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Suicides à Metz : on recherche un lampiste
Le suicide d'un jeune détenu à Metz met en question la politique pénale
LE MONDE | 10.10.08 | 09h48, extrait
Les conditions dans lesquelles l'inspection générale des services judiciaires (IGSJ) a enquêté sur le suicide d'un mineur de 16 ans, survenu lundi 6 octobre, à la maison d'arrêt de Metz-Queuleu, ont déclenché une vive polémique. Alors que Rachida Dati se rendait jeudi matin dans cette prison, les magistrats ont dénoncé l'attitude de la garde des sceaux, accusée de vouloir "trouver à tout prix des boucs émissaires pour masquer les contradictions flagrantes de sa politique pénale".
Selon plusieurs sources, la chancellerie aurait cherché "par tous les moyens" à identifier le substitut du procureur de Sarreguemines qui a ramené à exécution la peine de six mois d'emprisonnement ferme que le tribunal pour enfants de cette juridiction avait prononcée, le 23 septembre, à l'encontre de Nabil L., poursuivi pour trafic de stupéfiants et conduite sans permis. L'adolescent, qui ne s'était pas présenté devant ses juges, avait été interpellé jeudi 2 octobre, sur ordre du parquet, et conduit par les gendarmes à la prison de Metz. Quatre jours plus tard, il se pendait dans sa cellule.
"Mercredi soir, le procureur de Sarreguemines et son substitut ont été interrogés entre 22 heures et une heure du matin par les inspecteurs, dans un bureau de la cour d'appel de Metz, en dehors de tout cadre juridique", dénonce Fabienne Nicolas, juge d'instruction à Epinal et déléguée régionale du Syndicat de la magistrature (SM, gauche). "La ministre, qui a qualifié publiquement la décision de notre collègue de mauvaise décision , lors de sa visite, reproche au parquet de Sarreguemines de ne pas s'être fait présenter le mineur avant son incarcération, ce qui n'est pas dans les usages et ce que n'impose pas la loi." Jeudi, Mme Dati a annoncé qu'elle souhaitait voir cette pratique inscrite dans les textes.
PRISON MODÈLE
Une information judiciaire pour "recherche des causes de la mort" a été ouverte dès le lendemain du suicide de Nabil L.; elle devra déterminer si le drame découle d'un geste désespéré ou, plutôt, d'un jeu dangereux qui aurait mal tourné. Selon certains surveillants de l'établissement, plusieurs mineurs ont, ces dernières semaines, simulé une pendaison pour obtenir diverses faveurs ou attirer l'attention sur leur situation.
L'un d'eux, qui s'était livré à ce simulacre morbide, la semaine dernière, a tenté de mettre fin à ses jours, jeudi après-midi, au quartier des mineurs de la maison d'arrêt de Strasbourg où il a été transféré mardi, au lendemain du suicide de Nabil L., son voisin de cellule. Le jeune homme se trouvait dans un état critique, jeudi soir.
Nabil L. avait bénéficié d'une série de mesures éducatives et alternatives à la prison, avant sa condamnation. Le tribunal avait assorti son jugement de l'exécution provisoire (la peine est applicable dès que le jugement est signifié à l'intéressé). "Cette disposition prévue par l'ordonnance de 1945 sur la justice des mineurs vise à marquer un coup d'arrêt, face à une spirale de délinquance juvénile. Ma collègue substitut n'a fait qu'appliquer la loi en faisant exécuter la décision des juges", estime la représentante du SM.
"Mme Dati, qui avait présenté, il y a un mois, la maison d'arrêt de Metz comme une prison modèle, cherche à se tirer à bon compte d'une situation médiatique délicate pour elle, alors que quatre suicides ont eu lieu en cinq mois, dans cette prison", renchérit Guéric Hénon, délégué régional de l'Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire). La position de la ministre est d'autant plus délicate qu'en août, le syndicat de surveillants UFAP avait alerté la chancellerie sur les tensions et "le climat délétère" du quartier des mineurs de la prison messine. "Si rien n'est fait, il faut craindre qu'à court terme, un drame se produise", mettait en garde la missive.
"On nage en pleine contradiction, poursuit M. Hénon. La commission Varinard, installée en début d'année par Mme Dati, travaille à une réécriture de l'ordonnance de 1945, de façon à promouvoir une réponse plus rapide et efficace à chaque passage à l'acte de délinquants mineurs. Cette volonté de durcir la répression s'est déjà exprimée avec les peines planchers, applicables aussi aux mineurs. Mais quand un drame survient, on cherche des lampistes", regrette-il.