April 4, 2007

Les parents de l'enfant tentent de comprendre


Au terme des deux siècles étudiés ici, l'un des cercles placé dans la dépendance du centre, le cimetière, peut être qualifié de chrétien parce que en sont exclus les pécheurs non repentis, les suicidés, les hérétiques et les infidèles. (...) Au fond, les hérétiques des XIe-XIIe siècle, ces êtres qui, faute de pouvoir être appréhendés directement à travers leurs propres écrits, nous paraissent quelque peu fantomatiques, ne sont que de pures fictions, d'utiles repoussoirs permettant à ceux qui s'en démarquent de définir les traits constitutifs de leur identité collective. Le prix à payer de cette définition identitaire est l'émergence d'une société d'intolérance.

Page 262, 5.Repoussoirs
Ordonner et exclure
Cluny et la société chrétienne face à l'hérésie, au judaïsme et à l'islam (1000-1150)
Iogna-Prat, Champs/Flammarion

Un peu comme la maman de Justine, partie trop tôt, dans des circonstances inacceptables, voir au 2 septembre 2005, l'essentiel de l'ordonnance de non-lieu. Ces parents souhaiteraient aussi comprendre :

CAEN (AP) - Le parquet du tribunal de grande instance de Caen (Calvados) vient d'ouvrir une information judiciaire contre X après la plainte d'une famille de Fleury-sur-Orne qui tente de comprendre les causes inexpliquées de la mort de leur enfant âgé de huit ans, a-t-on appris mercredi de source judiciaire.

Début janvier, le jeune garçon souffrant de maux de ventre avait été conduit par ses parents chez un médecin qui lui a prescrit un traitement. Le lendemain, l'enfant toujours souffrant fut conduit au service des urgences d'une clinique privée de Caen où il fera un nouveau malaise.

Conduit d'urgence au CHU de Caen par les services du Samu, l'enfant décèdera pendant son transfert.

Depuis, les parents de l'enfant tentent de comprendre les causes exactes du décès de leur fils. En fin de semaine dernière, ils ont, sur conseil de leur avocat, déposé plainte et le procureur de la République qui a ouvert une information judiciaire pour "homicide involontaire".

Enterrés sous X...
Le Monde, le 3/4/07

C'est là qu'ils l'ont retrouvée." La main tremble un peu pendant que souffle la bise froide sur la plage de Hemmes-les-Marck, près de Boulogne, dans le Pas-de-Calais. C'est ici que le corps de Florence Magnier s'est échoué, méconnaissable. Un chasseur l'a découvert, et les pompiers ont ramassé ce corps anonyme. A 40 kilomètres de là, pendant encore quatre longues années, désespérant de comprendre, sa famille l'a cherchée, sans se douter qu'elle était déjà sous terre. Enterrée sous X...

"Elle est partie en février 2001. Elle était déprimée. Elle n'a rien dit à personne." A Equihen, son village natal, on connaît bien Florence et son époux Rémi. Le ménage n'allait pas très bien, et a été happé par la spirale de l'endettement : 75 000 euros, dont personne ne sait bien où ils sont partis. Est-ce pour cela que Florence a disparu ? Sa soeur et son beau-frère - elle, boule d'énergie, lui, plus taiseux, le visage barré par une grosse moustache - se jettent à corps perdu à sa recherche. En quatre ans, ils ont fait tout ce qu'on pouvait faire : arpenter les plages du département, écouter les avis de voyants ou de radiesthésistes, solliciter l'aide d'un détective privé, soupçonner une secte installée dans le coin... En vain.

