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Le procès du silence coupable
Société
Le procès du silence coupable
Devant la cour d’appel de Paris, Lydia Gouardo, violée et torturée par son père, aujourd’hui décédé, accuse sa belle-mère d’avoir laissé faire.
QUOTIDIEN : samedi 22 mars 2008
Elle est arrivée avec des feuilles de cahier d’écolier à la main. Sur le papier quadrillé, Lydia Gouardo, 45 ans, a listé toutes les choses qu’elle voudrait «oser dire» à sa belle-mère. «Quand tu voyais mon père avec moi dans mon lit, et que tu lui disais : "Tu n’as pas encore fini ?", "Bon alors c’est fait ?" Et quand je pleurais tu disais : "Arrête ton cirque."»
La belle-mère de Lydia Gouardo, Lucienne Ulpat, 68 ans, comparaissait ce vendredi devant la cour d’appel de Paris pour non-empêchement de crime. Violée, battue, torturée pendant vingt-huit ans, Lydia a eu six enfants de son père et tortionnaire, Raymond Gouardo, décédé en 1999. Lucienne Ulpat, la concubine de Raymond Gouardo, partageait leur vie pendant tout ce temps. Elle s’occupait des enfants nés de la relation incestueuse. Elle assistait aux viols et aux tortures, affirme Lydia.
«Et quand il me forçait à boire avec un entonnoir, pourquoi tu ne lui as rien dit ?», questionnent les feuilles du cahier. «Et l’éther, ça sentait partout, tu disais : "Il faut ouvrir les fenêtres." Mais lui il te répondait : "Avec ça au moins elle ferme sa gueule."»
Outre la plainte de Lydia pour non-empêchement de crimes, la cour d’appel devait examiner celle d’une amie de Lydia également violée par Gouardo, ainsi que celle d’un des fils de Lydia qui se plaint d’agressions sexuelles infligées par Lucienne Ulpat. En première instance, il y a un an, à Meaux, condamnée à trois ans de prison avec sursis et 15 000 euros d’amende, la belle-mère s’était défendue en répétant qu’elle n’était «au courant de rien». Une position difficilement tenable au vu des nombreux témoignages figurant au dossier.
«Le village savait». En mai 2007, après le premier jugement, Libération s’était rendu à Coulommes, le village de 400 habitants de Seine-et-Marne où habitent les Gouardo. «Tout le monde savait que Gouardo était le père des enfants de sa fille, confiaient alors plusieurs voisins. Il ne s’en cachait pas, il s’en vantait même.» Le maire de l’époque, Prudent Delagarde, confirmait : «Oui, je savais, tout le village savait. Mais n’allez pas salir Coulommes. Les gens qui font ces choses-là entre eux, on n’a pas à s’en mêler. C’est une famille d’indésirables dont on n’a jamais voulu ici.»
Lydia Gouardo a gardé des airs timides de petite fille. Ses grands yeux bleus vous fuient lorsqu’elle ne vous connaît pas. Cherchent sans cesse à accrocher votre regard une fois qu’elle a donné sa confiance. En arrivant au tribunal, ce vendredi, elle dit tous les espoirs qu’elle a dans ce procès en appel : «J’aimerais que, cette fois, ma belle-mère me demande pardon. Et qu’il n’y ait pas de huis clos. Pendant toutes ces années les institutions ont protégé mon père et ma belle-mère. Personne n’a voulu écouter mon histoire.» Mais dès les premières minutes de l’audience, la procureure demande le huis clos, «compte tenu de la difficulté à parler de certaines choses». L’avocat de Lydia, Alain Mikowski, s’y oppose. Celui de Lucienne Ulpat y est favorable. Son argument : «encore une fois Lydia Gouardo est venue accompagnée de nombreuses personnes.» Huis clos, tranche la présidente. Le compagnon de Lydia, ses fils et les trois journalistes présents se dirigent vers la porte. Elle leur lance un dernier regard perdu.
Acide. Lydia avait huit ans lorsque son père l’a violée pour la première fois. Elle venait à peine de réchapper d’un «accident» gravissime : «ma belle-mère m’a plongé dans une baignoire d’eau bouillante pour me punir». Très grièvement brûlée l’enfant est hospitalisée plusieurs semaines. Son père décide alors qu’elle n’ira plus à l’école, qu’elle restera en permanence avec lui. «L’Education nationale ne s’est jamais souciée de cette enfant déscolarisée. Il n’y a pas eu de signalement, alors que la famille était suivie par les services sociaux. Il n’y a pas eu de signalement de médecins alors que Lydia Gouardo a été par la suite régulièrement hospitalisée pour des brûlures à l’acide chlorhydrique infligées par son père. Quant à la gendarmerie, elle a été plusieurs fois alertée, et on n’a retrouvé aucune trace des plaintes déposées. On est, dans cette affaire, face à de très graves dysfonctionnements des services de l’Etat», confie une source proche du dossier au palais de justice de Meaux.
De ses huit ans jusqu’à la mort de Raymond Gouardo, le 19 novembre 1999, Lydia est régulièrement violée et torturée par son père. Chignole, scie, marteau, lame de rasoir… «De toute ma carrière, je n’avais jamais rien entendu d’aussi atroce», témoigne un enquêteur. Lydia fait de nombreuses fugues. A chaque fois, les services sociaux la ramènent à son père. Elle a 20 ans lorsque naît le premier enfant issu de ces viols, suivi de cinq autres naissances. «Quand, à la maternité, on me demandait qui était le père, je répondais la vérité : le père, c’est mon père. Il a assisté à tous mes accouchements. Personne n’a semblé y voir un problème», raconte-t-elle.
«Il y a des médecins, des gens de l’aide sociale à l’enfance, des avocats et des juges qui rencontraient sans cesse cette famille, constate François La Burthe, l’avocat de Lucienne Ulpat. Et pourtant ma cliente est seule dans le box.» Seule, et poursuivie seulement pour la période allant du 10 août 1998 au 19 novembre 1999, les faits antérieurs étant prescrits. «Si tu ne savais vraiment rien, alors pourquoi mon père dormait tous les soirs avec moi et pas avec toi», demande le cahier de Lydia.