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Où finit le politiquement correct ?
Chronique de la médiatrice
Appeler un Noir un Noir, par Véronique Maurus
LE MONDE | 15.11.08 | 14h00 • Mis à jour le 15.11.08 | 14h01, extraits
L'élection de Barack Obama a un avantage annexe, appréciable pour les médiateurs : on peut enfin écrire Noir, même dans un sous-titre de première page, comme dans Le Monde du 6 novembre ("... le vainqueur démocrate, premier Noir à accéder à la Maison Blanche"), sans recevoir une volée de messages criant au racisme. Ce jour-là, le terme a été utilisé 21 fois, idem le lendemain. Pas un reproche. Au contraire, des courriels ravis de notre couverture très complète de cette élection. C'est nouveau : jusque-là, mentionner la couleur de la peau, les racines ethniques ou religieuses d'une personne était tabou.
Il est vrai qu'il s'agit des Etats-Unis. Dans une page Focus du 26 août - "Pourquoi le métis Obama se définit comme un Noir" -, notre correspondant Sylvain Cypel a longuement expliqué que le mot "race", de ce côté de l'Atlantique, n'a pas le sens péjoratif qu'il a en Europe depuis la seconde guerre mondiale. Il désigne simplement un groupe humain, choisi par chaque citoyen, lors du recensement. Depuis 2000, un individu peut cocher plusieurs cases (par exemple "Hispanique" et "Noir") ou une seule, comme Obama, signifiant ainsi la communauté à laquelle il s'assimile. Une minorité (2,5 %) d'Américains se déclarent métis - en cochant deux races ou plus. "On ne dit pas le candidat métis, mais noir, car lui-même se revendique comme tel. C'est une culture politique", ajoute notre correspondant.
Cette approche décomplexée (de fraîche date il est vrai) n'a pas encore gagné la France. Durant toute la campagne américaine, nos correspondants se sont ainsi plaints du racisme sous-jacent de nos articles. "Je n'en peux plus de lire des précisions de couleur quand il s'agit de "noir (e)", écrivait par exemple Ana Chavanat (courriel).
[...] Où commence la discrimination, où finit le politiquement correct ? Le problème n'est pas neuf. Il est même un casse-tête pour les médiateurs. Rien, en effet, dans les chartes de déontologie n'interdit de préciser la couleur de peau, l'origine ethnique, la religion ou l'orientation sexuelle d'une personne, à condition que ces détails soient pertinents dans le contexte - ou que l'intéressé s'en prévale. Le Livre de style du Monde, ajoute, au chapitre Préjugé (s) : "Les rédacteurs s'interdisent d'utiliser toute formule ou tout cliché exprimant du sexisme ("une charmante greffière"), du racisme ("une cruauté tout orientale") ou du mépris social ("fils d'un modeste instituteur")."
Dans ce domaine, la faute s'apprécie au cas par cas et la maladresse n'est pas la moindre.
[...] C'est de moins en moins facile. Le politiquement correct et les crispations identitaires progressant (avec le malaise de la société ?), la liste des termes tabous s'allonge, contraignant les rédacteurs à des périphrases de plus en plus artificielles : "minorités visibles", "jeunes de la diversité" ou "issus de l'immigration", etc.