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Le droit à une justice civile même à Guantanamo
Le droit à une justice civile même à Guantanamo
AFP, lalibre.be, le 12/06/2008
Cette décision devrait permettre aux détenus de forcer le gouvernement à présenter l'ensemble des éléments justifiant leur détention, une démarche que l'administration refuse pour l'instant au nom de la sécurité nationale.
La Cour suprême américaine a déclaré jeudi que la Constitution garantissait aux détenus de Guantanamo le droit de saisir la justice civile, un nouveau revers pour l'administration Bush qui ne rend pas pour autant la liberté aux prisonniers. C'est la troisième fois que la plus haute juridiction du pays rejette les arguments du gouvernement sur le centre de détention de la base américaine à Cuba, qui compte encore environ 270 prisonniers, malgré une réprobation internationale quasi-unanime.
En 2004 puis en 2006, les juges avaient estimé que les détenus pouvaient saisir la justice fédérale, une procédure charnière du droit anglo-saxon appelée "habeas corpus". Mais ils s'étaient alors appuyés sur des textes de loi modifiés depuis par le Congrès.
Mais par 5 voix contre 4, la Cour a estimé que même si Guantanamo était officiellement en territoire cubain, la base fonctionnait de fait comme un territoire américain où certains droits fondamentaux inscrits dans la Constitution devaient être respectés.
"Les requérants bénéficient du privilège constitutionnel de l'habeas corpus", a tranché la Cour suprême, dans la décision rédigée par le juge Anthony Kennedy. "Les lois et la Constitution sont écrites pour survivre, et rester applicables, dans des circonstances extraordinaires. La liberté et la sécurité peuvent être réconciliées, et dans notre système elles le sont dans le cadre de la loi", a ajouté le juge.
La Maison Blanche a refusé de commenter la décision dans l'immédiat. Les collaborateurs du président George W. Bush, en déplacement à Rome, "étudient l'avis" de la Cour, a indiqué sa porte-parole, Dana Perino.
La Cour a cependant précisé que la question de l'autorité du président à détenir les plaignants devait maintenant être résolue au cas par cas par les juges de première instance au tribunal fédéral de Washington, dans un cadre encore imprécis fustigé par le président de la Cour, le juge John Roberts. "On ne peut s'empêcher de penser, en regardant les résultats pratiques modestes de la décision ambitieuse de la majorité, que cette décision ne concerne en fait pas du tout les détenus, mais le contrôle de la politique fédérale" contre l'ennemi, a écrit le juge Roberts au nom de la minorité.
Cette décision "aide à restaurer la crédibilité des Etats-Unis comme héraut et modèle de l'Etat de droit à travers le monde", a salué pour sa part le président du barreau des avocats américains, William Neukom.
Elle "répudie avec force l'illégalité essentielle de la politique ratée de l'administration à Guantanamo. Elle devrait aussi marquer le début de la fin pour la procédure des tribunaux militaires d'exception", a ajouté Steven Shapiro, directeur juridique de l'ACLU, la puissante association de défense des libertés.
La décision rouvre en effet la porte des tribunaux civils pour les quelque 80 détenus que l'administration compte traduire devant ces tribunaux militaires d'exception, invalidés en juin 2006 par la Cour suprême mais réinstaurés quelques mois plus tard par le Congrès.
Déjà plusieurs fois reportés, les premiers procès doivent s'ouvrir cet été dans une salle d'audience toute neuve - mais démontable - installée sur la base à Cuba. Le premier à comparaître pourrait être Salim Hamdan, un ancien chauffeur d'Oussama Ben Laden, qui avait été à l'origine de la décision de 2006 et qui conteste à nouveau la validité du système.
Les deux candidats à la succession de George W. Bush, le républicain John McCain et le démocrate Barack Obama, se sont engagés à fermer le centre de détention de Guantanamo, un objectif que l'administration affirme partager depuis deux ans, sans parvenir à trouver d'alternative.