April 30, 2007
La procédure s'éternise pendant près de neuf ans
Carnet de justice
«Elle n'arrive pas encore à m'appeler papa»
Libé, lundi 30 avril 2007
«Et vous, pour combien d'argent accepteriez-vous de rester quatre mois en prison ?» interroge l'avocat. C'est le genre de question qui revient souvent devant cette instance où les relaxés et les acquittés défilent pour réclamer la réparation de mois passés injustement derrière les barreaux. L'avocat défend Laurent, «un honnête homme, un type comme tout le monde qui s'est retrouvé face aux accusations délirantes d'une femme manipulant un enfant». En 1997, en plein divorce conflictuel, l'ex-femme de Laurent l'accuse de viols sur leur gamine de 2 ans et demi. Dans le doute, la juge d'instruction l'envoie en prison. Au bout de quatre mois et une grève de la faim, il obtient les expertises psychologiques qu'il réclame à corps et à cris. Il sort, mais la procédure s'éternise pendant près de neuf ans, jusqu'à la relaxe, prononcée en janvier 2006.
«On a cassé ma vie», dit Laurent. Sa fille, il la revoit depuis novembre dernier, après un trou de neuf ans. «Elle n'arrive pas encore à m'appeler papa.» Au moment de son incarcération, il a 30 ans, travaille comme employé d'université et vient de publier un roman chez Plon. Puis, du jour au lendemain, c'est la maison d'arrêt. «La juge m'a prédit que j'y resterai dix ans. Des détenus tapaient sur la porte de ma cellule en criant : "Tu vas mourir, pointeur !" J'ai été mis à l'isolement» raconte Laurent. Il pleure. Son avocat prend le relais : «Il avait déjà vécu les injustices de la vie : sa mère s'est suicidée quand il avait 16 ans ; son père était mort quelques années avant. Mais cette injustice-là a été causée par ceux qui doivent rendre la justice».
Le premier président de la cour d'appel d'Aix dont dépend le tribunal qui a condamné Laurent lui a accordé 7 500 euros, prix des 120 jours de maison d'arrêt. Estimant la somme dérisoire, il fait appel devant la commission nationale. «Quand il entend à la radio que, dans l'affaire d'Outreau, Karine Duchochois a reçu 100 000 euros sans avoir fait un seul jour de détention, il a l'impression que sa liberté à lui ne vaut rien , plaide l'avocat. Tout ça parce que, dans le cas d'Outreau, il y avait les télés et que le ministre voulait faire croire que les gens étaient indemnisés correctement. Mais 7 500 euros, c'est le prix de vacances pour quatre !»
Le président sort de ses gonds : «Ne dites pas n'importe quoi ! Ici, on répare la détention et seulement ça. Karine Duchochois ne pourrait pas se présenter devant cette commission. » Visiblement, le président n'en peut plus d'Outreau en général et de Karine Duchochois en particulier. Les innocents d'Outreau n'ont pas eu à se lancer dans de nouvelles procédures ; l'émotion populaire étant à son comble, leurs avocats ont choisi la voie de la transaction directe avec le ministère.
«On examine une centaine de dossiers par an et, à chaque fois, l'avocat vient me dire : "Vous devez indemniser comme Outreau !"» s'énerve le président. Dans son coin, l'avocat du Trésor donc du contribuable opine. Tandis que l'avocat général précise que l'an dernier la commission nationale a distribué 1,2 million d'euros à 95 personnes : 45 euros par jour en moyenne pour préjudice moral et 23 euros pour préjudice matériel. La première donnée varie en fonction de l'âge, du passé judiciaire, d'événements affectant la pénibilité de la détention... La seconde dépend beaucoup du métier de la victime d'incarcération abusive. «C'est un peu plus que dans les pays qui, comme l'Allemagne, ont un barème fixe et indemnisent à hauteur de 50 à 60 euros par jour», insiste le président.
