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Agnès inhumée, Le Chambon-sur-Lignon tente de tourner la page
NDLR : La PJJ de Nîmes devrait travailler plus avec Nanterre et sa cour d'appel, Versailles, des professionnels qui savent lire, dire ou prédire l'avenir, anticiper.
« On ne sait pas qui va ou ne va pas récidiver »
28-11-2011
Dernière mise à jour : ( 28-11-2011 ), la Marseillaise
Jean-Marie Angelini dirigeait le service de la PJJ qui a suivi M., le meurtrier présumé de la jeune Agnès au Chambon-sur-Lignon. Il dénonce des solutions gouvernementales simplistes.
A la retraite depuis le 1er octobre, Jean-Marie Angelini était jusque là responsable de l’unité éducative en milieu ouvert de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) à Nîmes. Service qui a suivi le jeune homme mis en examen pour le viol et le meurtre de la jeune Agnès au Chambon-sur-Lignon. S’il n’a jamais personnellement rencontré le jeune M., J-M. Angelini a eu des contacts avec ses parents et c’est son service qui a remis au juge un rapport dont le but était d’aider à sa prise de décision quant à la remise en liberté de l’adolescent mis en examen pour le viol d’une jeune fille en août 2010. J-M. Angelini est membre du SNPES/FSU.
Quel a été le rôle de votre service dans le suivi de M. ?
« ès août 2010, nous étions dans le cadre d’une mesure d’investigation et d’orientation éducative pour faire un bilan de l’histoire familiale et scolaire du jeune. Une de nos éducatrices l’a rencontré quand il était en milieu carcéral. Puis nous avons remis un rapport au juge qui s’est également appuyé sur deux expertises médicales. Après sa remise en liberté le 26 novembre 2010, il a eu plusieurs obligations : être scolarisé à Chambon-sur-Lignon puisqu’il avait interdiction de revenir à Nages où vivait sa victime. Il avait aussi une obligation de soin. Il a rencontré régulièrement des psychothérapeutes libéraux. Une de nos éducatrices l’a vu dans le Vaucluse quand il venait voir ses grands parents ou ses parents.
La droite a parlé de dysfonctionnement dans ce suivi ?
Il n’y a pas eu de dysfonctionnement, en tout cas au niveau institutionnel. Le suivi judiciaire a été fait à la lettre. Entre novembre 2010 et novembre 2011, ça a marché, c’était un bon élève. Simplement, c’est une illusion de penser qu’on peut prédire l’avenir. L’objectif assigné par notre mission vis à vis des jeunes qui nous sont confiés est d’éviter l’incarcération et de les réinscrire dans la vie sociale.
Dans la plupart des cas d’ailleurs, ça marche ?
J’ai bossé à la PJJ pendant quarante ans, je suis à Nîmes depuis vingt ans. C’est LE cas auquel nous avons été confrontés. La violence de ses actes, les conditions dans lesquelles il a tué sa victime, c’est un cas atypique, qui sort du commun des jeunes auxquels on a affaire. Le sociologue Laurent Muchielli dit d’ailleurs qu’en 2010, il y a eu deux meurtres de jeunes par des jeunes.
C’est deux de trop, mais c’est sur l’horreur de ce drame que le gouvernement surfe.
Tout à fait. A partir de là il échafaude des lois qui pour l’instant concernent deux ou trois jeunes chaque année. On est face à quelque chose de complètement disproportionné.
Le gouvernement va présenter une loi. Est-ce que les dispositions avancées auraient pu empêcher ce drame ?
A part de dire qu’on enferme ce jeune et qu’il ne sorte plus, je ne vois pas ce qui peut éradiquer ce genre de comportement. On sait bien que ce n’est pas possible d’enfermer à vie des jeunes qui ont commis des crimes sexuels. Il y a un autre paramètre : avec des ados, on n’est pas figé ad vitam æternam sur un comportement. C’est valable pour un jeune qui viole comme pour un jeune qui vole un portable. On peut mettre en place un projet. Au moment de l’adolescence, beaucoup de choses submergent les jeunes mais dans neuf cas sur dix, il n’y aura pas de passage à l’acte. En revanche le dernier cas, il est pratiquement impossible à prédire.
