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« C'est donc de faim qu'il va s'agir... »
Ce mercredi 27 avril au soir, au mémorial de la Shoah, j'ai été étonné par l'absence d'intérêt pour la présentation de Michael Tregenza, Aktion T4, un programme dit « d'euthanasie », suivie par la présentation de Jean-Marie Winkler, très (trop, à mon avis) concentrée sur certaines pratiques « administratives » utilisées par les nazis, au château d’Hartheim, en Haute-Autriche. Georges Bensoussan qui animait les débats semblait lui aussi surpris et même plutôt déçu par un tel désintérêt pour ces sujets, l'extermination des handicapés physiques et mentaux par les nazi, une extermination promue et critiquée dès 1933, un « secret d'Etat » pour les nazis, des assassinats d'êtres dont « la vie ne vaut pas d'être vécué », des meutres de masse encadrés par une « fondation » et la bureaucratie nazie, des assassinats commis en « instituts », jusqu'à la fin 1944 (voire plus). Contrairement à d'habitude, peu de personnes s'étaient déplacées pour ces présentations et débats, l'auditorium était très loin d'afficher comble.
Ce soir là, au mémorial, ceux qui ont pris la parole s'accordaient tous à dire que ces assassinats « d'anormaux » et de « déviants » avaient préfiguré l'extermination « systématique » des Juifs, mise en oeuvre à partir de 1942. Le désintérêt pour ces présentations et débats du 27 au soir pouvait donc surprendre et même décevoir. Ce mercredi, j'avais également été surpris par des non-dits assez clairement exprimés au cours de ces présentations, par ce qui pouvait être des sujets tabous, à ne surtout pas développer. Pour une première fois dans cet auditorium, j'ai demandé à prendre la parole, puis j'ai formulé quelques remarques ou critiques, d'abord en m'adressant à M. Tregenza, puis d'une façon plus générale, en crevant les abscès de quelques non-dits ou vaguement-dits, pas beaucoup plus dit que du bout des lèvres.
Depuis, j'ai encore beaucoup pensé et lu ou relu, à ces mêmes sujets, les pratiques, sous ce Reich. Mercredi dernier, j'ai d'abord estimé nécessaire de rappeller que ce Reich était un Etat de droit, à quoi M. Tregenza m'a rétorqué que le Reich était une dictature ; ces échanges ont pu paraître tendus, mais je crois que nous avons su faire converger nos points de vues, le livre Aktion T4 de M. Tregenza est d'ailleurs lui-même suffisament clair à ces sujets précis, le droit, des écrits, tel que des pluies de décrêts émanant du Führer, ainsi leur application par quelques bureaux, offices et zèlées officines.
J'ai ensuite poursuivi en crevant comme un gros abscès, rappelant qu'à cette période, les années 30 à 40, l'Europe et même l'occident tout entier était traversé par des courants et pensées publiquement et très franchement eugénistes. Je précisais alors, pour exemple, que je me référais à La société pure, de Pichot, un ouvrage qui fait encore office de référence. Un extrait explicite, mais voir aussi L’hygiène raciale nazie : le cas des sourds pour d'avantage de détails encore :
LA LISTE DE CHICAGO
Liste des « personnes socialement inaptes » stérilisables
« Est socialement inapte toute personne qui, par son propre effort, est incapable de façon chronique, par comparaison avec les personnes normales, de demeurer un membre utile de la société. (…) Les classes sociales d’inaptes sont les suivantes : 1) les débiles mentaux ; 2) les fous ; 3) les criminels (y compris les délinquants et dévoyés) ; 4) les épileptiques ; 5) les ivrognes ; 6) les malades (tuberculeux, syphilitiques, lépreux, et autres atteints de maladies chroniques…) ; 7) les aveugles ; 8) les sourds ; 9) les difformes ; 10) les individus à charge (y compris les orphelins, les bons à rien, les gens sans domicile et les indigents). » (Rapport du laboratoire psychopathique du Tribunal municipal de Chicago, 1922, cité par A. Pichot in La société pure, p. 215)
