September 30, 2007

A Nanterre : un tribunal en flagrant délire


PARIS (AFP) - Le projet de loi sur les chiens dangereux, transmis vendredi au conseil d'Etat et devant être voté avant la fin de l'année au Parlement, renforce considérablement les obligations et la répression des propriétaires à la moindre morsure.

« (…) Consacré en France par l'ordonnance de Villers-Cotterêts, en août 1539 (...) Le roi affirme sa toute-puissance en aggravant l'arbitraire qui pèse sur l'inculpé. L'instruction du procès, devenue écrite et secrète, se substitue au débat oral et public. Ceci laisse peu de chances aux individus issus de la majorité illettrée de la population, face au juge qui manie l'écriture et connaît seul avec exactitude les charges et le contenu du dossier. En un mot "l'idée mère de l'ancienne procédure criminelle était l'intimidation." L'accusé se retrouve donc face au pouvoir absolu du juge, tout comme chaque sujet subit le pouvoir absolu du roi. » • Robert Muchembled, Sorcières, Justice et Société aux XVIe et XVIIe siècles, page 95, aux éditions Imago, 1987

LONDRES (AP) - Le monstre du Loch Ness n'a plus la cote. En tout cas, les personnes affirmant avoir aperçu la bête légendaire sont de moins en moins nombreuses, ce qui fait craindre qu'un scepticisme grandissant vienne plomber le tourisme dans la région, selon un journal britannique.




Nouvel Obs Nº2236, semaine du 13 septembre 2007, p. 8-9


Nouvel Obs Nº2236, semaine du 13 septembre 2007

Au palais de justice de nanterre...
Un tribunal en flagrant délire

Délinquance ordinaire de plus en plus réprimée mais peines de moins en moins appliquées, scandales politico-financiers enterrés, magistrats désabusés, justiciables égarés dans le labyrinthe des procédures : Florence Aubenas a plongé dans le triangle des Bermudes judiciaire où se perdent aussi bien les «affaires Chirac», les dossiers des petits dealers que les réformes pénales de Sarkozy



L'audience vient de se terminer dans la salle des comparutions immédiates, successions d'affaires ordinaires, au hasard de ce que brasse la justice quotidienne. Dans le hall du palais de justice de Nanterre, Ingrid, agent d'administration, attend juste à côté, derrière le guichet du bureau d'exécution des peines. Elle a 28 ans, des fossettes, des barrettes et un sourire studieux. Elle regarde les condamnés sortir de la salle et s'avancer vers elle comme en apesanteur, sonnés, confus, tout empêtrés d'eux-mêmes. Ca y est ? C'est fini ? Qu'est-ce qu'il faut faire ? Pleurer ? Rire ? S'embrasser ? Se maudire ?

A tous, Ingrid pose la même question : à quoi avez-vous été condamné ? Elle est formelle. Depuis un an que le bureau est ouvert, elle n'en a pas rencontré un seul qui ait compris sa peine. Ingrid secoue la tête, creuse gravement ses fossettes et répète : « Non, pas un seul » Dans la vie publique, la justice n'a jamais pris une place aussi importante : à la télévision, dans les discours politiques, dans les écoles, elle est partout. Pourtant, jamais non plus, elle n'a été aussi illisible.

Ce n'est pas uniquement parce qu'il a été construit dans les années 1970 sans aucune anticipation sur ce qu'allait devenir la périphérie de Paris, ni la justice en France que le tribunal de Nanterre est devenu un cas d'école. Ce n'est pas seulement non plus parce qu'il est en chantier permanent le long d'une voie rapide, construit avec un permis douteux et des matériaux saturés d'amiante qu'il faut y voir un symbole de l'institution judiciaire tout entière. Nanterre, deuxième tribunal de France après Paris, donne d'un côté sur ces Hauts-de-Seine dorés, département dont le budget dépasse celui de la Grèce, avec son quartier d'affaires de la Défense et la ville de Neuilly, fabrique brevetée de ministres. Sur l'autre versant, les barres HLM raient l'horizon à l'endroit des anciens bidonvilles, des associations s'éreintent contre l'extrême pauvreté, les motos des dealers zigzaguent au milieu des feux de poubelles. La ligne entre ces deux Nanterre, différents jusqu'à la caricature, traverse aussi le tribunal : d'un bureau à l'autre, d'une audience à l'autre, deux justices se côtoient, étanches et opposées.


