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« Un appel de merde »
Société 21 nov. 10h33, Libé
William, mort pour ne pas avoir été pris au sérieux par les policiers
Police. La ministre de l’Intérieur a appelé, en septembre, à un réexamen du dossier.
Par deux fois, au soir du 16 octobre 2005, la police de Foix (Ariège) reçoit des appels téléphoniques au secours : William Hachet, 42 ans, vient de se faire tabasser chez lui. Grièvement blessé, il n’a pas le temps de dire son nom. Un policier tente un contre-appel qui l’amène sur sa messagerie. William est impossible à localiser et un collègue évoque «un appel de merde».
Quarante-cinq minutes plus tard, le mystère s’éclaircit avec un nouvel appel : un voisin s’inquiète de la porte fracturée et de traces de sang chez William. «On y passera» , assure un policier. Qui n’envoie pas de patrouille. La police ne se déplacera que dix-huit heures plus tard, alertée par un autre voisin. Pour trouver William mort. Selon les experts, il a survécu au moins une heure après les coups. Suffisant pour être transporté à l’hôpital, si la police était intervenue.
Sursis. Circonstance aggravante : deux semaines auparavant, dans la nuit du 1er au 2 octobre, la police était venue à son domicile pour éloigner le même agresseur, Didier Lancel, auteur d’une «menace avec arme», un couteau avec une lame de 26 cm. Selon l’enregistrement du commissariat, un policier a d’abord blagué, quand William a appelé :
«Vous êtes Monsieur ?
- Hachet.
- Haché menu ?»
Sur place, les policiers ont simplement fait sortir l’agresseur. Il est revenu. Ils sont intervenus à nouveau. Excédés par les six appels de William, ils ont commenté : «L’affolé, il commence à nous casser les bonbons ! […] Qu’il arrête de téléphoner, qu’il aille se coucher… Il va pas nous amuser toute la nuit.» Les policiers n’ont ni interpellé l’agresseur, ni mentionné la saisie du couteau. «Personne parmi nous n’a réalisé que les choses prenaient cette fois des proportions graves, qui risquaient de se finir en homicide», expliquera un policier. Ils n’ont pas saisi l’OPJ (officier de police judiciaire) de garde : «Il aurait fallu le réveiller». S’ils avaient activé une procédure, Didier Lancel aurait pu être incarcéré, ou placé sous contrôle judiciaire, en raison de ses antécédents, ce qui aurait peut-être empêché la mort de William (1).
Dans un courrier à ses parents, la ministre de l’Intérieur Michèle Alliot-Marie a indiqué «déplorer la désinvolture inadmissible» des policiers. Pendant l’enquête, ils ont menti, puis minimisé les faits, réduits à des querelles d’ivrognes et de «marginaux». Le tribunal correctionnel de Foix a dû «déplorer que des policiers, sous la foi du serment, fassent devant lui, en qualité de témoins, des récits contradictoires des mêmes faits». Il a condamné le policier qui n’a pas envoyé de patrouille à douze mois de prison avec sursis, le 24 octobre 2006, pour «non-assistance à personne en danger». Le procureur de la République n’avait requis que trois mois avec sursis. Comme sanction administrative, ce policier n’a subi qu’un blâme, avec mutation dans la ville voisine de Pamiers.
Saisie, la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) a dit en 2007 «s’interroger sur la nature et le niveau» de cette sanction, alors que son attitude a «empêché les secours d’intervenir à temps, ce qui aurait pu sauver [William] ». Même étonnement sur la négligence du 1er octobre, qualifiée de «faute professionnelle grave, admise par une autorité hiérarchique à l’évidence défaillante». La commission a blâmé ces policiers qui ont «manqué à la dignité […], aux devoirs de protection […] et à l’obligation de rendre compte».
Blâme. Un deuxième policier a écopé d’un blâme et d’une radiation de la liste d’avancement, un autre d’une exclusion temporaire de quinze jours dont sept ferme, sans rémunération. Mais sans conséquences pénales, ce qui révolte la famille de William. «Ces trois policiers ne sont pas les seuls fautifs», affirment sa mère, Hélène Bourson, 69 ans, et son beau-père, Serge Bourson, 75 ans. Ils ont déposé plainte pour «homicide involontaire», en février 2007, espérant que d’autres policiers soient poursuivis. Mais le procureur de Foix s’y oppose : «Les parents pensent que tout le commissariat aurait dû être condamné, affirme Antoine Leroy. Juridiquement, ça ne tient pas». L’instruction se poursuit.
Les parents de William ont été reçus, début septembre, par la ministre de l’Intérieur, qui souhaite «un réexamen administratif de l’attitude de la chaîne hiérarchique au moment de ce drame». «C’est une affaire terrible, reconnaît le patron de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN, la «police des polices), Dominique Boyajean. Si les policiers étaient intervenus, Monsieur Hachet aurait pu être sauvé».
Une réorganisation du commissariat de Foix a eu lieu, selon l’IGPN. «Plus jamais une affaire Hachet !» clame son patron. Le commissaire doit être muté. Mais les parents de William estiment que les «graves dysfonctionnements» relevés par l’IGPN n’ont pas provoqué les sanctions adéquates. «Le conseil de discipline a été un peu light», reconnaît le patron de l’IGPN.
Incinération. L’affaire pose d’autres problèmes. A la suite d’un accident de la route en 1980, William avait été contaminé par le virus de l’hépatite C, lors d’une transfusion sanguine. Il venait de recevoir un chèque d’indemnisation, mais sa succession a été perturbée, et l’indemnisation de sa famille est contestée par le Fonds de garantie des victimes. Ses organes, prélevés pour la médecine légale, ont été détruits par incinération, sans qu’on prévienne ses parents. Leur avocate, Me Julia Minkowski, a déposé une requête en restitution de scellés.
(1) Didier Lancel a été condamné en appel, le 11 avril 2008, à dix-huit ans de réclusion criminelle, par la cour d’assises de la Haute-Garonne, pour coups mortels.