January 6, 2008

« Elle l'a bien cherché »

La justice du roi
La vie judiciaire dans l'ancienne France
De Arlette Lebigre
Editions Complexe, 1995

page 212...

Si vu de notre époque, la justice de l'Ancien Régime se résume à des corps martyrisés par le fer et le feu, elle l'a bien cherché. L'image de terreur qu'elle a voulu se donner se retourne contre elle. D'autant mieux qu'on ignore généralement le rapport étroit qui, pendant des siècles, a uni la volonté de punir à celle de pardonner.

Page 214 et 215...

1. Du bon usage de l'arbitraire

Les juristes de l'Ancien Régime répètent à l'envie qu'en France toutes les peines sont arbitraires. Prise au pied de la lettre, l'expression pourrait faire croire que les juges étaient libres d'inventer des peines, voire de punir à leur fantaisie tout acte ayant eu le malheur de leurs déplaire. Il n'en est rien, même s'il faut attendre la Révolution pour que le principe de l'égalité s'inscrive dans le droit positif.

Au sens banal où on l'entendait avant qu'il devienne au XVIIIe siècle l'un des mots du discours polémique, l'arbitraire est tout autre chose. Il permet d'abord de suppléer aux carences de la loi, problème qui ne se pose plus guère à notre époque alors que jusqu'à la fin de l'Ancien Régime la loi intervient peu dans le domaine privé, notamment en droit pénal. De là des lacunes que les juges comblent en raisonnant par analogie ou par référence au droit romain.

L'arbitraire, c'est encore la liberté laissée aux juges de décider du mode d'exécution de la peine quand celle-ci - il s'agit essentiellement de la peine de mort - peut être administrée de diverses façons.
Liberté d'ailleurs très restreinte par la tradition coutumière et la jurisprudence : de tout temps les roturiers ont été pendus, les nobles décapités, les empoisonneurs envoyés au bûcher, les criminels d'Etat écartelés. Le Châtelet de Paris ayant eu un jour la fantaisie de condamner un individu à être noyé, l'inovation fut désavouée par le parlement qui, en appel, transforma la noyade en réclusion "jusqu'à ce qu'il plût au roi en ordonner autrement".

Autre forme de l'arbitraire qui, comme dans notre Code pénal, résulte de la loi elle-même lorsqu'elle laisse le choix entre deux peines différentes ou entre le minimum et le maximum de la même peine. En ce qui concerne l'amende, les ordonnances se bornent souvent à fixer un taux minimal au-dessous duquel il n'est pas permis de descendre mais que les juges sont libres de relever en fonction des ressources du condamné. On dit alors que l'amende est arbitrée, mot qui a l'intérêt de restituer à l'arbitraire son sens le plus courant, celui d'arbitrage.

Dans la plupart des cas cet arbitrage permet d'adapter la sanction aux circonstances du crime et à la personnalité du criminel. "Etre l'arbitre entre la loi et l'équité", ainsi que l'écrit le jurisconsulte Ferrière, et non, comme le préconisait Montesquieu, "la bouche qui prononce les paroles de la loi", tel est le rôle du juge selon la conception classique de l'Ancien Régime. On sera bien obligé d'y revenir après les expériences malheureuses du droit révolutionnaire. Reconnaître aux juges le droit de moduler les peines, au souverain de les remettre, n'a rien d'incompatible avec la justice et l'humanité.

Rapport de Mme Trapero
Conseiller rapporteur
Avis n° 004 0001P du 1er mars 2004

Une décision de la cour d'appel de Lyon du 28 octobre 1986 (Juris data n° 1986-045275) est particulièrement intéressante à cet égard.


Pour réformer la décision du juge aux affaires familiales qui avait rejeté la demande de communication du dossier d'assistance éducative sollicitée par la mère des enfants, la cour énonce :

"qu'il y a lieu de considérer qu'aucune disposition en vigueur n'interdit cette communication soit explicitement soit implicitement ; que, en matière de procédure civile, toute pratique qui n'est pas interdite par les lois et règlements en vigueur ou par l'application des principes généraux des articles 14 et suivants du nouveau Code de procédure civile est réputée régulière..."


- Toute pratique qui n'est pas interdite est réputée régulière -


Posted 17 years, 8 months ago on January 6, 2008
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