Le passage systématique en centre fermé (CEF) est-il envisageable ?
On en parle beaucoup. Dans le cas de M. d’abord, il a fait quatre mois de détention. Ce qui pour un mineur n’est pas rien. L’envoyer dans un CEF n’avait pas de sens. En tout cas, le juge n’en a pas décidé ainsi. Et surtout nous avons pensé que ce jeune devait reprendre sa scolarité, ce que les CEF ne permettent pas. On ne peut pas systématiser ce genre de mesures. Ce serait faire fi de l’individu, de sa singularité, de ses potentialités.
Il ne suffit pas de penser que le CEF est la réponse à tout, pour que la réinsertion puisse marcher. Il faut que nous ayons à notre disposition une palette de réponses possibles en fonction des cas. Et ce que nous craignons avec l’annonce de l’augmentation de 50% des places en CEF, c’est justement qu’en période de rigueur, on prenne les moyens affectés au milieu ouvert.
Et les autres mesures ?
Je crois avoir compris qu’il y a deux autres dispositifs : l’évaluation du degré de dangerosité. Je ne sais pas s’il y aura une échelle de Richter de la dangerosité ni comment on la déterminera. Je ne sais pas non plus si les professionnels pourront la déterminer. De même qu’on ne saura jamais qui va ou ne va pas récidiver et à quel moment. C’est une illusion de penser que le risque zéro existe. Ensuite, il y a le secret. Le reproche est fait de ne pas avoir dit au collège pourquoi ce jeune avait été incarcéré. L’établissement savait que le jeune avait fait quatre mois de prison mais ce sont les parents qui ont trouvé l’établissement et gardé le secret sur les causes. Notre objectif est toujours de réinstaurer les parents dans leur autorité. Dans ce cas nous n’en avons pas eu besoin. Ils étaient très disponibles à l’égard de leur enfant. Quand nous sommes intervenus nous avons eu à préserver le secret de l'instruction et la présomption d'innocence. Cela ne vaut pas que pour DSK ou Eric Woerth. Je précise aussi que l’éducatrice est montée au Chambon-sur-Lignon en mars où elle a rencontré le conseiller principal d’éducation. Elle devait voir le prof principal mais il était malade et a croisé le principal qui était pris par d’autres occupations.
Et en mars, il n’y avait pas de problème ?
Non. L’établissement savait qu’il y avait un suivi judiciaire par nos services. S’il estimait qu’il y avait des choses à nous dire, il pouvait le faire. A aucun moment l’institution scolaire ne nous a prévenus de problèmes relativement graves.
A chaque drame de ce genre, l’idée grandit que mineur ça veut dire délinquant en puissance…
L’important, c’est le regard que les adultes portent sur les jeunes. Au fil du temps, on est passé des mineurs en danger à des mineurs dangereux. Or, un jeune est un être en formation, en construction dans une phase très compliquée, de grande fragilité. Un regard bienveillant, c’est se dire qu’il peut y avoir des erreurs qu’on ne doit pas excuser mais essayer de comprendre. Il faut alors accompagner et remettre du sens, de la loi. Pas dire à un jeune : toute ta vie tu seras comme ça.
Et ce n’est pas l’horreur du Chambon qui doit empêcher que vous fassiez ça avec d’autres adolescents ?
Il faut qu’on le fasse avec tous les adolescents. Y compris avec M. Parce qu’il va bien falloir essayer de faire en sorte qu’il puisse se réinscrire parmi ses semblables. Il ne faut pas non plus tirer des généralités à cause de l’émotion. Bien sûr, qui n’est pas choqué en se disant ça aurait pu arriver à ma fille ? Mais est-ce qu’on ne peut aussi se demander : est-ce que ça n’aurait pas pu être nos enfants qui commettent cet acte-là ? »
RECUEILLI PAR ANNIE MENRAS
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