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« La terre est comme une mère », il ne la vendra jamais
Les paysans indiens poussent Tata à retarder la fabrication de la Nano
LE MONDE | 05.09.08 | Extraits
"C'est là-bas que mon existence a pris fin", soupire Arandam Ghosh, le torse nu penché sur sa canne, la peau tirée sur les os, en fixant du regard le mur de briques rouges qui barre l'étendue vert phosphorescent des champs de rizière. L'hectare qu'il cultivait fait désormais partie du site de Singur, choisi par le géant indien Tata pour y fabriquer la voiture la moins chère du monde, la Tata Nano. 350 millions de dollars (245 millions d'euros) y ont été investis pour produire 250 000 véhicules par an. Aujourd'hui les champs de cet agriculteur de 79 ans sont en friche et en sursis.
Face aux manifestations hostiles de paysans, le constructeur automobile a décidé, lundi 2 septembre, d'arrêter la construction de l'usine jusqu'à nouvel ordre, et envisage de délocaliser le site de production dans un autre Etat indien. Dans un communiqué le groupe a indiqué avoir "été contraint de suspendre la construction de l'usine compte tenu de l'agitation et les conflits qui s'y poursuivent".
"Singur pouvait devenir le "Detroit" (la capitale de l'industrie automobile américaine) de la région et une icône du pays", regrette Debasis Som, le directeur de l'agence de développement industriel du Bengale occidental. Malgré les efforts engagés depuis 2000 pour industrialiser la région, les acquisitions de terrains se heurtent au refus des paysans. Les terres qui bénéficient d'infrastructures, comme l'accès à l'électricité ou à l'eau, sont parmi les plus fertiles.
Le gouvernement local avait proposé à 14 000 paysans de racheter leurs terrains tout en leur promettant un emploi à l'usine, pour eux et leurs enfants. Mais ils sont 3 000, comme Arandam Ghosh, à avoir refusé : "Une terre se transmet pour l'éternité, l'argent se dilapide. Que va-t-il rester à mes enfants ?" La loi d'acquisition des terres, votée en 1894 pendant la colonisation britannique, a finalement permis à la région de réquisitionner les terrains pour les revendre à Tata. En refusant de signer l'acte de vente, Arandan Ghosh a perdu sa terre sans avoir encore touché aucune indemnité : "La terre est comme une mère. Et je ne vendrai jamais ma mère", insiste-t-il.
Depuis deux semaines, la résistance contre Tata est visible sur l'autoroute qui longe l'usine. Des camions transportant des marchandises y sont bloqués. Suspendus à des bambous, les haut-parleurs crachent le même slogan : "Tata Nano, no, no !", accompagnés de chansons de martyrs, datant de la lutte pour l'indépendance de l'Inde.
NÉGOCIATIONS
Des petites cahutes de bois arborent les drapeaux des syndicats, du Parti communiste marxiste-léniniste, et du Trinamool Congress. Sa leader, Mamata Banerjee, une politicienne aguerrie, est devenue la "didi", la "grande soeur" des paysans sans terre.
... "Nous voulons que Tata rende aux paysans les 160 hectares de terres fertiles et utilise des terres non cultivées, situées plus loin. L'industrie n'a pas à dicter sa loi aux agriculteurs." Mais le groupe indien refuse de rendre les terres, prétextant que ce transfert augmenterait les coûts de fabrication de la Nano.
... Mardi, un paysan de 61 ans, qui avait accepté de vendre ses terres, et travaillait à l'usine, s'est suicidé. Sa femme a prétendu qu'il redoutait de perdre son emploi si Tata décidait de se retirer de Singur.