Pour étayer ce que je soutenais, ce mercredi, je me réfèrais également à Ordonner et exclure, de Iogna-Prat, ainsi qu'à L'extermination douce, un ouvrage de Max Lafont. Iogna-Prat n'a pas été contesté. Pour moi, ces diverses lectures étaient déjà lointaines, parfois anciennes, et ne faisaient pas forcément autorité. Je m'adressais alors à des historiens, à des chercheurs, des spécialistes à qui j'avais d'ailleurs bien précisé qu'ils me reprendraient si je faisais fausse route, ce qui fût effectivement le cas ? En effet, et même si j'ai eu le sentiment qu'assez globalement, nous pouvions nous comprendre et nous entendre, M. Georges Bensoussan m'a répondu que depuis la parution de l'ouvrage de Max Lafont, en 1987 (reédité en septembre 2000), une historienne, Isabelle von Bueltzingsloeven, s'était longtemps penchée sur la surmortalité des malades mentaux, en France, durant la période de l'Occupation. Pour me répondre, M. Bensoussan me recommandait également Classer/Penser/exclure, le n° 183 de la revue d'histoire de la Shoah, un épais pavé qui m'est depuis parvenu. Je pense que mes références restent assez solides et qu'en tous cas, elles se répondent toutes suffisament bien, les unes aux autres ; les livres qui me parviennent encore s'insèrent assez facilement dans ma bibliothèque.
Je n'ai pas encore eu le temps de lire et d'approfondir Aktion T4, un livre paru en mars 2011. Cependant, dès ses préfaces, l'ouvrage me rappelle une discussion « off » que j'avais eu avec Francis Gillery, réalisateur de La vie après la Shoah. Je crois encore que M. Gillery m'avait très bien compris, fin janvier 2010, lorsque je lui parlais « d'expériences singulières » tout en lui glissant une carte de visite et en l'invitant à me lire.
En préface de Aktion T4, de Michael Tregenza... « c'est le détail qui compte. »
Ce que j'ai exprimé ce 27 avril avait pu déranger, heurter dans cet auditorium, car ce qui a été dit dans le prolongement de ces présentations d'ouvrages et travaux de recherche tendaient à réhumaniser ces politiques et pratiques nazies, mais pas d'avantage que ne le fesait déjà le livre et le discours de Michael Tregenza. Pour le moment, je n'ai donc pu que feuilleter son livre, très critique, à ne pas mettre entre les mains de juristes, de moralistes et de pénalistes... l'ouvrage de M. Tregenza pourrait les faire frémir dès la note sur les terminologies, également en préface. Les pages 291 et 292 pourraient faire sourire mes lecteurs et faire frémir quelques professionnels de la Dass ou des magistrats, ceux là même qui se sont déjà beaucoup plaint de mes discours, écrits et recours, dans des prétoires ; de simples extraits des pages 291 et 292, il semblerait que par le passé déjà, certains rapports ou avis pouvaient également être passés sous silence ou être bourrés dans une broyeuse :
Avec ces nouveaux éclairages, je suis en train de relire L'extermination douce, de Lafont, ainsi qu'en train de lire ces ultimes textes qui me perviennent, plus particulièrement ceux de Isabelle von Bueltzingsloeven. Tout en émettant quelques mises en gardes ou réserves d'usage, l'ouvrage de Max Lafont posait des questions qui me paraissaient assez pertinentes, des questions auxquelles Isabelle von Bueltzingsloeven pourrait avoir répondu ; dans le n° 183 de la revue d'histoire de la Shoah, en quelques premiers paragraphes déjà, l'historienne répond de façon lapidaire à ces militants qui défendaient la cause des « fous »...
Il arrive que le droit ou des lois ne soient pas appliqués, ou que par leurs dévoiements, des effets inverses puissent être observés, ce que soutient d'ailleurs très bien Michael Tregenza dans Aktion T4. Comment une historienne peut-elle alors fonder d'abord une conclusion en s'appuyant sur un vulgaire décrêt, une simple déclaration d'intention dans un monde hostile, un décrêt qui pouvait toujours ne jamais être suivi du moindre effet ? Mais je dois étudier plus en détail les travaux de Isabelle von Bueltzingsloeven et de ceux qui s'en sont inspiré, je les comprendrais probablement mieux.
