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Cavale de Radovan Karadzic : « Paix et châtiment » n'aurait suscité ni démenti ni poursuites
PARIS (Reuters) - Pendant ses onze ans de cavale, Radovan Karadzic aurait été souvent "oublié", voire épargné sciemment par la France, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la Russie, selon le livre d'un témoin-clef paru en France.
Florence Hartmann, ex-porte-parole du procureur du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY), Carla Del Ponte, de 2000 à 2006, a raconté cette fuite ambiguë dans un livre sorti fin 2007, "Paix et châtiment", qui n'a suscité ni démenti ni poursuites.
Après les accords de Dayton du 14 décembre 1995, qui ont mis fin au conflit bosniaque, les grandes puissances savaient où se trouvait Radovan Karadzic, qui ne se cachait d'ailleurs pas à l'époque et donnait des entretiens à la presse, malgré une inculpation par le TPIY dès le 25 juillet 1995.
Soutenu financièrement par Belgrade, il rencontrait régulièrement à Pale, près de Sarajevo, l'officier français Hervé Gourmelon, qui tentait en vain de le persuader de se rendre, écrit Florence Hartmann. En mai 1997, son arrestation fut débattue entre les grandes puissances, sans qu'une décision soit prise.
Florence Hartmann cite l'ex-président français Jacques Chirac expliquant en 2000 à Carla del Ponte: "Karadzic n'a pas été arrêté en raison de l'opposition des Russes, Boris Eltsine m'a dit: 'Karadzic sait trop de choses sur Milosevic' et il m'a averti qu'il enverrait un avion pour l'extraire de Bosnie si nécessaire."
Selon le livre, Radovan Karadzic est parti en octobre 1997 en Biélorussie "dans un avion militaire affrété par Boris Eltsine", le président russe d'alors, avant de revenir en Bosnie début 1998. En 1999, Florence Hartmann témoigne qu'il a demandé au parquet du TPIY 300.000 marks et une protection en échange de sa reddition, avant de renoncer.
En février 2004, le fugitif a été localisé en Bosnie par le TPIY, qui a transmis l'information à l'Otan. "Quelques heures plus tard, un hélicoptère survole la zone, alertant ainsi Karadzic", écrit Florence Hartmann.
En 2005, un Néerlandais contacte le TPIY. Il dit avoir vu Karadzic le 7 avril à la terrasse d'un café d'une ville bosniaque, Foca. Alertés par le TPIY, les responsables américains de l'Otan, qui officiellement ont perdu sa trace, répondent: "Impossible, il était du 6 au 8 avril à Belgrade."
Le fuyard a souvent fait état de promesses d'impunité qui lui auraient été accordées par Paris et Washington pour favoriser les accords de Dayton et obtenir la libération de pilotes militaires français prisonniers en 1995.
La vraie clef de la fuite est ailleurs, selon Florence Hartmann. "Karadzic et Mladic n'ont pas été traduits en justice pour ne pas raviver le souvenir du choix inavouable des grandes démocraties occidentales de sacrifier la population de Srebrenica en l'abandonnant sciemment à ses tortionnaires, puis en privant ses survivants de leurs terres et d'un jugement."
Toujours libre, Ratko Mladic a bénéficié d'un statut de fugitif tout aussi ambigu, étant hospitalisé deux fois sous son nom en 2001 et 2002 à Belgrade, touchant sa retraite de l'Etat serbe. Le TPIY a connu son adresse exacte et l'a transmise à la CIA, sans jamais obtenir de résultats, écrit Florence Hartmann.