Bureau des déférés
« Il est où, votre exhibitionniste ? »

Aux quatre coins de la pièce, les quatre téléphones se sont mis à sonner exactement en même temps. Ici, dans le bureau des déférés, se déverse en temps réel sur une poignée de magistrats de permanence tout ce que le département charrie de petits et grands désordres.

Marie-Claire Maier, substitut, dégaine la première. « Allô, je suis bien au commissariat numéro 1, secteur sud ? Votre exhibitionniste, il en est où ? Il s'est accroché un testicule à la grille en s' enfuyant ? »

En agitant un combiné, une greffière crie : « Deux malades qui se sont battus aux urgences et menacent un docteur, c'est pour qui ?nbsp;»

Derrière un paravent, deux policiers font asseoir un grand type menotte, en survêtement brillant. Il a conduit Cindy dans une cave de l'immeuble « pour la négocier ».

En face, le magistrat doit avoir le même âge, à peine sorti de stage. « Négocier ? C'est-à-dire ? »

L'autre reste silencieux. De l'autre côté du paravent, on entend une greffière : « J'ai six bouteilles de whisky volées chez Carrefour par un Kurde, à qui je passe ? »

Le grand type : « Négocier, c'est juste sucer. »

Le magistrat tente une question. On sent qu'il veut bien faire : « Qu'est-ce que c'est pour vous un moment agréable ? »

Alors l'autre répond avec un immense sourire, comme à l'école quand on connaît la réponse : « Regarder la télé. »


Le claquement de la porte recouvre sa réponse : Michèle Adrion, greffière, agite le résultat d'autopsie d'un crâne, retrouvé dans le sac à dos d'un lycéen. Il l'a échangé contre quatre jeux vidéo à un ami, qui l'avait trouvé sur un terrain vague et agrémenté d'une bougie pour faire lampe de chevet. Avant d'être nommée « greffière des morts », Michèle Adrion s'occupait des contraventions. Elle s'est blindée. « Je vais même vous dire : j'aime ça. » Michèle Adrion a l'impression que les gens meurent de plus en plus, sous les trains, dans la Seine, putréfiés dans leurs appartements, tués par leurs enfants ou par leurs parents. L'an dernier, elle s'est occupée de 400 cadavres, dont 34 homicides. Tous ne se valent pas. « Parfois, derrière un mort, il y a quelqu'un, dit Michèle Adrion. Alors je m'attache, c'est plus fort que moi. » Elle lit « le Parisien » pour essayer de grappiller de leurs nouvelles.

« Allô, ici madame Maier. Récapitulons, lieutenant, votre exhibitionniste, il lui reste combien de boules attachées ?  »...

Il y a vingt ans, la justice ne donnait suite qu'à 30% environ des dossiers, estimant qu'une réponse pénale n'était pas adaptée, par exemple, pour un vol de moins de 500 francs ou la détention de moins de 10 grammes de stupéfiants. Aujourd'hui, le taux de poursuites tourne autour de 80%. Les instructions de la chancellerie ne laissent aucun doute : on traite absolument tout. Ca s'appelle la « tolérance zéro ». François Reygrobellet, magistrat du siège, se souvient avoir vu monter cette tendance à la fin des années 1980, au fur et à mesure que l'Europe et la mondialisation dessinaient un paysage politique de plus en plus complexe. « La justice reste le dernier secteur où nos dirigeants ont l'impression de pouvoir agir, sans en référer à aucune instance internationale. Là, ils peuvent faire voter des lois et dire aux électeurs : vous voyez, on fait quelque chose. La justice est devenue un enjeu de communication politique. » Marie-Claire Maier, qui a raccroché le combiné, précise : « Aujourd'hui, il faut faire du chiffre, des interpellations, des gardes à vue, des comparutions, des écrous. Moi, on me dit de poursuivre, j'obéis. »


