November 8, 2005

NON à l´éthique de soumission

Lettre ouverte au garde des Sceaux : NON à l´éthique de soumission

Syndicat de la magistrature

LETTRE OUVERTE AU GARDE DES SCEAUX

Le Syndicat de la Magistrature a été invité, en urgence par le ministère de la justice, à donner son point de vue sur les propositions de "la commission de réflexion sur l´éthique dans la magistrature" dite commission Cabannes.

Dès sa création, le Syndicat de la Magistrature a toujours porté un regard critique sur l´institution judiciaire plaçant ainsi le justiciable au centre de ses revendications. Les membres du Syndicat de la Magistrature ont cherché à s´interroger sur leurs pratiques professionnelles, à y réfléchir et à travailler avec des partenaires non-magistrats pour critiquer le fonctionnement de la justice. Le Syndicat de la Magistrature a toujours nourri une réflexion sur l´éthique et proposé des réformes ambitieuses en ce domaine.

Le Syndicat de la Magistrature considère que le questionnement sur l´éthique doit, pour être exhaustif, prendre en considération l´institution judiciaire dans sa dimension globale. La mise en œuvre et le respect des principes fondamentaux sont de nature à permettre d´éviter certaines dérives individuelles : la collégialité, la publicité des audiences, l´égalité des armes, le respect du principe du contradictoire et des droits de la défense. C´est également dans une préoccupation éthique, que le Syndicat de la Magistrature a réclamé la réforme des tribunaux de commerce au sein desquels tant de pratiques abusives ont été constatées.

Or les réformes que vous accumulez nous éloignent de l´éthique du procès équitable telle que définie à l´article 6 de la Convention Européenne des Droits de l´Homme.

C´est ainsi que le recours au juge unique devient la règle au détriment des garanties que la collégialité apporte aux justiciables, la systématisation des comparutions immédiates favorise une justice d´abattage, la mise en place de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité institue un déséquilibre flagrant entre l´accusation et la défense. La délocalisation des salles d´audiences permettra demain de juger les étrangers au sein des aéroports, portant notamment atteinte à la publicité des débats.

Afin de restaurer la confiance des citoyens dans la justice, le Syndicat de la Magistrature a proposé un véritable système d´échevinage au sein des juridictions correctionnelles. Vous avez choisi de faire siéger les juges de proximité, à l´audience correctionnelle, favorisant ainsi des atteintes inadmissibles à l´impartialité et la déontologie avec un risque réel de confusion des intérêts (avocat jugeant un dossier défendu par un proche confrère, salariés de sociétés de crédit jugeant du droit de la consommation).

Afin d´éviter toute tentation corporatiste, le Syndicat de la Magistrature a souhaité que le Conseil supérieur de la magistrature garant de l´indépendance de la justice et chargé de la discipline des magistrats, soit composé majoritairement de personnes issues de la société civile. Dans un souci d´impartialité et de transparence, le Syndicat de la Magistrature a enfin proposé le rattachement de l´inspection des services judiciaires au Conseil Supérieur de la Magistrature. Cette réforme permettrait d´éviter la main-mise inacceptable de votre autorité sur ce service (lequel s´est récemment illustré par votre inertie suite à l´inspection diligentée au tribunal de grande instance de Nice.)

Au-delà de ces positions garantissant une meilleure éthique de l´institution judiciaire, le Syndicat de la Magistrature ne s´est jamais interdit de réfléchir à la responsabilité individuelle des magistrats et a proposé notamment de trouver un cadre adéquat pour examiner les plaintes des justiciables.

Or, vous n´envisagez aucune réforme d´ampleur, seule de nature à restaurer la confiance du citoyen envers la justice. Une telle réforme serait fondée sur une éthique collective de l´institution et ne reposerait pas uniquement sur l´éthique individuelle des magistrats " dits de base" comme le propose la commission Cabannes.

Vous choisissez de limiter ce débat d´importance aux conclusions du rapport de cette commission.

Le Syndicat de la magistrature voit dans cette délimitation du débat, une volonté d´instrumentaliser la notion d´éthique aux seules fins de mieux contrôler et de modéliser l´institution judiciaire.

