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Car tout se soigne, désormais… des sujets à soigner à tout prix
Journal français de psychiatrie, n° 13 2001/2
Les psychiatres sont-ils responsables de la raréfaction des non-lieux psychiatriques ?
Daniel Zagury, sur CAIRN, extraits
J’ai pris bien soin d’éviter le ton passionnel et les grandes envolées face aux attaques dont la psychiatrie est l’objet de la part de « belles âmes », professeurs d’éthique totalement ignorants des complexités de la question et de l’histoire de la psychiatrie légale, qui croient avoir trouvé les responsables de l’état des prisons : les psychiatres. Tout ce qui est excessif est dérisoire. On se souviendra qu’Henri Colin, au début du xxe siècle, estimait à plus de 30% le taux de malades mentaux en prison. On le redécouvre aujourd’hui. Tant mieux, si c’est pour apporter des solutions à la fois globales, concernant la psychiatrie publique, et spécifiques, concernant les malades mentaux délinquants. Mais que l’on ne s’avise pas, derrière le paravent des discours généreux, de vouloir recréer l’asile, ce lieu où s’entassent pêle-mêle les fous, les criminels et les gêneurs. Le train des bons sentiments peut en cacher un autre.
«On lui demande d'apaiser un corps social en souffrance»
propos recueillis par Delphine Saubaber, l'Express, le 15/07/2005, extraits
Rencontre avec le Dr Daniel Zagury, chef de service au centre psychiatrique du Bois-de-Bondy, expert psychiatre
"La psychiatrie avale tout ce que la société vomit", prédisait le psychiatre David Cooper dans les années 1960. Qu'en pensez-vous?
La psychiatrie est aujourd'hui plébiscitée, devenue «la bonne à tout faire de la société». Pourquoi certains individus sont-ils durablement hospitalisés dans nos services? C'est parfois moins la gravité de leurs symptômes que la gêne qu'ils occasionnent dans une maison de retraite, un foyer… Il faut bien le dire: du point de vue de la psychiatrie, les nouvelles ne sont pas bonnes. Moi qui travaille en banlieue parisienne, je suis frappé de voir une telle détresse psychosociale. Sachez qu'un chômeur a deux fois plus de risques d'être déprimé. Pauvres, marginaux, déclassés… Affolée par ces sujets qui échappent à toute forme de contention et d'intégration, la société nous demande d'exercer sur eux une violence légitime qu'elle n'a plus l'autorité ou la volonté d'assumer. On psychiatrise, une bonne façon de masquer les effets du chômage, des problèmes d'intégration… De manière générale, on demande à la psychiatrie non plus de soigner les malades, mais d'apaiser un corps social en souffrance. Aller chez un psy, c'est chercher à être écouté, compris, dans une société marquée par la brutalité de la compétition… Un refuge de douceur dans un monde de brutes.
Car tout se soigne, désormais…
Aussi bien le chagrin que les maladies mentales ou les troubles de la personnalité. Ceux qui étaient autrefois de mauvais garçons sont devenus des sujets à soigner à tout prix. Cela me rappelle un certificat rédigé par mon maître Jacques Chazaud à propos d'un homme hospitalisé parce qu'il avait piqué une colère contre sa femme, qui l'avait trompé: «Cocu. Pas content. Peut sortir.» Aujourd'hui, on dirait: «Réaction anxiodépressive chez un homme frappé par un événement de vie pénible. Nécessite des soins afin de retrouver son bien-être…»!
Quels sont les risques d'une telle «psychiatrisation» de l'existence?
Les grands psychiatres nous mettaient en garde contre ce phénomène: Henri Ey prédisait que la psychiatrie, gonflant comme la grenouille de la fable, risquait d'exploser en s'emparant, de borderline en borderline, de tous les aspects de la condition humaine. Car cette extension de la psy va de pair avec un glissement de responsabilité. On le voit à chaque fait divers: le psy est interpellé, tour à tour comme trop répressif ou laxiste. La question n'est plus «Que faire?», mais «A qui imputer?». Sarkozy, au ras de la démagogie, voue à la vindicte publique un juge qui a libéré un homme soupçonné de meurtre. Or nous, psychiatres, prenons des risques tous les jours: hospitaliser ou non… Et, si quelqu'un récidive, ce sera notre faute!
Cette démocratisation de la psychiatrie ne conduit-elle pas, aussi, à rejeter à la marge les populations à particularités, comme les grands malades mentaux?
