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Les historiens évoquent 100 000 viols commis à Berlin
Seules dans Berlin
LE MONDE | 20.12.08 | 14h27 • Mis à jour le 20.12.08 | 14h27, extrait
Ils sont là. Cette fois c'est sûr. En cette fin avril 1945, cela fait des jours que, dans Berlin encerclée, on ne parle que de "ça". La soudaine amplification des tirs d'artillerie et des canons antiaériens ne laisse plus guère de place au doute. Les Russes sont là. Terrées, en compagnie des enfants et des vieillards, dans l'obscurité des caves ou des bunkers, pour la plupart sans nouvelles de leur homme parti sur le front, les femmes de la capitale du Reich savent à quoi s'en tenir. La propagande nazie contre les "russische Bestien" (ces "bestiaux de Russes") a bien fait son travail.
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Les soldats russes, souvent des paysans venus de Sibérie, du Caucase ou de Mongolie, veulent des femmes, symboles de leur victoire sur l'Allemagne hitlérienne. Mères de famille, adolescentes, sexagénaires... toutes satisfont à l'idée valorisante que les "Ivan" - ainsi les surnomme-t-on - se font de la "Deutsche Fräulein". Livrées en pâture, maintes Berlinoises seront extirpées de leur souricière et traînées dans les couloirs, les annexes des caves, les cages d'escalier, pour y être violées. Les historiens évoquent 100 000 viols commis à Berlin entre avril et septembre 1945, et en tout 2 millions d'Allemandes violées sur le front soviétique.
Presque soixante-cinq ans se sont écoulés. Chaque famille d'Allemagne porte de près ou de loin ce drame en mémoire. Mais personne n'a jamais osé en parler (surtout à l'Est, où critiquer le "grand frère" russe était défendu). L'humiliation, la honte, la douleur, étaient trop fortes. Le tabou paraissait insurmontable. D'autant qu'au regard des crimes commis par les nazis, un interdit tacite empêchait les Allemands d'évoquer les souffrances endurées pendant la guerre : ils auraient aussitôt été accusés de révisionnisme.
La parole semble pourtant se libérer. Tout en veillant toujours à rappeler la responsabilité initiale du régime nazi, de plus en plus de documentaires et de téléfilms se mettent à évoquer le tribut payé par les Allemands à leur Führer et aux Alliés : martyre de Dresde bombardée, torpillage du Gustloff et de ses 10 000 passagers, exode de 12 millions d'Allemands expulsés des territoires de l'est du Reich...
Avec le film Anonyma, eine Frau in Berlin, réalisé par Max Färberböck et sorti sur les écrans allemands fin octobre, la question des viols massifs commis par les Russes en 1945 est pour la première fois abordée au cinéma.