Galerie de l'instruction
Du chiffre, toujours du chiffre

Sur les huit cabinets généralistes, deux juges viennent de partir en maladie. Ici, chacun instruit entre 70 et 100 dossiers. « On va se répartir les plus urgents, les autres affaires vont dormir six mois », dit Stéphanie Forax. Le téléphone sonne. La police, bien sûr. « On a cinq ou six personnes en surveillance pour des stupéfiants. Qu'est-ce qu'on fait ? » Il faudrait remonter le réseau, travailler le coup. Ca fait longtemps que les Hauts-de- Seine ont pris une place centrale sur la carte des stups. Nanterre fournit le meilleur shit d'Ile-de- France, suivi par Colombes; Gennevilliers se spécialise dans la cocaïne et l'héroïne. Quelques trafics sont si bien huilés que les vendeurs sont ravitaillés par plateau-repas pour que le business tourne non-stop de midi à minuit.

Depuis 2002, l'Assemblée nationale a doté la police et la justice d'instruments procéduraux comme elles en avaient rarement eu, infiltrations, balisages, utilisation de témoignages anonymes. « En fait, on ne les utilise pas vraiment », explique Stéphanie Forax. Pas le temps, pas l'argent et toujours le même problème : la logique statistique avant tout. Mieux vaut l'arrestation de beaucoup de petits dealers et tout de suite que la traque aléatoire de quelques têtes de réseaux. « Pas d'enquête. Arrêtez les cinq vendeurs et ouvrez en flagrance », dit Stéphanie Forax aux policiers.

Au tribunal de Nanterre, la 12e chambre s'est, de fait, spécialisée dans les stups. Défilent dans le box, Sissoko, qui a acheté trois barrettes à La Courneuve, et deux garçons d'Athis-Mons venus négocier 32 grammes de shit à Villeneuve-la-Garenne. Tous ont été arrêtés de la même manière : la police se poste avec des jumelles à un point de vente. « Ce n'est pas le cartel de Medellin, mais comme ça au moins il n'y a pas de contestation des faits, dit un gradé. De toute manière, qui va pleurer sur un dealer ? Pour les juges comme pour nous, c'est devenu une bonne manière de tenir les résultats. » A la maison d'arrêt de Nanterre, 25% des prisonniers ont été arrêtés pour stupéfiants.

Les audiences durent parfois jusqu'à 23 heures, en général sous la présidence de Ghislaine Polge. Elle a la réputation de rendre des jugements qui « cognent ». Ca ne la choque pas. Elle a pris la relève d'«  un vieux magistrat délicieux qui se trouvait mal dès qu'il mettait plus de deux ans de prison ». Elle, non. « Quand j'étais juge pour enfants, certains dossiers me hantaient. Aux stups, jamais. »


Parquet commercial
« On dort tranquille »

Il suffit de monter deux étages et de pousser la porte du vice-procureur Bruno Bougie pour tomber sur une situation radicalement opposée. « Vous êtes dans un bureau où si un magistrat a envie de dormir, il dormira tranquille », dit Bougie. Lui s'occupe des infractions commerciales. Ici, le téléphone sonne peu, aucune plainte n'est déposée, ou si rarement : « Il faut aller les chercher soi-même, mais je n'ai jamais senti que c'était une priorité politique. Les organismes antifraude servent surtout de vitrines pour ne pas se faire traiter de république bananière aux colloques internationaux. » Créée en 1991, la Miem, la mission interministérielle qui veille à l'attribution des marchés publics, a vu ses saisines dégringoler. En sommeil depuis 2003, aucun président n'est plus nommé à sa tête. A la cour régionale des comptes ou à l'Inspection générale des Finances, les agents ont le devoir de révéler les infractions au procureur. « En fait, leurs administrations font tout pour bloquer. » Le texte de loi contre la corruption a été rédigé de telle manière qu'il est presque impossible à appliquer. Dans la plupart des tribunaux français, les peines tournent généralement autour de deux mois de prison avec sursis. Nanterre, où se joue parfois à l'audience une année de prison, voire de la détention ferme, est estampillé « ultrarépressif ». Isabelle Prévost-Desprez préside souvent l'audience. « Je préfère m'occuper des affreux, on se sent plus légitime. Les autres, on a envie de pleurer avec eux. » Rouge à lèvres éclatant, ton enjoué, qu'on ne s'y trompe pas : Isabelle Prévost-Desprez garde quelque chose des grands brûlés. « J'ai vu ce que c'était que la machine à broyer quand on veut se débarrasser de quelqu'un. » Ex-juge à la galerie financière de Paris, elle a instruit l'Angolagate, l'affaire du Sentier ou de la COB et vécu plus de trois ans sous protection de garde du corps.