Arrive Nicolas, blanchi dans une affaire de tournante qui lui a valu trente-cinq mois de détention provisoire, évalués à 41 000 euros par le président de la cour d'appel d'Aix. Il avait 20 ans, pas de travail, un passé judiciaire. Nicolas pose l'affaire autrement : «Avant, j'avais une petite fille de 11 mois, une femme, des amis. A la sortie, je n'avais plus rien.» Le président écoute. Avant fin mai, date de la prochaine audience, il devra peser tout ça. Et dire si, comme le soutiennent l'avocat du Trésor et l'avocat général, les indemnisations proposées sont correctes.
ALGER (AP) - Le correspondant en Algérie des quotidiens français "Le Figaro" et "Ouest-France", Arezki Aït-Larbi, est convoqué le 2 mai devant le tribunal correctionnel d'Alger pour répondre d'une "rocambolesque affaire de diffamation", souligne le journaliste dans un cmmuniqué, dimanche. Aït-Larbi avait interpellé jeudi à l'aéroport d'Alger au moment où il allait embarquer pour Paris. Dans ce communiqué, où il revient en détail sur les circonstances de cette affaire qui remonte à 1986 et qui a mené à son interpellation de jeudi, Arezki Aït-Larbi affirme que "si, entre son interpellation à l'aéroport et sa présentation au parquet, il a été traité avec respect et correction, il a été, par contre, enfermé dans les geôles du palais de justice, malgré la main levée du mandat et la mise en liberté immédiate prononcée par la magistrate". "Il a été, ensuite, transféré dans un fourgon cellulaire, avec des prisonniers de droit commun, à la prison de Serkadji, où il a été écroué, avant d'être libéré dans la soirée", poursuit le communiqué. "Je ne fuis pas mes responsabilités, bien au contraire je revendique un procès juste où le plaignant dira au grand public en quoi il a été diffamé et à moi de démontrer la véracité de ce que j'ai avancé avec des preuves et des témoins. Toutefois, je ne comprends pas pourquoi on déterre cette affaire aujourd'hui", a souligné samedi, à sa sortie de prison, Arezki Aït-Larbi qui n'arrive pas à assimiler le fait qu'il avait quitté plusieurs fois le territoire algérien sans être interpellé par la police des frontières. L'arrestation de jeudi est motivée par un mandat d'arrêt délivré par le juge d'instruction en 1997, suivi d'une condamnation par défaut à six mois de prison ferme pour diffamation, a expliqué le correspondant du "Figaro". Il a précisé que l'article jugé diffamatoire était un reportage publié en 1994 dans un journal algérien, dans lequel il relatait "les sévices infligés aux détenus du pénitencier de Lambèse" à l'époque où lui-même y était détenu, en 1986. Arezki Aït-Larbi n'avait été informé de l'existence de cette condamnation qu'en mai 2006, lorsque les autorités judiciaires ont déterré l'affaire pour justifier le refus de lui renouveler son passeport, l'interdisant de sortie du territoire. Grâce à une mobilisation en Algérie et en France, le correspondant avait fini par récupérer son passeport en novembre 2006. Arezki Aït-Larbi assimile son arrestation à un viol de son droit à la libre circulation. Une arrestation et une entrave d'autant plus injustifiables qu'il y a prescription des faits, en plus de la double amnistie (mai et juillet 2006) accordée par le président Abdelaziz Bouteflika pour les journalistes condamnés pour des délits de presse. Chronique de la médiatrice La mouche, par Véronique Maurus Le Monde, le 29 avril (...) "Il convient de modifier une caricature, dérive scandaleuse concernant le futur président de la République française" (en capitales dans le texte), écrit Jacqueline Le Goaster, en exigeant, comme plusieurs correspondants, que Plantu fasse amende honorable : "Présenter des excuses pour un comportement inacceptable me semble un impératif catégorique." (...) A preuve l'histoire des mouches. Succédant à une série de moustiques nommés "Sarkungugna", la première apparut sur un dessin du 14 décembre 2005. Jacques Chirac, très ému, déposait une gerbe à la mémoire des esclaves ; dans son dos, un élu UMP en short et casque colonial murmurait une traîtrise à l'oreille