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Sade moraliste
NDLR : Sade figure déjà parmi mes nombreuses références. J'y ajoute cet ouvrage pour « les délits et les peines » ainsi que pour Les bûchers de Sodome ou Histoire des infâmes, par Maurice Lever. A classer entre Kafka, Le procès, et Pierre Darmon, Le tribunal de l'impuissance, pas très loin de Foucault et Les anormaux, ni de Margaret Tanger, Les juridictions coloniales devant la Cour de cassation, préfacé par Bruno Cotté. Voir également d'autres références telles que La religieuse [et la sensure] et, pourquoi pas, du Sarte aussi, Huis-clos, je le citais l'été dernier. L'enfer et Sade, ou « je ne vois guère (...) que ce qu'on peut appeler le meurtre moral, auquel on parvient par (...) écrit. »
Sade moraliste
Le dévoilement de la pensée sadienne à la lumière de la réforme pénale au XVIIIe siècle
par Jean-Baptiste Jeangène Vilmer
préface de Maurice Lever, librairie Droz, collection « Bibliothèque des Lumières », 2005
Extrait de source Google books
Juliette
Selon un article de la revue Champ Pénal, l'expérience du marquis de Sade, plusieurs fois et longuement emprisonné, serait « l’expression des contraintes répressives qu’il subit tout au long de sa vie ; (...) en même temps une résistance, une entreprise de subversion de celles-ci. Sur le fond, cette œuvre radicale s’ordonne non par autour de la sexualité, mais autour de la pénalité car elle se veut le renversement de l’ordre social que l’enfermement incarne. »
Extrait de Juliette, de la 4ième partie, d'autres sont tout aussi intrigants :
- Asseyons-nous, me dit ce libertin en me prenant à part, et écoutez-moi. Avant de me condamner sur l'action que je commets, parce que vous voyez à cette action un vernis d'injustice, il faudrait, ce me semble, mieux asseoir ses combinaisons sur ce qu'on entend par juste et par injuste. Or, si vous réfléchissez bien sur les idées que donnent ces mots, vous reconnaîtrez qu'elles ne sont absolument que relatives, et qu'elles n'ont intrinsèquement rien de réel. Semblables aux idées de vice et de vertu, elles sont purement locales et géographiques, en sorte que, tout comme ce qui est vicieux à Paris se trouve une vertu à Pékin, de même ce qui est juste à Ispahan devient injuste à Copenhague. Les lois d'un pays, les intérêts d'un particulier, voilà les seules bases de la justice. Mais ces lois sont relatives aux mœurs du gouvernement où elles existent, et ces intérêts le sont aussi au physique du particulier qui les a. En sorte que l'égoïsme, comme vous le voyez, est ici la seule règle du juste ou de l'injuste, et qu'il sera très juste, suivant telle loi, de faire mourir un particulier en ce pays-ci pour une action qui lui aurait valu des couronnes ailleurs, tout comme tel intérêt particulier trouvera juste une action qui, néanmoins, sera trouvée très inique par celui qu'elle lésera. Citons quelques exemples. A Paris, la loi punit les voleurs ; elle les récompense à Sparte : voilà donc une action juste en Grèce et fort illégale en France, et par conséquent la justice aussi chimérique que la vertu. Un homme casse les deux bras à son ennemi ; selon lui, il a fait une action très juste : demandez à la victime si elle la voit comme telle. Thémis est donc une déesse fabuleuse, dont la balance est toujours à celui qui la fait pencher, et sur les yeux de laquelle on a eu raison de mettre un bandeau.
- Minski, répondis-je, j'ai toujours ouï dire, cependant, qu'il y avait une sorte de justice naturelle dont l'homme ne s'écartait jamais, ou dont il ne s'écartait pas sans remords.
- Cela est faux, dit le Moscovite, cette prétendue justice naturelle n'est que le fruit de sa faiblesse, de son ignorance ou de ses préjugés, tant qu'il n'aura aucun intérêt à la chose. S'il est le plus faible, il se rangera machinalement de ce côté, et trouvera injuste toutes les lésions du fort sur les individus de sa classe ; devient-il le plus puissant, ses opinions, ses idées sur la justice, changeront sur-le-champ : il n'y aura plus de juste que ce qui le flattera, plus d'équitable que ce qui servira ses passions, et cette prétendue justice naturelle, bien analysée, ne sera jamais que celle de ses intérêts.
Donnons licence au juste et à l'injuste de faire ce qu'ils veulent ; suivons-les et regardons où, l'un et l'autre, les mène le désir. Nous prendrons le juste en flagrant délit de poursuivre le même but que l'injuste, poussé par le besoin de l'emporter sur les autres : c'est ce que recherche toute nature comme un bien, mais que, par loi et par force, on ramène au respect de l'égalité. • Platon
En s'interrogeant sur l'hétérogénéité des lois nationales dans sa célèbre formule : « le juste et l'injuste changent de qualité en changeant de climat », Blaise Pascal critiquait la diversité des différents systèmes juridiques au regard de l'universalité de la justice. Cependant, force est de constater que dans un même système, des règles d'inspiration diamétralement opposées peuvent être appliquées et permettre la survivance de pratiques profondément iniques. • M. Bruno Cotté, Président de la Chambre criminelle de la Cour de Cassation, Les juridictions coloniales devant la Cour de cassation (1828-1848), de la préface
Les juridictions coloniales devant la Cour de cassation
Les juridictions coloniales devant la Cour de cassation
Essai de contribution de la Cour de cassation à l'émergence des droits civils
des Noirs dans les colonies françaises d'Amérique de 1828 à 1848
Economica, mai 2007
Margaret Tanger (Auteur), Bruno Cotté (Préface)
Présentation de l'éditeur • La Cour de cassation, cour suprême de l'ordre judiciaire, a porté dès sa création une part de la conscience française, alors que subsistait encore le système inique de l'esclavage, cohabitant avec le Code civil. Il n'est pas exagéré d'affirmer qu'elle ne s'est pas contentée de dire le droit, mais participa, à sa manière, à l'action émancipatrice des noirs des colonies françaises d'Amérique : Martinique, Guadeloupe et Guyane. C'est cette part peu connue de l'action de la cour suprême que le présent livre cherche à retracer en montrant que derrière les arrêts, il y avait des êtres vivants, des valeurs humaines qu'il s'agissait de faire émerger.
Le lecteur non juriste, mais néanmoins sensible et intéressé par cette période qui constitue une partie de l'histoire commune française, trouvera dans cet ouvrage le récit édifiant des draines dans lesquels furent plongés des hommes, des femmes et des enfants, victimes des préjugés mais aussi d'enjeux financiers et de pouvoir. Il y verra aussi à l'œuvre des magistrats intègres et des avocats honnêtes qui, devant des actes ignominieux tolérés voire encouragés par l'autorité coloniale, se dressent pour exiger la justice pour tous.
Biographie de l'auteur • Margaret Tancer, Docteur en droit, Avocat à Cour d'appel de Fort-de-France, Diplômée de la Harvard University Lare School. Présidente de l'Association de Recherches Comparées Droits internes et Internationaux, ses publications parmi lesquelles l'ouvrage intitulé "La faillite en droit fédéral des Etats-Unis", ont fourni au législateur désireux de moderniser le droit français d'inestimables pistes de réflexion. Ce second ouvrage est une contribution tout aussi utile et novatrice.