Classer/Penser/Exclure, revue d'histoire de la Shoah, n° 183,
« ne pas banaliser l'extermination des malades mentaux par les nazis »
Il est pourtant pas mal, ce livre de Max Lafont, écarté par Georges Bensoussan. Le livre est en effet très politisé, engagé, militant, mais souvent fondé sur de simples témoignages, des opinions et des discours, des ouï-dire que des historiens et des juristes balayeront fissa. Mais l'ouvrage de Lafont restitue tout de même assez bien le contexte durant lequel des milliers « d'anormaux » et autres « déviants » ou « indésirables » crevaient la dalle... Sa reédition en 2000 a même pu être utile, ce n'est qu'après cela que des historiens pourraient s'être enfin penchés sérieusement sur ces questions - épineuses, douloureuses et sensibles. C'est à Lafont que j'ai emprunté le titre de ce billet, « C'est donc de faim qu'il va s'agir ».
L'extermination douce, page 89, paru en septembre 2000
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12 commentaires
De source http://www.frenia-historiapsiquiatria.com/pdf/fasciculo%2011/SAMUEL_ODIER.pdf
[...] Nous savons également, parce que nous nous intéressons à l’évolution de la psychiatrie contemporaine et que nous avons noué de nombreux contacts dans l’institution, que le sujet que nous abordons a suscité des prises de position passionnées et des conflits qui ne peuvent être réduits à des querelles de personnes. Dans cet immense établissement psychiatrique où travaillent environ 3 000 personnes, le deuxième de France, la polémique gronde depuis plus de vingt ans. Elle resurgit périodiquement sans jamais complètement retomber.
[...] Dans ce processus, la parole des témoins occupe une place essentielle mais le travail de mémoire qui s’engage alors est porté par des représentants des générations suivantes, en particulier la plus jeune. En octobre 1981, un interne de l’hôpital du Vinatier, Max Lafont, présente devant l’université Claude Bernard (Lyon I) une thèse de doctorat en médecine intitulée Déterminisme sacrificiel et victimisation des malades mentaux. Enquête et réflexions au sujet de la mortalité liée aux privations dans les hôpitaux psychiatriques français pendant la période de la seconde guerre mondiale. Ce travail n’est pas l’œuvre d’un franc-tireur : Max Lafont bénéficie de soutiens...
[...] La vigoureuse controverse qui vient de naître se prolonge dans les années qui suivent. Le 8e colloque de la Société Internationale d’Histoire de la Psychiatrie et de la Psychanalyse qui se tient à l’hôpital psychiatrique de la Chartreuse à Dijon le 17 novembre 1990 sur le thème « La seconde guerre mondiale. Nuit et brouillard en psychiatrie ? » permet à Max Lafont de revenir sur le sens de sa démarche : « Avec un titre comme L’extermination douce il me semble n’avoir réussi qu’à réveiller la polémique […] C’est du moins l’impression qui ressort de certains commentaires m’attribuant le rôle de l’homme “par qui le scandale arrive” et à me compter parmi les détracteurs de la psychiatrie. Pour ma part, je pense seulement avoir fait la première étude un peu approfondie vis-à-vis d’un phénomène qui continuait à fonctionner comme une rumeur, alors que les paroles des témoins étaient répétées sans être entendues ou pire restaient l’objet d’un certain doute sceptique jusqu’à les accuser, eux, de n’être pas sérieux ». À Dijon, la génération des témoins est représentée par l’un des grands noms de la psychiatrie d’après guerre, Lucien Bonnafé, ancien résistant, communiste, qui a préfacé l’ouvrage de Max Lafont dans lequel il voit « une revanche sur quarante-six ans de censure »."