« Nous comptons moins d'affaires politico-financières ou tout simplement économiques qu'il y a cinq ou six ans », confirme Jacques Degrandi, président du tribunal de Nanterre, jusqu'en juillet dernier. A l'entendre détacher lentement les syllabes et répéter qu'il faut « rester prudent dans son expression », on comprend aisément que ne pas faire parler de soi reste la manière la plus sûre de réussir dans la magistrature. « C'est un milieu où il ne faut être ni marqué ni remarqué. Ne parlons pas d'indépendance. Mais d'une manière d'assumer nos dépendances. » En juillet, l'affaire des emplois fictifs du RPR a rebondi à Nanterre. Cité en 1995, Jacques Chirac a pu être entendu, puisqu'il quittait l'Elysée. Un voile douloureux passe fugitivement sur le visage de Degrandi. « Je ne suis pas au courant et je ne tiens pas à l'être. Point. La seule chose qu'on attend du juge d'instruction concerné est qu'il tienne compte des hautes charges qui furent celles de ce monsieur. Il ne faut pas que les institutions de la France soient affaiblies, le rôle de la justice est de poursuivre la paix civile. » Degrandi a un soupir. « J'adorais ce métier. » Un temps de respiration. « L'amour est parti. »


Pôle financier
« On va encore dire que je suis mou »


Le juge chargé du « dossier Chirac » s'appelle Alain Philibeaux. Sa carrière a débuté à l'époque où convoquer un notable dans un palais de justice paraissait impensable. Puis, dans les années 1990, le juge Philibeaux se souvient avoir humé « cette grande bouffée d'indépendance quand certains collègues courageux ont modifié (notre) travail ». Philibeaux s'est lui-même retrouvé à poursuivre l'instruction du « dossier des emplois fictif s ». Il en garde surtout un souvenir cuisant. Sa décision de classer une partie de la procédure avait, en effet, entraîné les railleries du « Canard enchaîné ». Aujourd'hui encore, Philibeaux proteste que « rien ne permettait alors défaire autrement ». Hélas, entre-temps, l'audience tenue en 2004 a donné raison au « Canard ». « Je m'en étais encore pris plein la figure », lâche Philibeaux. Cet été, il a senti « la pression qui recommençait » quand il a en tendu Chirac, simplement comme témoin assisté. Le juge ne sait pas pourquoi, mais il en est sûr : « On va encore dire que je suis un mou. »

Prestigieux durant un temps, le pôle financier des sept juges de Nanterre est maintenant surnommé « la galerie des non- lieux ». Richard Pallain est l'un des derniers survivants de la grande époque. Certains collègues lui ont raconté comment « savonner » un dossier pour éviter les ennuis : « Dès que tu reçois une constitution de partie civile, tu demandes une enquête à la brigade financière. Tu peux y aller tranquille : le service a été torpillé et rien ne reviendra avant un an. Pendant ce temps, tu interroges les types. Pose des questions bateau, ils te feront des réponses bateau. Ensuite, tu commandes une expertise, ça traîne dix mois de plus. Là, tout le monde a oublié ton affaire, tu peux déposer ton non-lieu. » Pallain estime que « ces dernières années, l'Etat a sacrifié la fonction judiciaire à ses propres intérêts. On est devenu un service public de la justice, et non plus une autorité judiciaire ».

Depuis 2000, les députés ont commencé à transférer aux magistrats du parquet les mêmes compétences que celles jusque-là dévolues aux juges d'instruction, perquisitions, écoutes, sans parler de la détention. Si les enquêtes menées par le parquet sont de fait plus rapides, il existe une autre différence : contrairement au juge d'instruction, il est soumis à la hiérarchie de la chancellerie. Récemment, la garde des Sceaux, Rachida Dati, a convoqué un procureur pour exiger sa soumission. « Au mépris de la séparation des pouvoirs se met en place une catégorie de magistrats obéissants comme des préfets, flanqués d'une super police », dit un juge. Aujourd'hui, seulement 3% des dossiers passent à l'instruction contre 10% il y a quelques années. « Personne n'ose le dire, mais le système français est en train de changer en douce », reprend le vice-procureur Bruno Bougie.


