toutes ses dispositions l’arrêt de la cour d’appel (1). En effet, la condamnation avait été prononcée sur le fondement de l’article 432-7 du Code pénal, qui prévoit que « la discrimination définie à l’article 225-1, commise à l’égard d’une personne physique ou morale par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa mission, est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende lorsqu’elle consiste :
1° à refuser le bénéfice d’un droit accordé par la loi ;
2° à entraver l’exercice normal d’une activité économique quelconque ».
L’article 225-1 définit ainsi la discrimination : « Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de leur patronyme, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs mœurs, de leur orientation sexuelle, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. » Sur cette base, la Cour de Cassation, sans remettre en cette définition de la discrimination, sans rien ajouter, ni retrancher aux faits analysés par la cour d’appel, a rappelé que la loi pénale est d’interprétation stricte et que « l’exercice d’un droit de préemption, fut-il abusif, ne saurait constituer le refus du bénéfice d’un droit accordé par la loi au sens de l’article 432-7 du Code pénal ».
Pas de discrimination !
« Attendu que, d’une part, la loi pénale est d’interprétation stricte ; Attendu que, d’autre part, la discrimination prévue par l’article 432-7 du Code pénal suppose, dans le premier cas visé par ce texte, le refus du bénéfice d’un droit accordé par la loi ; Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure que les époux Y…, qui avaient conclu un compromis de vente en vue de l’acquisition d’un bien immobilier situé à Charvieu-Chavagneux (Isère), ont porté plainte et se sont constitués parties civiles contre Gérard X…, maire de la commune, au motif que celui-ci avait fait obstacle à la réalisation de la vente en exerçant de façon abusive le droit de préemption lui ayant été délégué en application des dispositions de l’article L. 2122-22 du Code général des collectivités territoriales ; que Gérard X…, renvoyé devant le tribunal correctionnel sur le fondement du délit prévu par l’article 432-7 du Code pénal, a été déclaré coupable de cette infraction par les premiers juges et condamné à des réparations civiles ; Attendu que, pour confirmer le jugement entrepris, l’arrêt énonce qu’en raison de la consonance du nom des acheteurs laissant supposer leur origine étrangère ou leur appartenance à l’islam, Gérard X…, en sa qualité de maire, a commis une discrimination en refusant aux parties civiles le droit d’acquérir la propriété d’un immeuble et de fixer librement le lieu de leur résidence ; Mais attendu qu’en se déterminant ainsi, alors que l’exercice d’un droit de préemption, fût-il abusif, ne saurait constituer le refus du bénéfice d’un droit accordé par la loi au sens de l’article 432-7 du Code pénal, la cour d’appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus énoncés ; D’où il suit que la cassation est encourue. »
Cour de Cassation, Chambre criminelle, 17 juin 2008, n° 07-81666.
Pas de refus de droit
À suivre la Cour de Cassation, les faits reprochés au maire peuvent entrer dans la définition de l’article 225-1 du Code pénal. Pour autant, aucune infraction, telle que définie à l’article 432-7, ne saurait être reprochée au maire, du fait d’une mise en œuvre, même abusive, du droit de préemption, dès lors que l’exercice du droit de préemption ne peut être considéré comme une action tendant à refuser « le bénéfice d’un droit accordé par la loi ». Il en serait peut-être allé différemment s’il s’était agi, par exemple, d’un refus d’octroi d’un permis de construire en raison de la consonance du nom du pétitionnaire, mais en l’espèce aucun droit n’a été refusé par le maire aux acquéreurs. Tout au plus pourrait-on lui reprocher, si les faits étaient bien constitués, d’avoir exercé abusivement ce droit de préemption, ce qui pourrait être moralement condamnable, juridiquement contestable au sens du droit administratif, mais ne saurait, pour autant pas constituer une infraction pénale. Mais on ne saurait confondre morale et poursuites pénales, et la position de la Cour de Cassation apparaît conforme au droit et respectueuse des droits de la défense. L’affaire a été renvoyée devant la cour d’appel de Lyon à l’audience du 7 janvier 2009, audience au cours de laquelle l’avocat général aurait précisé « la Cour de Cassation a dit clairement qu’il n’y avait pas d’infraction dans l’exercice, abusif ou non, du droit de préemption, donc soit on relaxe, soit on fait une autre interprétation pour résister à la Cour de Cassation ».
Arrêt à suivre…
1. Cour de Cassation, Chambre criminelle, 17 juin 2008, n° 07-81666.