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Guadeloupe : derrière la crise sociale, l'antagonisme racial
Un reportage sur les "békés" enflamme la Martinique
LEMONDE.FR | 13.02.09 | 12h12 • Mis à jour le 16.02.09 | 19h50, extrait
C'est un reportage qui fait grand bruit, dans une Martinique en pleine crise sociale, en grève depuis huit jours "contre la vie chère". Diffusé vendredi 6 février par Canal+, Les Derniers Maîtres de la Martinique, est un reportage de Romain Bolzinger sur les héritiers blancs des premiers colons installés sur l'île avant la Révolution Française.
Alain Huygues-Despointes, un des "békés" interrogés, regrette que les historiens ne s'intéressent pas "aux bons côtés de l'esclavage" et explique "vouloir préserver sa race". "Quand je vois des familles métissées avec des Blancs et des Noirs, les enfants naissent de couleurs différentes, il n'y a pas d'harmonie", déclare-t-il.
Dans un communiqué en date du 2 février, envoyé à toutes les rédactions locales, M. Despointes affirme que ses propos ont été "sortis de leur contexte" et qu'ils ne reflétaient "en rien ses convictions profondes" sur l'esclavage, "un passé honni". Il présente aussi ses "sincères regrets" à ceux qui ont été "blessés".
"PARFAITEMENT IGNOBLES"
Pour autant, Yves Jégo, le secrétaire d'Etat à l'outre-mer, a jugé jeudi "parfaitement ignobles" ces propos. "On a des lois qui interdisent ce genre de choses dans la République", a souligné Yves Jégo sur Europe 1, ajoutant que le parquet de Martinique avait ouvert une information judiciaire pour "apologie de crime contre l'humanité et incitation à la haine raciale."
Guadeloupe : derrière la crise sociale, l'antagonisme racial
Par Cyrille Louis, envoyé spécial à Pointe-à-Pitre
Le Figaro16/02/2009 | Mise à jour : 19:16, extraits
Depuis le début, l'antagonisme supposé entre travailleurs noirs et patrons descendants des colons blancs s'est imposé en toile de fond des revendications salariales.
Le rituel se répète désormais à chaque meeting du collectif Liyannaj kont pwofitasyon (Ensemble contre les profiteurs ou LKP). Ce samedi 14 février, c'est ainsi dans la petite ville du Moule, au nord-est de la Guadeloupe, que plusieurs milliers de sympathisants massés sur la place principale entonnent dans la nuit un refrain entraînant. Midinettes et vieillards, gros bras du syndicat UGTG et beaux gosses juchés sur les toits des maisons voisines reprennent en cœur. Les silhouettes s'animent, des sourires se dessinent, un souffle de ferveur balaie la foule. Comme en transe, toute l'île semble psalmodier le refrain gênant qui, devenu l'hymne des grévistes, menace joyeusement : «La Gwadloup sé tan nou, la Gwadloup a pa ta yo.»
Ce «tube», composé aux premiers jours du conflit par un poète de Basse-Terre nommé Jackie Richard, rencontre depuis quatre semaines un succès tel qu'une maison de production a tout récemment décidé d'en faire un disque. Dans la rue, sur les piquets de grève, l'air est sur toutes les lèvres. Pourtant, depuis peu, quelques voix mettent en garde contre le refrain qui, visant sans les nommer patrons békés et autres «métros», scande : «La Guadeloupe c'est à nous, la Guadeloupe c'est pas à eux.» Samedi, le président socialiste du conseil régional Victorin Lurel a même ouvertement redouté que l'actuel conflit social ne se «racialise», avertissant : «Attention aux chansons obsédantes, avec lesquelles il est facile de mobiliser les gens. Ces derniers jours, certains “métros” ont été embêtés et ce n'est pas normal. N'oublions pas qu'une société multiculturelle, c'est beau mais c'est fragile.»
[...] Le 6 février dernier, la diffusion sur Canal + d'un documentaire décrivant la communauté béké de Martinique a singulièrement attisé les braises d'un contentieux inscrit au plus profond de la société guadeloupéenne. À l'écran, le public antillais a notamment pu entendre les élucubrations du patriarche Alain Huyghes-Despointes sur les «bons côtés» de l'esclavage et la nécessité, selon lui, de préserver la pureté du sang béké en évitant les unions avec des Noirs. De ce film, nombre de téléspectateurs ont aussi retenu le large contrôle exercé par quelques familles anciennes et très fortunées sur l'économie et la société antillaises. «L'actuelle focalisation du LKP sur les békés révèle bien la profondeur d'un antagonisme qui est issu du passé mais resurgit chaque fois que la Guadeloupe connaît un mouvement social», analyse Fred Réno, professeur de sciences politiques à l'université Antilles-Guyane.
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