May 13, 2007

Du bon et du mauvais usage des victimes

Du bon et du mauvais usage des victimes, par Alain Salles
LE MONDE | 21.04.07

Qui peut être contre les victimes ? Les partis politiques sont à leur chevet. Jean-Pierre Raffarin leur a donné une éphémère secrétaire d'Etat : Nicole Guedj. Nicolas Sarkozy veut créer des juges qui leur soient dédiés. Ségolène Royal propose de "mettre un avocat à la disposition des victimes de violences graves dans l'heure suivant le dépôt de plainte". Depuis que Robert Badinter a créé, en 1982, un bureau de l'aide aux victimes et à la prévention de la délinquance, le statut des victimes a été reconnu. Trop au goût de certains. Après Thierry Lévy, qui s'inquiétait du "culte de la victime" dans son Eloge de la barbarie judiciaire (Odile Jacob, 2004), son confrère avocat Daniel Soulez Larivière et la psychanalyste Caroline Eliacheff dénoncent aujourd'hui, dans Le Temps des victimes (Albin Michel), "la face sombre du mouvement victimaire".

C'est entre sollicitudes, voire flatteries politiques, attaques d'une partie du monde judiciaire et incertitudes financières que l'Institut national d'aide aux victimes et de médiation (Inavem) a fêté ses vingt années d'existence, lors d'une journée de colloque au Sénat, à la mi-mars. L'Inavem est un réseau de 160 associations, qui ont soutenu 300 000 victimes en 2006, contre 65 000 en 1996. "Nous sommes associations d'aide aux victimes et non de victimes", précise le président de cette fédération, Hubert Bonin. Ce sont des associations de victimes qui provoquent la surenchère dénoncée à grand renfort de procès spectaculaires, liés à de copieux dommages et intérêts, et alimentée par l'exploitation médiatique de faits divers.

L'aide aux victimes a acquis sa légitimité. A juste titre. Les victimes étaient alors "les grandes oubliées des prétoires"
, selon l'expression de Robert Badinter, désarmées face à la douleur et à l'incompréhension de la machine judiciaire. Depuis 1982, les fonds d'indemnisation se sont multipliés, l'accueil a été amélioré dans les commissariats, les tribunaux et les hôpitaux. Même si des progrès restent à faire. Surtout, les lois se sont succédé pour renforcer leur place dans les procédures judiciaires. Vingt-neuf articles de loi sont désormais consacrés aux droits des victimes. La défense des victimes est régulièrement utilisée pour justifier une loi répressive ou le refus de libérer un détenu. La victimisation devient alors moyen d'instrumentalisation politique et pénale.

Devant l'Inavem, le ministre de la justice, Pascal Clément, s'est félicité que la prise en compte des victimes soit "un élément essentiel de la politique pénale". Il s'est satisfait notamment d'avoir donné "une vraie place à la victime au stade de l'exécution des peines". Un autre colloque au Sénat s'est penché sur les juges d'application des peines, chargés de veiller à l'exécution de la sanction, mais aussi à aménager les peines pour permettre que les sorties de prison se déroulent dans les meilleures conditions. Mais ils sont régulièrement attaqués quand un détenu qu'ils ont fait libérer récidive. C'est rare mais cela défraie la chronique. "Un aménagement de peine qui tourne à la catastrophe, c'est un échec de l'institution judiciaire. Mais si un détenu sort sans rien, c'est la récidive assurée", explique Michael Janas, président de l'Association nationale des juges de l'application des peines. Nicolas Sarkozy cite, dès qu'il en a l'occasion, le cas de Nelly Crémel, assassinée par un récidiviste libéré, pour mettre en cause la responsabilité des juges.

Le candidat de l'UMP, qui affirme "préférer les victimes aux délinquants", propose qu'"un juge soit chargé de l'information des victimes et (de) la pleine et entière exécution des condamnations" dans chaque tribunal. Comment demander à une victime qui a perdu un être cher d'accepter que son meurtrier puisse avoir payé sa dette à la société, en accomplissant sa peine, et sorte de prison, alors que son propre chagrin ne finit jamais ?

C'est cette logique de catharsis que dénoncent Daniel Soulez Larivière et Caroline Eliacheff
 : "L'arrivée de plus en plus massive des victimes sur la scène judiciaire pénale est une reculade de la symbolisation dans la justice ; et sous des prétextes fallacieux de soins prodigués aux victimes, c'est une occasion de régression sociale et individuelle." La victime vient au tribunal pour obtenir vengeance. Or le système judiciaire est construit pour s'opposer à la vengeance et au lynchage.

"DÉRIVE ET RÉCUPÉRATION"

Tout en saluant les progrès accomplis, Robert Badinter explique qu'"il y a eu une dérive et une récupération de cette juste cause. On est passé de la légitime préoccupation de la condition des victimes à un activisme politique.
Des associations d'aide se sont transformées en associations de défense de tel ou tel, à qui on donne un rôle équivalant à celui des parties civiles ou du ministère public dans le processus judiciaire, dans une compassion sélective". "La justice ne peut devenir un service d'assistance psychologique, une "justice de deuil"", ajoute M. Badinter.

Marie-Pierre de Liège, qui a dirigé le premier bureau d'aide aux victimes et à la prévention de la délinquance, rappelle que l'objectif était alors de mettre en place une "justice qui marche sur les deux pieds : un pour les victimes et un pour les délinquants". Elle s'inquiète aussi de "la survalorisation de la cause et de la parole des victimes" et met en garde contre le "risque de passer de pas assez de compassion à trop de compassion".

François Zocchetto, sénateur (UDF) de la Mayenne, alerte également sur les dangers d'un rapprochement entre "aide aux victimes et insécurité, qui peut être dangereux en campagne électorale" et sur "le risque d'instrumentaliser la victime, de tomber dans le lobbying qui conduit à la surenchère législative alimentée par l'opinion publique..."

"Nous n'avons jamais milité pour la sacralisation de la victime et de sa parole, explique Robert Bonin, président de l'Inavem. Nous demeurons engagés dans cette justice d'apaisement de restauration du conflit, passant par la réparation globale de la victime, de la société et la réhabilitation de l'auteur." L'Inavem a veillé à ne pas mélanger les genres et à se cantonner dans un rôle de soutien et d'information, attaché à la médiation et à une justice "restaurative" pour la victime comme pour l'auteur de l'agression.

Mais ce procès de la "dérive victimaire" est d'autant plus mal perçu qu'il intervient dans un secteur qui demeure fragile. Si l'Etat salue le rôle de ces associations, il n'assure toutefois qu'un tiers de son financement, qui coûte 20 millions d'euros par an. Un tiers des intervenants sont bénévoles.

"La politique d'aide aux victimes relève parfois du bricolage financier", constate M. Bonin, qui se serait bien passé de cette mauvaise publicité.

Alain Salles
Article paru dans l'édition du 22.04.07.


- Ce sur fond de bricolage financier ? -


Posted 18 years, 8 months ago on May 13, 2007
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