Bureau d'ordre pénal
« On est des victimes, Sarko nous soutient »


Une dame vient pour un enlèvement d'enfant, un père dénonce « un complot à l'école de son fils », un autre veut déposer plainte parce qu'il n'obtient pas d'appartement HLM. « Mais une plainte contre qui ? », demande l'agent administratif. « Qui vous voulez. » Ici, les particuliers peuvent saisir la justice directement. « On est des victimes, le président Sarkozy est avec nous », scande un commerçant, qui craint un « contrôle fiscal illégal ». « Moi aussi, j'ai droit à avoir mon affaire. » Tous attendent un miracle. « Plus rien ne marche dans le pays : la justice peut nous sauver de tout, non ? »

Un homme sort une botte de carottes d'un sac en plastique. « Elles sont empoisonnées », dit-il. Il veut voir le procureur de la République. Pourquoi lui ? « Aujourd'hui, c'est Dieu, non ? »

Le bureau de « Dieu » est au dernier étage. Il est soucieux. Il voit la justice comme une citadelle, « le dernier rempart encore debout, quand tout le reste est tombé, l'école, l'emploi ». Philippe Courroye, qui a pris ses fonctions à Nanterre un peu avant l'été, semble incarner à lui seul la justice dans ses forces contraires. Juge d'instruction pendant sept ans, il a enquillé les affaires retentissantes et controversées, Carignon, Jean-Christophe Mitterrand, le financement du RPR ou Pétrole contre Nourriture. Sa candidature au parquet stratégique de Nanterre a été interprétée par ses pairs comme un acte forcément politique. L'avis défavorable du Conseil supérieur de la Magistrature, balayé comme toujours d'un revers de manche par la chancellerie, a encore augmenté la défiance craintive autour de sa nomination.


Comparutions immédiates
« Tout se fait pas au pif »


M. Martin comparaît pour un vol de scooter dans un hangar. « Vous vivez de quoi, M. Martin ? », demande Olivier Fourmy, le président. « De rien », dit M. Martin. Fourmy : « Si, je vais vous dire de quoi vivez, M. Martin. Vous faites de la gratte, comme les petites souris. Gratte-gratte-gratte-gratte. » Et Fourmy roule des yeux, en agitant ses doigts comme des petites pattes de rongeur. Dans la salle, côté public, Julien, scénariste à Canal+, ne rate pas une audience. A son insu, le président Fourmy est devenu l'un de ses personnages favoris. « Il a un talent extraordinaire de maître de revue. »

Avant d'arriver à Nanterre, Fourmy a été magistrat au Tribunal pénal international de La Haye pour l'ex-Yougoslavie. Il n'a jamais oublié l'interrogatoire de ce soldat qui racontait calmement un massacre : « J'ai arrêté de tirer seulement parce que, à force, j'avais trop mal au doigt pour appuyer encore sur la gâchette. »

A La Haye, le tribunal condamnait à vingt ans de prison pour génocide. Fourmy avait tendance à remettre les prévenus assez largement dehors quand il est revenu en France en 2003. Puis il a fini, dit-il, par se « resituer sur la carte : France-Ile-de-France-département 92-Nanterre ». Il trouve quand même que quelque chose ne marche plus. « On oblige à assumer certaines poursuites, c'est indécent. Qui poursuit-on et pour quoi faire ? »

Dans le box arrive Antoine qui a bu, qui est monté sur son vélo puis qui a tapé sa femme (pour la troisième fois et dans le même ordre). Une comptable a volé un pantalon à la pause-déjeuner avec des copines. Chaque fois qu'un prévenu sort, Pierre Delattre, substitut du procureur, ne peut s'empêcher de chronométrer le temps qu'il faut aux policiers pour amener le suivant. Un quart d'heure, en moyenne. Donc, au rythme de dix affaires par audience, cela fait au moins deux heures et quart perdues. Delattre, ça le rend fou. Il se demande pourquoi on n'aménage pas une petite salle derrière qui régulerait ces temps morts. Il a passé vingt-cinq ans dans la pénitentiaire, avant de devenir magistrat il y a seize mois. « Quand on arrive du management, on est surpris : ici, on travaille sans aucune visibilité. » Pour désengorger le système, on a recommandé aux parquetiers de faire appel au juge unique. Delattre a demandé combien ce secteur-là pouvait écluser de citations. Pas de réponse. Et pour les alternatives aux poursuites, qu'est-ce que chaque secteur peut absorber ? Personne n'en sait rien. « Tout se fait au pif. Au ministère de la Justice, on s'en fout. Ceux qui viennent là veulent une loi qui porte leur nom, mais se moquent d'évaluer les dispositifs qui existent ou de réduire ne fût-ce que de 30 à 40% les écarts entre les intentions affichées et les moyens : la grande réforme de la justice serait que la chancellerie accepte d'être aussi gestionnaire. »