C'est un paradoxe terrible: tout le monde a son psy, sauf les fous, vu l'état d'abandon de la psychiatrie publique. Les malades mentaux dangereux - minoritaires - sont la part maudite de la libéralisation de la psychiatrie. Un service comme le mien, avec un personnel féminisé, une architecture souple, n'est pas adapté à leur cas. Alors tout le monde se renvoie la balle, psychiatres de secteur, psychiatres de prison… et pouvoirs publics.
Du rapport Jardé, décembre 2003, un état des lieux de la médecine légale... La psychiatrie médico-légale traverse une crise profonde. Tous les interlocuteurs du groupe de travail confirment ce fait. [...] Un trait caractérise l’ensemble des dysfonctionnements persistants repérés : l’hétérogénéité des situations. Dans quelques rares villes, qui sont en général à la fois siège d’une cour d’appel et d’un C.H.U., tout l’éventail des prestations est offert aux autorités judiciaires : une permanence qui fonctionne 24 heures sur 24, qui assure une présence effective pour toutes les levées de corps lors des morts qui peuvent ne pas être de cause naturelle, qui effectue des autopsies dans des lieux adaptés disposant de moyens techniques, notamment radiologiques, qui assure les examens des victimes de violences mais aussi ceux des personnes gardées à vue. Même dans ces cas privilégiés, l’ensemble de ces prestations ne peut être généralement assuré que pour la zone urbaine et sa périphérie proche. [...] Or il paraît difficilement acceptable, par exemple, que la cause criminelle d’une mort soit ou non découverte selon le lieu du décès faute de la disponibilité d’une compétence médico-légale. Tout aussi inacceptable, paraît être la disparité de traitement des victimes d’agressions et de sévices en terme de constatations et donc de rassemblement des preuves nécessaires à faire valoir leurs droits. De même, s’agissant de la pratique des autopsies, on peut douter de la qualité de la prestation offerte pour des centres qui ne réalisent ce type d’acte que 20 ou 30 fois dans l’année, avec des moyens rudimentaires, dans une situation d’isolement, sans aucune communication avec la communauté scientifique, sans garantie de formation continue.
Violence et psychiatrie : quels experts ? pour quels rôles ?
l'Information Psychiatrique. Volume 82, Number 8, 655-62, Octobre 2006, Surveiller, punir, soigner
DOI : 10.1684/ipe.2006.0005 Article gratuit
Auteur(s) : Gérard Rossinelli
Résumé : Confrontés à une crise structurelle qui se surajoute à celle de l’institution judiciaire, la psychiatrie médicolégale et l’expertise psychiatrique connaissent des difficultés d’exercice majeures sur fond d’accroissement continu des demandes, de l’importance prise dans la société par la violence et la dangerosité, sur fond de gravité de la baisse démographique de la psychiatrie médicale. Les démarches de survie de la médecine légale, le rapport Jarde et celui de la mission interministérielle réalisé en janvier 2006 n’intègrent pas cette nécessaire spécificité de l’exercice psychiatrique expertal, l’importance de la pratique clinique, l’importance aussi d’investir la clinique psychiatrique expertale. La nécessaire amélioration du statut des psychiatres experts, la création d’un DESC de psychiatrie médicolégale et la naissance d’une dimension fédérative psychiatrique médicolégale constitueraient des orientations adaptées.
Mots-clés : psychiatrie médicolégale, rapport Jarde, expertise psychiatrique, expertise pénale, violence et psychiatrie
05. Un cours de médecine légale à la fin du 19e siècle
Les preuves matérielles et l’expertise par Alexandre Lacassagne, le 6 décembre 1896
Le document... des extraits de www.criminocorpus.cnrs.fr
« ... Vous avez entendu parler ces jours derniers et en termes irrévérencieux des médecins experts. Que leur reproche-t-on ? Les magistrats, de les avoir induits en erreur et fait condamner faussement la femme Druaux aux travaux forcés à perpétuité. La société, de son côté, leur impute ces condamnations injustes qu’elle a été obligée de réparer pécuniairement. En même temps, chacun plaint le sort de malheureux tels que Cauvin et la femme Druaux, victimes d’erreurs judiciaires. Et alors que n’a-t-on pas dit de l’insuffisance des experts et même, c’était inévitable, de la faillite de la science !
Il faudrait cependant remarquer que la réhabilitation complète de la femme Druaux et la démonstration évidente de l’erreur des premiers experts ont été faites avec d’autres experts plus compétents, mieux informés. ...
Source : Le médecin expert et l’erreur judiciaire,
Archives de l’anthropologie criminelle, tome XII, 1897, p. 5-21. [extraits]
Voir également Histoire de la criminologie française
de Laurent Mucchielli
L'Harmattan, Histoire des sciences humaines, 1995
Voir aussi Le traité du délire.