Isabelle von Bueltzingsloewen, « Les « aliénés » morts de faim dans les hopitaux psychiatriques français sous l'Occupation », Vingtième Siècle. Revue d'histoire 4/2002 (no 76), p. 99-115
URL : www.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2002-4-page-99.htm
DOI : 10.3917/ving.076.0099
Les cahiers des colons, pupilles ou élèves, selon une terminologie évolutive, disent la difficulté de l’enfermement. Ils sont aussi la trace d’une observation permanente du jeune par les éducateurs. L’observation en effet, surtout à partir des années 1940, par le croisement des recherches psychiatriques et sociologiques, s’est voulue une science, par une quête d’indices de tous les instants – le sommeil du jeune lui-même étant « observé ». Pourtant, cette expérimentation a mené souvent, dans la pratique, à une impasse : si l’observation était censée fournir au juge les éléments pour décider objectivement et en conscience de l’avenir des enfants, le nombre de places dans les établissements adéquats, réduit, n’a que rarement permis une application rigoureuse des décisions estimées les meilleures pour ces jeunes. Il n’en demeure pas moins que l’attrait pour la classification, à la faveur de l’anthropométrie et de la neuropsychiatrie notamment, a abouti, au moins jusqu’aux années 1960, au double enfermement des mineurs : dans des catégories sociopsychologiques figées d’une part, et dans des lieux clos aux fenêtres grillagées d’autre part.
« Images et sons », Vingtième Siècle. Revue d'histoire 4/2002 (no 76), p. 147-152
URL : www.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2002-4-page-147.htm
DOI : 10.3917/ving.076.0147
Beaucoup moururent de faim ou de froid, et cela pendant les quatre années où l’ennemi vainqueur occupait notre sol et imposait sa loi. [...] Le cas français est à nouveau largement évoqué, en particulier à travers les interventions de M. Lafont et de L. Bonnafé. Plusieurs communications sont consacrées à la question de la responsabilité des psychiatres. L’une évoque ainsi l’itinéraire de Maurice Dide, psychiatre résistant mort à Buchenwald en mars 1944.
Notre premier objectif est de comprendre, dans le cadre d’une enquête approfondie s’appuyant sur un exemple monographique, dans quelles circonstances exactes près de 50 000 personnes sont mortes de faim dans les hôpitaux psychiatriques français sous l’Occupation. Rappeler que les aliénés n’ont pas été exterminés par un régime qui aurait mis en œuvre un programme systématique de mise à mort comparable à l’opération T 4 – et à celles qui ont suivi dans les frontières du Reich – ne sera sans doute pas inutile.
On sait en effet que le flou entretenu par certains articles de presse nourrit les extrémismes et les sectarismes en tout genre comme en témoigne la récupération du thème par l’Église de scientologie, engagée par le biais de la Commission des Citoyens pour les Droits de l’Homme, créée en 1974, dans une entreprise agressive de disqualification de la psychiatrie. Reste que les malades mentaux n’ont pas été soumis à une sorte de fatalité qui rendrait toute démarche interprétative inopérante.
M. Mebazaa a souligné que la réunion du Conseil se tient, cette année, à l'heure où la Tunisie vit un épisode particulier de son histoire pour l'institution d'un régime réellement démocratique, caractérisé par l'indépendance des pouvoirs et la suprématie de la justice. La société tunisienne, a-t-il ajouté, aspire d'aujourd'hui à une magistrature qui consacre la souveraineté de la justice, fondement de toute civilisation.
Il a relevé que la magistrature qui, depuis la révolution du 14 janvier, suscite l'intérêt de l'ensemble des composantes de la société, est invitée à rétablir les droits à tous ceux qui ont subi une injustice durant la période précédente et à sanctionner les contrevenants à la loi et ceux qui en font fi. Cette obligation nationale et humaine, a-t-il dit, constitue l'un des fondements du développement du pays et un facteur de stabilité et de confiance dans l'avenir outre qu'il s'ajoute à des étapes antérieures de l'histoire de la magistrature tunisienne qui a connu d'éminents magistrats réputés pour leur rigueur et leur intégrité.
La suite : http://www.pm.gov.tn/pm/actualites/actualite.php?id=4674&lang=fr
http://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2012/12/07/abandon-a-la-mort-non-assistance-a-personne-en-danger-et-genocide-doux/
À mon avis, le livre d'Isabelle von B., s'il fait une synthèse des événements est surtout un livre politique : après la prise de position du Président Jacques Chirac à propos de la complicité de l'État français de Vichy, ne pas faire un second procès à Vichy. Voir la récente déclaration de François Fillon en octobre dernier.
Armand Ajzenberg