Sur la méthode adoptée par votre ministère, le Syndicat de la Magistrature continue de dénoncer ce faux-semblant de dialogue social. Vous aviez déjà publiquement annoncé votre volonté de modifier le serment des magistrats avant même d´obtenir les conclusions définitives du rapport Cabannes. Ces conclusions, dans leur seconde mouture, n´ont d´ailleurs tenu compte ni des positions des organisations professionnelles ni même de la consultation contestable par voie de questionnaires.

Sur le fond, le Syndicat de la Magistrature est frontalement opposé aux mesures phares de ce rapport.

La modification du serment proposée par le rapport Cabannes traduit la volonté de museler les magistrats en renforçant leur devoir de réserve. Vos services tentent aujourd´hui de minimiser le contenu de cette obligation pourtant clairement définie dans les premières conclusions de la commission Cabannes, comme une interdiction de tout militantisme actif politique ou syndical.

Cette politique de soumission s´intègre d´ailleurs parfaitement dans le contexte politique actuel et dans votre gestion du ministère public. Réaffirmant dans le code de procédure pénale la prééminence de l´exécutif sur les magistrats du parquet, vous avez placé de façon méthodique comme procureurs de la République des personnes qui vous sont proches, rejetant tout pluralisme et passant allègrement outre les avis contraires du conseil supérieur de la magistrature. Après l´avoir coopté, vous soutenez le directeur de l´École Nationale de la Magistrature, qui fait enseigner avant l´heure « la déontologie version Cabannes », multiplie les atteintes aux droits syndicaux et érige la censure en méthode pédagogique. Ces exemples illustrent votre souhait constant de limiter la parole des magistrats pour mettre en place une véritable culture de soumission bien loin de l´indépendance, nécessaire à la mission de garant des libertés des citoyens assignée aux magistrats par l´article 66 de la constitution.

Cette mise sous tutelle se retrouve dans le rôle prépondérant que vous souhaitez conférer aux chefs de cours et de juridictions par l´instauration "d´une veille déontologique". Cette fonction inédite, liée aux pouvoirs accrus des hiérarques à l´occasion de la mise en place de la LOLF et aux modalités discrétionnaires d´attribution des primes de rendement confirme votre conception d´une justice de rendement, conçue à l´aune des seules statistiques. Les magistrats qui oseront encore travailler de manière autonome, indépendante, qui privilégieront la qualité au rendement ne manqueront pas de se voir rappelés à l´ordre.

De nombreux exemples viennent d´ores et déjà conforter nos craintes et nous renforcent dans notre opposition de principe à votre projet :

• le mépris affiché pour les avis non conformes du CSM estimant que le candidat ne correspondrait pas au profil de poste (procureur nommé alors que son expérience avait été jugée insuffisante) ou encore considérant qu´il y a un risque d´atteinte à la déontologie (magistrat détaché à la COB embauché par un établissement bancaire.);

• le comportement que vous qualifiez de "simple maladresse" du chef de cour faisant installer un système permettant d´écouter les conversations téléphoniques au sein d´un palais de justice;

• l´absence de réaction de la hiérarchie judiciaire à l´égard d´un magistrat auquel il est reproché d´avoir tenu des propos racistes à l´audience;

• le silence de la chancellerie à propos de l´annonce par le quai d´Orsay de la transmission aux autorités djiboutiennes du dossier d´instruction de l´assassinat du juge Borrel et ce malgré le refus du magistrat instructeur;

Dans ce contexte, le Syndicat de la Magistrature réaffirme que le but de votre réforme n´est pas de garantir au justiciable une meilleure justice mais de vous assurer le silence et la dépendance de la magistrature.

Si tel n´est pas le cas, nous vous demandons solennellement d´ouvrir le débat aux propositions du Syndicat de la Magistrature.

Veuillez agréer, Monsieur le garde des Sceaux, l´expression de notre considération.

Paris le 12 avril 2005

Pour le Syndicat de la Magistrature
Aïda Chouk, présidente
Posted 20 years, 3 months ago on November 8, 2005
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