Tout le poids des disparitions les accable : la douleur de la séparation, bien sûr, mais surtout les espoirs irraisonnés, l'impossibilité de faire son deuil, les soupçons qui divisent ceux qui restent, les disputes. "J'ai cru que son fils savait ce qu'elle était devenue, raconte Monique, la soeur, et je lui en ai beaucoup voulu de ne pas m'en avoir parlé. Je suis plutôt soupe au lait. Je me suis engueulée avec tout le monde. A Equihen, j'agressais dans la rue les gens qui me regardaient." Le 18 juillet 2004, nouveau drame : le mari de Florence, Rémi, meurt d'une crise cardiaque. Monique veut recueillir Florian, 14 ans, son neveu orphelin. Elle reprend contact avec le tribunal. Une secrétaire lui montre le dossier de sa soeur, barré d'un large coup de tampon : "Personne retrouvée, famille avisée." Stupeur : comment ça, "avisée" ? Personne ne leur a jamais rien dit. C'est à la fois l'espoir et l'abattement. Monique remue ciel et terre pour élucider le mystère. Le parquet, difficilement, reconnaît son erreur et rouvre l'enquête. Un gendarme décide alors de prendre l'ADN de Florian et de sa grand-mère pour le comparer avec celui des enterrés sous X... des dernières années. Le corps d'une femme sans tête ni jambes, retrouvée noyée le 24 septembre 2001 sur la plage de Hemmes, éveille son attention. L'ADN est formel : c'est bien Florence Magnier. Ils sont allés la voir au cimetière de Marck-en-Calaisis. Un simple enclos de cailloux, sans pierre. Le "coin des étrangers", comme on l'appelle. Dessus, quelques fleurs défraîchies prises sur les tombes d'à côté, celles que les "voisins" préfèrent mettre là plutôt que les jeter. Et un papier sur un poteau, que Monique a arraché tout de suite : "Corps inconnu 2001". C'est là que Florence a été enterrée la première fois.

Quatre ans jour pour jour après sa mort, elle a été rendue à sa famille. Quatre ans de retard, d'angoisse, de faux espoirs, de désarroi. Aujourd'hui, elle a réintégré le cimetière familial. "Ça y est, elle est à sa place", sourit Monique. Le deuil est enfin possible. Pour beaucoup, il ne l'est toujours pas. "On ne peut pas laisser comme ça des familles en souffrance." La souffrance de la disparition, Jean-Yves Bonnissant la connaît bien. Son fils Emmanuel a disparu en 1996. Il avait 19 ans. Depuis, plus de nouvelles. Le vide. Le père a combattu la douleur en créant "Manu association", l'une des plus actives parmi les associations de familles de disparus. "Mon fils est parti depuis dix ans. La justice a toujours refusé de me faire une analyse ADN pour comparer avec d'éventuels corps retrouvés. Si ça se trouve, Manu est mort et je ne le saurai jamais." Manu association a lancé une pétition pour que soit systématiquement prélevé l'ADN des corps non identifiés, pétition qui compte déjà 6 000 signatures.

Combien sont-ils à se retrouver dans ce qu'on n'ose plus appeler des fosses communes ? 1 000 par an ? 2 000 ? 3 000 ? Patrick Pelloux, chef du syndicat des médecins urgentistes hospitaliers, estime à près de 800 par an le nombre de morts à l'hôpital enterrés sous X... : SDF, sans-papiers, malades d'Alzheimer, amnésiques... Depuis mai 2005, une circulaire oblige les hôpitaux à envoyer une description de la personne au ministère de l'intérieur. Ça n'est que très rarement fait. "En France, on n'est pas encore dans "Les Experts". C'est toujours "Les Brigades du tigre". Pendant cinq ans, on a soigné régulièrement à l'hôpital Saint-Antoine un Jimmy. A sa mort, on s'est aperçu qu'il s'appelait en fait Eric. A l'hôpital, on peut mourir anonymement. Après..."

Après, c'est la chance qui mène le jeu. Le 8 août 2000, Yann Barthe disparaît en revenant d'un Technival dans l'Hérault, abandonnant ses affaires dans le train Corail qu'il avait pris vers Nice. Ses parents se jettent à corps perdu à sa recherche. Mais l'enquête piétine. Le dossier de disparition se balade. En juillet 2006, un policier s'intéresse aux accidents ferroviaires sur le Paris-Nice et découvre qu'un corps a été retrouvé le long de la voie ferrée, le 9 août 2000. Le cadavre a été enterré sous X... à Lux, près de Chalon-sur-Saône. On le déterre : c'était bien le jeune homme. Pendant six ans, ses parents, ses amis ont espéré, en vain, ont remué ciel et terre pour rien. "On aurait pu savoir dès le début", soupire Serge Barthe, le père du jeune homme, à la fois bouleversé par la nouvelle, soulagé de savoir et rageant devant le temps perdu et les espoirs gaspillés.

