« « Travailler avec des gens très perturbés peut s’avérer fragilisant… » souffle-t-on à l’APF | Le procureur d'Outreau conteste la version de Dati » |
« On se moque des acquittés et de tous les Français », selon Karine Duchochois
PARIS (Reuters) - Le procureur de l'affaire d'Outreau, Gérald Lesigne, va quitter ses fonctions au tribunal de Boulogne-sur-Mer et à la cour d'appel de Douai dans les prochains mois.
Cette mesure est présentée comme une sanction par le ministère de la Justice mais constitue plutôt selon la magistrature un arrangement à l'amiable.
Le 18 juillet, le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) avait recommandé à la ministre de la Justice de ne pas sanctionner ce magistrat, qui représentait l'accusation dans l'instruction du juge Fabrice Burgaud sur un présumé réseau pédophile dans le nord de la France.
Dans son avis, le CSM estimait que Gérald Lesigne n'avait commis aucune faute professionnelle, hormis celle d'un défaut d'information à sa hiérarchie - un manquement effacé par l'effet d'une loi d'amnistie votée en 2002.
Techniquement, Rachida Dati n'a pas contredit le CSM, puisqu'elle aurait dû, dans ce cas contraire, ressaisir cet organisme, ce qu'elle n'a pas fait.
Gérald Lesigne va donc garder son grade et exercer ailleurs les mêmes fonctions, comme il l'avait lui-même souhaité. Il n'aura pas de promotion, comme cela aurait été envisageable en situation normale à 60 ans.
Cette mesure, annoncée dans le Figaro puis dans un bref communiqué, a été décidée après un entretien au ministère, qualifié de cordial par l'intéressé.
Rachida Dati explique avoir répondu à l'émotion suscitée par l'affaire. "Le maintien de M. Lesigne dans ses fonctions de procureur à Boulogne-sur-Mer n'est pas une réponse à la hauteur (des) traumatismes" causés par l'affaire d'Outreau chez "les personnes acquittées, les Français et l'ensemble de l'institution judiciaire", souligne-t-elle dans un communiqué.
"DÉPART NÉGOCIÉ"
"L'un et l'autre ont conclu un départ négocié et Rachida Dati essaie de faire croire à une sanction disciplinaire. Il n'y a pas de remise en cause directe de la sanction du CSM", estime Laurent Bedouet, secrétaire général de l'Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire).
Le syndicat FO-magistrats dénonce "la méthode déloyale et la décision scandaleuse du garde des Sceaux qui sont contraires à tous les principes de droit". Pour lui, le fait d'évoquer son sort en tête-à-tête avec le procureur "s'apparente à une véritable pression".
Karine Duchochois, l'une des 13 acquittées de l'affaire Outreau, a estimé que l'on se moquait des acquittés. "On attendait autre chose. Ce n'est pas une sanction, c'est une mutation. Lesigne a eu ce qu'il avait demandé. On se moque des acquittés et de tous les Français, en leur faisant croire qu'il a été sanctionné", a-t-elle déclarée à Reuters.
Dans l'affaire Outreau, commencée en 2000, treize personnes accusées d'abus sexuels sur des enfants ont été acquittées dans deux procès en 2004 et 2005.
Douze ont été placées en détention provisoire pour des périodes allant jusqu'à 39 mois. Un 14e suspect mis en cause à tort est mort en prison.
Cette affaire est devenue emblématique des dysfonctionnements du système judiciaire. Une commission d'enquête a proposé une grande réforme judiciaire, ce qui n'a été que très partiellement suivi.
Lors de l'audience du CSM le 19 mai, le représentant du ministère de la Justice avait demandé que Gérald Lesigne soit démis de ses fonctions et déplacé d'office dans une autre juridiction.
A la rentrée ou début 2009, le Conseil supérieur de la magistrature, dans une formation différente, examinera le cas du juge Burgaud, actuellement en poste à l'exécution des peines à Paris. Le CSM a, dans le cas d'un magistrat du siège, le pouvoir de sanctionner directement s'il estime qu'il y a eu faute.