Olivier Fourmy et les deux assesseurs se retirent pour délibérer. « On va se triturer le cervelet pour fixer la barre entre quinze jours et deux mois de prison. De toute manière, on condamne politiquement, mais techniquement on ouvre. » Depuis 2002, toute peine de prison peut être aménagée en une mesure autre que de la détention, comme des travaux d'intérêt général. Un conseiller d'insertion explique que l'institution n'avait, de toute manière, pas le choix : « Beaucoup de comportements ont été pénalisés, on condamne de plus en plus mais le nombre de places en détention n'a pas évolué. » Comme partout, la maison d'arrêt de Nanterre est « surbookée » : 814 détenus pour une capacité de 594. « Il n'y a plus de lit non plus dans les établissements de semi-liberté, explique Olivier Guichaoua, magistrat chargé de l'application des peines. On appelle pour réserver comme à l'hôtel, on attend sept mois au bas mot pour un matelas par terre. »

Saluée à droite comme à gauche, l'aménagement des peines se révèle inapplicable. Le service est tellement engorgé que certains condamnés n'ont toujours pas été convoqués dix-huit mois après le jugement. « On a totalement perdu la maîtrise de nos outils procéduraux, affirme le conseiller d'insertion. On augmente les peines mais on ne les applique pas. C'est une manière de gérer l'opinion, qui ne dupe que les braves qui croient au système. »

Olivier Fourmy vient de rendre son jugement. La porte de la salle d'audience s'ouvre. Là-bas, derrière son guichet, Ingrid regarde ceux qui sortent.

La protection de l’enfance en procès
Le 3 mars s’est ouvert le procès de 66 adultes accusés d’actes pédophiles. Comment des enfants ont-ils pu être abusés sexuellement durant des années alors que la plupart des familles étaient suivies par les services sociaux ? Enquête.
Le Pélerin, publié le 02/03/2005, extrait

Respecter le droit des parents

La tâche des services sociaux est encore compliquée par un principe très contraignant : le respect des droits des parents. Ce principe s’est imposé, en France, dans les années 1980, lorsque notre pays a voulu se conformer aux recommandations de la Cour européenne.


Il s’agissait aussi de corriger certains excès. Par exemple, lorsque l’Assistance publique plaçait des enfants contre le gré de leurs parents, à des kilomètres de chez eux. Pour y remédier, la loi du 6 juin 1984 oblige l’ASE à associer les familles aux décisions administratives les concernant. Impossible, par exemple, d’imposer un placement sans obtenir une ordonnance de la part du juge des enfants. Lui-même doit respecter des règles précises.

Ainsi, le Code civil préconise que « chaque fois qu’il est possible, le mineur doit être maintenu dans son milieu actuel » (sa famille NDLR) et que le juge « doit toujours s’efforcer de recueillir l’adhésion de la famille à la mesure envisagée. » « Notre but n’est pas de stigmatiser encore plus les parents défaillants, mais de les restaurer dans leur rôle de parents », explique Hélène Franco, juge des enfants au tribunal de Bobigny (Seine-Saint-Denis). « Il faut comprendre qu’on ne peut rien faire sans eux. Fragilisés par leurs difficultés et par l’humiliation de voir leur enfant placé, ils ont d’abord besoin d’être encouragés », souligne une éducatrice de l’ouest de la France, qui reconnaît que, parfois, cela peut se faire au détriment des enfants.


- Mais tout va très bien, madame la marquise... -


Posted 17 years, 11 months ago on September 30, 2007
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