April 12, 2007

Dans la tête de « Pierrot le fou »

Procès de Pierre Bodein
Dans la tête de «Pierrot le fou»
Pour le premier jour, la cour s'est attachée au profil psychologique de l'accusé.
Libé, le 12 avril 2007

Depuis hier et jusqu'à début juillet, Pierre Bodein comparaît devant la cour d'assises du Bas-Rhin. Ce multirécidiviste de 59 ans, surnommé «Pierrot le fou», est accusé de deux tentatives d'enlèvement et de trois meurtres, commis en juin 2004, dont deux précédés de viols. Il risque la réclusion criminelle à perpétuité, assortie d'une période de sûreté de trente ans. Cette peine maximale lui semble promise, tant les éléments à charge abondent dans le dossier.

Pourtant, assis dans le box et entouré de gendarmes d'élite du GIPN, l'accusé se tient droit. Il a passé une veste sombre sur une chemise blanche. Il a les cheveux poivre et sel, longs dans la nuque, un peu ébouriffés. Le président de la cour lui demande de se présenter : «Je m'appelle Pierre Fernand Bodein. Avant, j'étais maçon, coffreur, peintre, musicien et maintenant, je suis handicapé à 80 %» , dit-il d'une voix un peu chevrotante. La lecture de l'arrêt de mise en accusation révèle des anecdotes sordides. Bodein réagit par des mouvements de tête : «non», quand on évoque les rapports sexuels violents qu'il aurait imposés à l'une de ses épouses ; «oui», pour la fois où il lui aurait annoncé que si elle mourait avant lui, il lui ferait l'amour une dernière fois, post mortem, «pour lui dire adieu».

«Personnalité perverse». Les victimes sont une fillette, une femme au visage juvénile et une adolescente. Jeanne-Marie Kegelin, 10 ans, a disparu le 18 juin 2004, près du stade de Rhinau, au bord du Rhin. Edwige Vallée, 38 ans, a été tuée dans la nuit du 21 au 22 juin, après avoir été aperçue pour la dernière fois à Obernai. Julie Scharsch, 14 ans, a été enlevée alors qu'elle regagnait à vélo son domicile de Schirmeck, le 25 juin. Leurs cadavres dénudés ont été découverts dans des cours d'eau peu profonds, dans un rayon de 20 km autour d'Obernai. Depuis sa sortie de prison en mars 2004 (lire ci-contre), Pierre Bodein vivait non loin de là, dans une caravane. Toutes les victimes présentaient d'importantes plaies à l'arme blanche au niveau du pubis, avec éviscération.

Après l'enlèvement de Julie, un témoignage désigne l'accusé. Les expertises génétiques font le reste : les ADN des victimes, parfois mélangés au sien, sont notamment mis en évidence dans sa voiture ou sur des couteaux réputés lui appartenir. Arrêté, Bodein nie. Et depuis, «il n'a pas varié d'un iota, il conteste toutes les charges retenues contre lui», précise son avocat, Me Marc Vialle. Hier, l'accusé a poursuivi dans la même veine : «On m'a traîné dans la boue, on m'a médiatisé comme un tueur en série.» Selon son avocat, l'accusé soutient qu'il n'est pas un «violeur d'enfants» et évoque un «complot des gendarmes» : «Il estime que ces prélèvements ADN, détaille Me Vialle, n'ont pas été effectués dans des conditions normales.»

«Il y a des éléments à charge contestables et puis il y a aussi tout un volet psychologique qui va être important dans ce dossier», affirme encore l'avocat. Condamné à huit reprises entre 1969 et 1996, «Pierrot le fou» a passé la majorité de sa vie d'adulte en prison ou en milieu psychiatrique. En 1976, il «fait ses besoins sans discernement et se barbouille de matières fécales». «Schizophrénie catatonique» , diagnostiquent les experts. En 1980, ces «anomalies profondes, durables mais temporaires» auraient «disparu». Entre 1989 et 1991, alors que Bodein est hospitalisé d'office, les psychiatres se déchirent : «troubles psychotiques sévères» selon certains, «sursimulation» pour les autres. En 1992, alors qu'il se trouve depuis un an et demi dans un état «totalement régressif, ne parvenant ni à parler, ni à marcher», il s'échappe d'un centre hospitalier et se lance dans quatre jours de cavale, au cours desquels il viole une femme et blesse gravement un policier, d'un tir au fusil à pompe. Dans le cadre de l'instruction sur les crimes de 2004, psychiatres et psychologues l'ont à nouveau examiné. Il en ressort «une personnalité perverse», dont «l'attitude envers la femme est celle du braconnier envers sa proie». Le plus vrai est sans doute ce commentaire d'un expert auprès de la Cour de cassation : «Le moins que l'on puisse dire est que le corps médical est fort perplexe.»

Confus. Bodein n'est pas seul dans le box. Au total, seize personnes comparaissent avec lui. Comme le principal accusé, ils sont vanniers ou yénishes, des gens du voyage sédentarisés originaires d'Alsace. Ils sont suspectés de divers degrés de complicité ou de non-dénonciation de crime dans l'un des trois meurtres reprochés à Bodein. Quatre d'entre eux, dont l'un était mineur au moment des faits, risquent trente ans de réclusion. Un cinquième encourt la perpétuité. A leur encontre, pas de preuves matérielles irréfutables. Tout repose sur des témoignages et parfois des aveux, qui restent confus et contradictoires. Pour eux, dit Me Vialle, «c'est le procès de tous les possibles».


- « l'avis de l'expert ne lie pas le juge » -



Posted 18 years, 6 months ago on April 12, 2007
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