Un mois après la mort de sa tante, qui l'a en grande partie élevé, Karim disparaît de Lyon. Il a 17 ans. C'est un adolescent perturbé, très dépressif. La police suit quelques pistes. Karim n'est pas retrouvé. Un an plus tard, le commissariat de Vienne, dans l'Isère, reçoit une liste de détenus en cavale avec des photos. Parmi elles, à la suite d'une erreur, apparaît la photo de Karim. Le policier qui la reçoit est frappé par la ressemblance avec un corps repêché un an plus tôt dans le Rhône, à 30 km seulement de Lyon. Sans qu'il y ait eu d'appel à témoin, le corps avait été enterré sous X... au cimetière de Vienne. C'était bien celui de Karim.

Mme Di maggio, dont la fille Valérie avait disparu en 1993 après avoir clamé sa volonté de se jeter d'un pont, a dû se battre pour que les restes d'un corps retrouvé en janvier 2006 au pied d'un pilier d'autoroute soient reconnus comme ceux de sa fille. La police lui a d'abord expliqué que cela ne pouvait pas être elle pour des questions de date, puis que l'ADN ne pouvait être prélevé sur des restes aussi abîmés. Elle a finalement eu gain de cause, et le test a révélé que c'était bien Valérie qui gisait là. Théoriquement, tout cela ne devrait plus arriver. Mais ça arrive quand même.

Le problème est dans l'air du temps. En 2003, le FNAEG, le fichier national des empreintes génétiques, créé pour regrouper les empreintes des seuls criminels sexuels, a été étendu aux auteurs de n'importe quels crimes ou délits et aux personnes disparues ou décédées. Idéal ? Pas encore. Car il faut pour prélever des empreintes un prétexte judiciaire. Une mort violente, on prélève. Une mort naturelle, non. "Un SDF qui meurt à la rue, tout le monde s'en fout. Eux et les étrangers sont les victimes parfaites du système", confie Adeline Champagnat, chef adjointe de l'Office central pour la répression des violences aux personnes.

Si Manu Bonnissant est retrouvé assassiné, le lien avec son père pourra être fait. S'il meurt dans la rue d'une crise cardiaque, il ne le sera pas. "Si un jour, on a en France un tsunami, les morts ne pourront pas être identifiés", affirme Adeline Champagnat. Conscients du problème, plusieurs policiers tentent de faire avancer les choses. "Nous sommes en train d'élaborer des propositions pour, en particulier, contraindre les maires à saisir le procureur dès qu'il y a un mort non identifié pour que soient faits des prélèvements génétiques", explique Gilles Leclair, sous-directeur de la criminalité organisée et de la délinquance financière à la police judiciaire.

Voeu pieux ? Pour l'instant, oui. D'abord parce qu'il y a loin de la proposition à la loi. Ensuite parce que tout cela coûte très cher. "Un séquençage revient à entre 150 et 300 euros, explique Michel Broch, chef de groupe à la brigade de répression de la délinquance contre les personnes. Le parquet freine des quatre fers, et refuse de le faire dès qu'un corps est trouvé." "Moi, je les aurais payés, les 300 euros", jure Monique, la soeur de Florence Magnier. Mais personne ne le lui a proposé.

Le problème n'est pas que parisien. Dans les Pyrénées ont récemment été retrouvés les ossements d'un homme. Le décès remonte à 2003. La justice refuse encore l'analyse ADN aux enquêteurs de la brigade de recherche de Prades. Alors qu'il est parfois accepté pour des raisons plus politiques : ainsi un test ADN a été utilisé en janvier dans les Landes pour retrouver un automobiliste qui, ayant démoli un radar à coups de poing, avait laissé dessus quelques gouttes de sang.

L'anecdote met très en colère Jean-Yves Bonnissant, qui voudrait que les empreintes de tout le monde soient prises pour que le rattachement de tout corps abandonné à la famille qui, peut-être, le cherche, puisse être fait. "On prend bien les empreintes digitales quand on établit une carte d'identité. Pourquoi pas l'ADN, encore plus fiable ?"


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Posted 18 years, 9 months ago on April 4, 2007
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