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Les juges confrontés aux faits religieux
La Croix, 08/08/2008, extrait
Les juges confrontés au contentieux musulman
L’annulation d’un mariage civil pour non-virginité de l’épouse, à Lille, début avril, a fait réagir l’opinion publique. Comment s’y prennent les juges amenés à trancher des dossiers faisant référence à l’islam ? "La Croix" a mené l'enquête
... Si l’affaire est « exceptionnelle », admet volontiers Thierry Fossier, président de chambre au tribunal de grande instance de Douai (Nord), elle n’en est pas moins révélatrice d’une tendance lourde. De plus en plus, les juges sont amenés à apprécier des pratiques ou des croyances liées à la tradition musulmane.
Ce spécialiste du droit de la famille rappelle qu’il y a en France chaque année 250 000 divorces prononcés. Avec la multiplication des mariages mixtes, la justice est confrontée à des différends qui peuvent mettre en cause des comportements religieux du conjoint ou sa manière d’élever les enfants.
Catholiques et Témoins de Jéhovah ont déjà amené les juges à s'exprimer
« Le fait religieux traverse depuis longtemps le droit de la famille », rappelle Thierry Fossier. Dans les années 1960, époque de bouleversement des mœurs, la justice avait connu de tels contentieux concernant les milieux catholiques. Ces dernières années, ce sont surtout les Témoins de Jéhovah qui avaient amené les juges à s’exprimer.
« Les tribunaux ont souvent eu à juger des pratiques imposées à un enfant par un parent contre l’avis de l’autre. On peut imaginer transposer cette jurisprudence sur une autre religion, comme l’islam. Mais pour l’instant, je n’ai pas connaissance de tels procès. »
Juge pour enfants à Nanterre (Hauts-de-Seine), Martine de Maximy se souvient avoir été saisie – une seule fois dans sa carrière – d’un signalement fait par une grand-mère inquiète pour sa petite-fille. La maman, vêtue de noir de pied en cap, gantée, lui interdisait de jouer à la poupée et refusait de l’inscrire à l’école publique.
Fallait-il condamner un comportement religieux contraire à la loi ou à l’intérêt de l’enfant ? « En fait, témoigne Martine de Maximy, il s’agissait surtout d’une forme de dévoiement de la religion par une personne qui avait des difficultés psychologiques et nous avons pu mettre en place un suivi éducatif. »
La juge avait découvert que cette femme, convertie à l’islam, était mariée à un homme d’origine maghrébine qui avait lui-même très peu d’attachement religieux. Un autre magistrat, de Seine-Saint-Denis, cite l’exemple d’une femme refusant que son enfant écrive de la main gauche, réputée « impure ». Là aussi, ce raidissement religieux révéla des troubles psychiatriques qui justifièrent le placement de l’enfant.
Les problèmes de décalage culturel sont en cause
Également juge pour enfants, dans le sud de la France, Odile Barral a traité de nombreux dossiers concernant des familles musulmanes, en général des cas d’enfants en conflit avec leurs parents.
« Ce sont rarement les questions de tenue vestimentaire ou de pratiques religieuses qui sont en cause, mais beaucoup plus des problèmes de décalage culturel : par exemple un père qui se raidit parce qu’il ne possède pas les bons codes pour comprendre la société. On renvoie trop souvent l’image de parents démissionnaires ou intransigeants. Or, la plupart font preuve de bonne volonté et se débrouillent comme ils le peuvent pour surmonter les difficultés. »
Les magistrats ne minimisent pas pour autant la situation des jeunes filles vivant sous la domination d’un parent ou d’un grand frère, ni les tentatives de réseaux islamistes d’étendre leur emprise. Nul ne peut ignorer l’apparition des femmes en burqa dans certains quartiers où se concentrent les populations immigrées.
Une demande de formation forte des juges
Chaque année, l’École nationale de la magistrature organise, dans le cadre de la formation continue, deux sessions consacrées à la connaissance de l’islam. La prochaine accueillera 180 participants du 1er au 5 septembre. « La demande est très forte, reconnaît la juge Isabelle Schmelck, responsable de la formation continue. Nous recevons plus de candidatures (qu’il n’y a) de places disponibles. Et on sera sans doute amenés à faire davantage. »