du ministre de l'intérieur. Il faisait chaud, la mouche volait bas, un peu par hasard, se souvient Plantu. Lequel fut fort étonné, le lendemain, de voir débarquer un motard en tenue, pour lui remettre une lettre à en-tête du ministère de l'intérieur. Nicolas Sarkozy, après des compliments d'usage, disait : "Je n'ai pas manqué de remarquer un détail qui agrémente ma présence sur votre dessin (...) : une mouche. (...) Je sais qu'elles accompagnent généralement la représentation de Jean-Marie Le Pen. (...) J'ignore sincèrement ce qui me vaut un tel traitement, tant je considère avoir, tout au long de ma vie politique, combattu les idées de l'extrême droite : le racisme, l'intolérance, l'antisémitisme et, de manière générale, tout ce qui atteint l'homme dans sa dignité, à commencer par l'esclavage." Suivait une proposition d'entretien pour dissiper le "malentendu". "Bien sûr, le lendemain, j'ai dessiné trois mouches !", raconte Plantu en riant. Depuis, Nicolas Sarkozy a aggravé son cas en se plaignant auprès de la direction du journal d'avoir été croqué en petit chien, "en roquet", selon lui, puis d'avoir été affublé du brassard "I. N.". "Il provoque lui-même la réaction qu'il redoute, note le caricaturiste. Là où il y a une mouche, il en crée trois..." Notre impertinent dessinateur n'est pas un ingénu. Il "assume", dit-il, "son rôle excessif". Et explique pourquoi : "Je tords le cou à la rumeur. Depuis six mois, Le Monde est taxé, à tort, de rouler pour Sarko. Quand le président du conseil de surveillance, Alain Minc, a fait savoir qu'il voterait en sa faveur, j'ai eu d'autant plus envie de réagir, pour faire l'équilibre. Le fait est que, depuis trois semaines, on nous accuse beaucoup moins d'être sarkozystes..." Force de l'habitude, les protestations, officieuses ou officielles, ne le touchent guère. "Je ne le vis pas comme une tentative de pression car j'ai la chance d'être soutenu par la rédaction et la direction du Monde." Mais ailleurs, note-t-il, ce genre de méthode peut marcher. "Sarkozy impressionne tellement que, s'il y a un pétochard dans la rédaction en chef, la liberté du dessinateur est fichue." |
Posted 18 years, 6 months ago on April 30, 2007
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La justice face à l'obsession de punir
Le Monde, le 30 avril
Après l'affaire d'Outreau, vous vous êtes demandé comment une institution, la justice pénale, peut faire l'objet de tant de réformes et connaître de tels sinistres. Quels sont les grands traits de la crise ?
La justice pénale est placée depuis quinze ans devant une inflation législative sans équivalent dans aucun domaine du droit. La crise s'est développée depuis le nouveau code pénal et les réformes de procédure de 1993. Ces nombreuses lois ont visé trois objectifs contradictoires. D'abord, celui des garanties : plus de droits à la défense, un procès plus équitable. Ensuite, l'objectif sécuritaire : nous protéger contre toutes les atteintes possibles à la sécurité. Enfin, l'objectif productiviste : obtenir de la justice qu'elle traite tout, sans retard. Evidemment, ces trois objectifs sont en tension entre eux. Les garanties sont souvent mises à mal par des procédures qu'on veut rapides et efficaces. L'objectif sécuritaire accroît en permanence les délits soumis à la justice pénale, ce qui limite les gains de productivité.
Autre grand changement, la politique pénale est désormais incluse dans un ensemble, celui des politiques publiques de la sécurité. Avec la dernière loi de prévention de la délinquance, préfet, maire et justice devront ainsi collaborer plus étroitement. La justice est le dernier maillon chronologique de cette chaîne. Or la tendance naturelle est de pointer les dysfonctionnements au dernier niveau, plutôt que penser en amont la faible élucidation des faits par la police.
(...) La chambre noble, dans un tribunal, c'est la chambre civile. Il nous faut rompre avec cette culture, avec l'idée que la justice pénale demeure globalement une justice des pauvres et qu'elle devrait se contenter d'une pauvre justice.