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Békés : une affaire d'héritage
Békés : Une affaire d'héritage
LE MONDE | 28.02.09 | 14h00 • Mis à jour le 28.02.09 | 16h00, extrait
Pointe-à-Pitre, Fort de France Envoyés spéciaux
Assis sous un élégant carbet, dans le souffle de l'alizé, Roger de Jaham, 60 ans, laisse flâner son accent créole pour raconter le camouflet qu'il a récemment subi : "Pour la première fois de ma vie, un homme que je saluais m'a dit : "Je ne serre pas la main d'un béké."" L'homme a encaissé l'humiliation, retiré sa main.
Il ne se voile pas la face, sait bien le lourd passif historique qui oppose les 3 000 békés aux 400 000 autres Martiniquais. Son ancêtre est arrivé dans l'île en 1635, comme capitaine de la milice. Il s'est enrichi sur la misère des esclaves. Un autre aïeul, Octave, a même été jugé pour les mauvais traitements qu'il infligeait à ses serviteurs. Le descendant a déniché récemment les minutes du procès dans des archives. "On ne parlait pas de l'esclavage à la maison. Pour nous aussi, c'était un poids."
Mais aujourd'hui, c'est comme si rien n'avait changé. Exploiteur, affameur, raciste, endogame : Roger de Jaham ne comprend pas l'opprobre que subit actuellement sa communauté aux Antilles, hurle à "une sacrée cabale". "Nous sommes des boucs émissaires, estime-t-il. Les grévistes, les médias et jusqu'au président de la République ont pris pour cible les békés." A ses côtés, son frère Claude, 65 ans, veut croire qu'il ne s'agit que d'un sale moment à passer : "Je pense que ça va s'apaiser mais dans la douleur, dans le ressentiment. Ça va laisser des cicatrices."
A Cap-Est, le lieu de résidence favori des Blancs créoles de Martinique, les belles villas dominent les eaux turquoise, leurs hauts murs protégeant des curieux et des jaloux. Des routes en cul-de-sac, où ne se rendent que ceux qui y ont à faire, mènent à cet éperon, surnommé "Békéland" par les insulaires. Ici, pendant la grève générale, on s'est caché, plus encore que d'habitude. Des patrouilles de police ont été renforcées.
On a beaucoup parlé des békés ces dernières semaines. En mal ou en bien, la communauté n'aime pas ça. Elle est par nature discrète, éprise de secrets même, consciente que sa bonne fortune suscite la jalousie. C'est un mode de survie, un gage de durée. "Il ne faut pas se montrer arrogants, ostentatoires, résume Claude de Jaham. Il faut rester à sa place comme nous l'avons fait depuis trois cent cinquante ans."
Les Jaham sont parmi les rares qui acceptent de parler. Difficile dans cette atmosphère de camp retranché d'obtenir des confidences. "Actuellement, c'est chaud brûlant. Je ne préfère pas m'exprimer, attendre que ça se tasse", explique un habitant avant de raccrocher brutalement le téléphone.