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AZF, c'est aussi une affaire de fous
AZF, c'est aussi une affaire de fous
LE MONDE | 14.03.09 | 15h02 • Mis à jour le 14.03.09 | 15h02, extrait
Toulouse Correspondant
Le docteur Walter Albardier, médecin-psychiatre de l'hôpital Gérard Marchant, était en première ligne quand l'usine AZF a explosé, le 21 septembre 2001 à Toulouse. L'établissement se situait juste en face de la fabrique chimique, de l'autre côté de la route. Aucun mort à déplorer derrière les murs mais une quarantaine de blessés, dont six graves.
Pourtant, l'hôpital psychiatrique est absent du bilan de la catastrophe, comme du procès-fleuve qui s'est ouvert le 23 février dans la Ville rose. Appelé à la barre du tribunal le 5 mars dernier, le professeur Lang est venu témoigner de l'ampleur du "stress post-traumatique" ressenti dans la ville après l'explosion : plus de 5 000 consultations "psy" dans les premières semaines, jusqu'à 50 % de dépressions déclarées quatre ans plus tard parmi les femmes qui se sont prêtées au suivi épidémiologique de ce spécialiste de l'INVS (Institut national de veille sanitaire).
Les conséquences sur la santé mentale sont, avec les troubles de l'audition, les symptômes les plus durables de l'explosion sur la population, résume Thierry Lang, qui ajoute : "Les victimes les plus proches ont été les plus touchées." Paradoxalement, aucun des 368 malades mentaux internés le 21 septembre à l'hôpital Marchant, à quelques mètres seulement de l'usine, n'a été intégré dans l'échantillon de l'INVS. Pour le docteur Albardier, c'est la preuve qu'il existe une différence entre la "psy propre", réservée aux "traumatisés" d'AZF, et ce qu'il appelle "la psy lourde" : la sienne. Celle d'un hôpital psychiatrique considéré de l'extérieur comme un lieu d'enfermement pour fous dangereux. Qui fait peur.
Nombreux sont les Toulousains qui pensent encore aujourd'hui que les malades de Marchant ont profité de l'explosion pour s'enfuir. En fait, les patients valides ont été regroupés au fond du parc, le plus loin possible du nuage rouge orangé d'ammoniac qui s'élevait des décombres de l'usine voisine. "De loin, on aurait dit une kermesse", se souvient une directrice adjointe de l'hôpital. Médecins et infirmiers sont unanimes pour souligner le "caractère exemplaire" des malades. Certains ont même participé aux opérations de secours en aidant à déchirer des draps pour en faire des pansements, utilisés dans le poste de secours avancé installé à l'entrée de l'hôpital, qui a réceptionné les premiers ouvriers blessés sortant de l'usine.
"Comme on n'avait pas assez de médicaments antalgiques, on a même utilisé des neuroleptiques de notre pharmacopée particulière en dilution pour calmer les douleurs", raconte un infirmier. Quelques heures plus tard, l'un des psychiatres a traversé la route à son tour avec une petite équipe, à la demande d'un ingénieur d'AZF, pour soutenir les salariés et les sauveteurs, ébranlés par la recherche des cadavres dans un décor d'apocalypse. "On a été virés à l'arrivée du directeur de l'usine, qui nous a dit qu'on n'avait rien à faire là", témoigne le docteur Laurent Lignac.
Rejet, oubli, mépris : ce sont les mots qui reviennent le plus souvent dans la bouche de l'équipe soignante de l'hôpital psychiatrique pour décrire le sentiment d'abandon qui les a rapidement saisis. La plupart des infirmiers et des médecins n'ont toujours pas digéré avoir vu à la télévision Bernard Kouchner, alors ministre de la santé, sortir de l'usine encore fumante avec le premier ministre Lionel Jospin et se faire filmer devant les murs de l'hôpital, sans leur rendre visite.