April 28, 2007

« elle nous a pas croyu (sic) »

Audition des présumés complices de Pierre Bodein sur fond de misère sociale.
Les coaccusés de Pierrot le fou s'égarent dans leurs souvenirs

Libé, 28 avril

Aux assises du Bas-Rhin, un interprète se plaint : «Je commence à avoir des noeuds dans les neurones.» Depuis lundi, on interroge les membres des familles Remetter et Fuhrmann, accusés d'être coauteurs ou complices dans l'un des trois crimes reprochés à Pierre Bodein : l'enlèvement, le viol et le meurtre de Jeanne-Marie Kegelin, 10 ans, en juin 2004. Certains de ces vanniers ne s'expriment qu'en alsacien. Presque tous ont reconnu leur participation aux faits durant l'instruction, avant de se rétracter. Désormais, ils défilent à la barre pour protester unanimement de leur innocence : «C'est pas moi qui vais enlever un enfant, je suis pas fou, je suis pas un pédophile !» «Je peux me faire couper la tête ici devant tous les gens, je n'ai jamais vu Pierre Bodein !» A des questions simples, ils ont des réponses compliquées. Leur appartient-elle cette housse de couette mangée par la crasse sur laquelle a été retrouvé un élément pileux pouvant appartenir à la fillette, seul et fragile élément matériel de l'accusation ? «Il dit ben oui, il dit ben non. Il dit qu'ils n'ont pas de housse de couette aussi sale», traduit l'interprète dont les neurones s'échauffent. La cour n'avance pas dans la recherche de la vérité, et les accusés s'y perdent eux-mêmes : «Avec tous ces mensonges, je m'en sors plus.»

«Petit voleur». Entendu comme témoin, le lieutenant-colonel Jean-Frédéric Sellier, qui dirigeait la section de recherches de la gendarmerie de Strasbourg, dit des Remetter et des Fuhrmann que ce sont «des gens en grande misère sociale, qui avaient été impliqués dans des délits mineurs, qui étaient parfois violents entre eux et avec leurs voisins et qui étaient marqués par une forte alcoolisation». «Je ne les voyais pas dans ce genre d'affaire, commente un autre gendarme. Voler des poules, du vin pour s'enivrer, rouler sans permis, ça oui. Mais un enlèvement, non.» «Je suis un petit voleur, moi», confirme Georges Remetter, 36 ans, qui dérobait parfois de l'aluminium dans une déchetterie. Accusé de meurtre, il encourt la réclusion criminelle à perpétuité. La maréchaussée le décrit comme un «filou», qui peut être «explosif quand il a bu». Il est le seul à n'avoir rien avoué.

«Moi, je peux pas dire une chose que j'ai jamais faite», lance-t-il, en jean et veste de survêtement noirs. Georges est illettré. Il louche. Il a des tatouages dans le cou et sur les bras. Il nie tout, farouchement. Piochant dans les procès-verbaux d'auditions, l'avocat général Olivier Bailly le soumet à un déluge de déclarations accusatrices, parfois très détaillées, qui l'impliquent dans l'enlèvement, le viol et le meurtre de la fillette. L'attaque se révèle sans prise. Georges Remetter n'a qu'une réponse, répétée en boucle : «Je n'ai jamais vu de Pierre Bodein et je n'ai pas vu cette petite Jeanne-Marie.»

«Débilité légère». Idem pour Auguste Fuhrmann, 46 ans, un moustachu aux airs de chien battu chez lequel les experts ont diagnostiqué une «débilité légère moyenne». Sa phrase à lui, c'est : «Oui, je l'ai dit, mais c'était un mensonge.» Parfois, une variante : «J'ai raconté tout ça, mais c'est pas vrai.» Auguste est accusé de complicité de séquestration et de viol. Il aurait mis à disposition sa chambre. Il a reconnu six fois son implication avant de faire machine arrière. «J'ai menti parce que je suis pas un salaud qui touche à une fille», explique-t-il de manière incohérente. Parfois, il a un éclair de lucidité : «Si j'avais pas menti, je serais pas allé en prison.» Le reste du temps, il dit tout et le contraire de tout, ne comprend pas grand-chose, pas même la stratégie de son avocat, qui tente de lui faire dire que ses aveux circonstanciés, au cours d'une garde à vue menée en français, auraient pu lui être suggérés. En désespoir de cause, Me Eric Lefebvre reformule une question posée en son temps par une juge d'instruction dubitative: «Et si je vous dis [qu'un des accusés] est allé sur la Lune hier, vous me croyez ?» «Ben, qu'est-ce que j'en sais, j'y étais pas», répond Auguste, clown tragi-comique qui fait sourire jusque sur le banc des parties civiles, où la famille Kegelin fait face à un grand portrait de Jeanne-Marie, invisible aux yeux des jurés et des accusés.

Selon l'acte d'accusation, Georges se serait confié le soir des faits à plusieurs membres de sa famille, qui sont jugés pour «non-dénonciation de crime» et comparaissent libres. Le président Bernard Meyer les fait se lever un par un : le soir des faits, Georges a-t-il parlé d'un accident avec une petite fille qui circulait à vélo, comme ils l'ont affirmé un temps aux magistrats instructeurs ? «Non, rien de spécial», répondent-ils en choeur. Pourquoi auraient-ils menti eux aussi ? «Le gendarme, il m'a dit que mon beau-père avait craqué, et il m'a mis sa déposition sous les yeux. Comme il me lâchait pas, j'ai raconté à peu près la même chose. J'étais en garde à vue, c'était la galère, je voulais en finir», affirme l'un. «Quand on a dit la vérité à la juge, elle nous a pas croyu (sic), raconte une autre. Alors on a dit ce qu'on avait vu à la télé.» «Moi, j'ai menti sur Georges parce qu'il a piqué le moteur de la voiturette de mon frère et que j'étais en colère contre lui», soutient une troisième. «Et aujourd'hui, on doit vous croire ?» demande le président.


- « Alors on a dit ce qu'on avait vu à la télé » -


Posted 18 years, 5 months ago on April 28, 2007
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